J’ai longtemps fréquenté l’archiviste de la mairie de Rouen, ville où je suis né. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois j’étais un élève moyen au collège Fontenelle rue des Requis. Un sujet de dissertation m’avait poussé à rechercher de la documentation sur Jeanne d’Arc. J’avais auparavant consulté le dictionnaire et visité la fameuse tour Jeanne d’Arc ou elle aurait été emprisonnée avant d’aller au bûcher.
Mais je voulais aller un peu plus loin que ce qu’en disaient les livres d’histoire. Je cherchais donc des informations moins connues et plus précisément des détails sur la stèle érigée en 1931 pour célébrer le 500ème anniversaire de sa mort. Ce monument situé place du vieux Marché était du au sculpteur Real Del Sarte avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque. Mon professeur d’histoire (Monsieur Streff très bon prof et bon poète dont je salue la mémoire. C’est lui qui est sur la seule photo de classe que j’ai conservée et que vous trouverez plus loin dans ce texte) m’avait indiqué une piste : une brochure qui avait été éditée à l’époque et devenue assez rare. Je suis donc parti à la recherche de cette brochure. C’est le hasard qui me l’a fait découvrir. Chaque jour que j’allais au collège je descendais du bus place de l’Hôtel de ville.
Je passais près de la statue de Napoléon et j’avais le choix entre trois itinéraires. Soit je prenais par la droite et je passais le long de l’église Saint Ouen et traversais le jardin derrière l’hôtel de ville en disant un petit bonjour à la statue de Rollon dont le doigt dressé vers le ciel était systématiquement cassé, soit je montais à gauche la rue Jeanne d’Arc pour prendre ensuite la rue Bourg l’Abbé qui me conduisait tout droit à la rue des Requis. Mon troisième itinéraire me permettait de gagner quelques minutes : entrer dans la mairie et ressortir par une porte qui donnait sur le jardin et traverser le jardin pour arriver rue des Faux. C’est en traversant le hall de la mairie que j’ai découvert la porte de l’escalier conduisant vers les archives. Plus précisément un jour qu’il pleuvait à verse j’attendais dans le hall que la pluie s’arrête et c’est en baguenaudant dans le hall que j’ai découvert cette porte, un peu en retrait. Un mercredi après-midi j’ai donc décidé de me hasarder dans cet escalier. Petit escalier tournant comme dans une tour de château fort. Tout en haut j’ai trouvé deux portes. Celle de droite, celle de gauche ? Au hasard je frappe à gauche. J’entends « Entrez ».
J’entre dans une pièce immense ressemblant à une bibliothèque mais sans les tables de lecture habituelles. A ma droite une estrade, sur l’estrade un immense bureau et derrière le bureau un monsieur âgé (selon mes critères de gamin) vêtu d’un blouse grise.
- Bonjour jeune homme, je vous attendais !!
Vous imaginez mon étonnement. Ainsi j’étais attendu par un monsieur que je n’avais jamais rencontré.
- Vous êtes surpris de découvrir que je vous attendais ? Oui monsieur, peut-être m’avez-vous connu par mes parents pendant la guerre ou l’exode quand j’étais plus petit ?[1]
- Non jeune homme, je vous attendais, vous un autre, pour distraire ma solitude. Essayez d’imaginer la solitude d’un archiviste. Bien entendu vous n’en avez aucune idée. Figurez-vous que parfois je ne vois personne pendant une semaine. Personne. C’est exceptionnel bien sur. En temps normal, une ou deux fois par jour mais pas plus un employé du bureau d’état-civil vient chercher un document, certificat de naissance ou de décès. Cet employé n’a pas de temps à consacrer au bavardage. Il prend ce qui l’intéresse et disparait de ma vue aussi vite qu’il était apparu. Mais ce n’est pas pour écouter mes radotages que vous êtes venu. Que me vaut l’honneur de votre visite ?
- Voilà, monsieur l’archiviste..
- Mon nom est Anselme Dujardin. Mais on me dit toujours « monsieur Anselme ».
- Donc monsieur Anselme je cherche la brochure éditée en 1931 pour l’inauguration de la stèle Jeanne d’Arc.
- Vous avez quel âge et quel est votre nom ?
- J’ai 13 ans et je m’appelle Hippolyte.
- Et que comptez-vous faire de cette brochure Hippolyte ?
- Je compte y trouver des détails intéressants pour le devoir de français que j’ai à faire.
- Et d’où vous est venue l’idée de chercher cette brochure ?
- C’est monsieur Streiff, mon prof d’histoire qui m’en a parlé.
- Ah, ce cher Streiff, un excellent poète et un très bon ami. Nous nous voyons de temps en temps. Je vais vous donner cette brochure Hippolyte mais en échange je vais vous demander quelque chose. N’ayez crainte, ce n’est rien de compromettant, ni de dangereux. Je vous ai dit que je voyais peu de monde et vous êtes en train de découvrir que je suis un grand bavard. Je vous demande seulement de venir me voir de temps en temps pour m’écouter raconter des souvenirs ou des histoires. J’adore raconter des histoires. Je peux conter sur vous Hippolyte ?
- Bien entendu monsieur Anselme, j’adore les histoires. J’en raconte moi-même souvent à mon frère le soir avant de nous endormir.
- Et bien nous échangerons nos histoires. Je suis ravi de vous avoir rencontré Hippolyte.
- Moi de même monsieur Anselme.
C’est ainsi que pendant plusieurs années je suis allé souvent rendre visite à monsieur Anselme. Ces visites se déroulaient selon un cérémonial immuable. Je frappais à la porte selon un code qui s’était imposé à moi peu à peu. 5 coups un silence puis 2 coups, c’était comme un roulement de tambour qui évoquait à chaque fois la fanfare du 4ème Spahis qui défilait tous les ans au 14 juillet rive gauche. J’entrais alors :
- Entre ici Hippolyte, dit d’une voix de stentor. Plus tard en écoutant Malraux à la radio faisant son discours bien connu du transfert des cendres de Jean Moulin aux Invalides je repensais à monsieur Anselme.
Je m’asseyais en face de Monsieur Anselme et je sortais de ma poche un rouleau de réglisse qui était devenu le cadeau incontournable de ces rencontres. Monsieur Anselme adorait cette confiserie de gamin qu’il n’osait pas acheter seul par peur du ridicule. En échange, mais seulement après la première histoire il sortait d’un petit sac un gâteau fait par son épouse que nous partagions religieusement en méditant sur l’histoire qui venait d’être racontée. Les premières fois c’était monsieur Anselme qui commençait et qui me racontait un conte ou un souvenir. Je me souviens très bien de son premier conte.
Il était une fois (monsieur Anselme commençait toujours ses histoires par « il était une fois »). Il était une fois une princesse, fille d’un roi puissant, à qui il arriva une drôle d’aventure. Un jour, quand elle était petite, voulant descendre dans le jardin du château elle tomba dans l’escalier et se brisa la colonne vertébrale, du moins c’est ce que dirent les médecins, faute de trouver la vraie raison de cette paralysie. A partir de ce jour elle ne marcha plus. Tous les médecins du royaume se déplacèrent à son chevet, mais aucun ne put la guérir. Après un an d’attente et de soins, le roi son père lui fit fabriquer une chaise à roulettes. A partir de ce jour on l’appela, dans tout le royaume, la princesse à roulettes.
De tempérament optimiste la princesse se fit très bien à son nouvel état. Rieuse, coquine, elle utilisait sa chaise à roulettes pour se déplacer à toute vitesse dans les couloirs du château. Pour l’aider à descendre au jardin son père l’avait confiée à un serviteur, Gamel ( en vérité son vrai nom était Louis mais sa femme s’appelait Gargamelle), une espèce de géant, qui la portait dans ses bras et la descendait au jardin.
Les années passèrent. Tous les ans, la princesse qui grandissait avait une nouvelle chaise à roulettes. En réalité elle recevait deux chaises à roulettes. Une pour l’intérieur du château, avec des pneus lisses pour ne pas faire de bruit et une autre avec des pneus crantés et des freins puissants pour aller au jardin, ou en ville, ou dans la campagne.
Lorsqu’elle allait à la campagne avec Gamel, celui-ci l’accompagnait à cheval. Lorsqu’ils étaient assez loin du château, la princesse demandait à Gamel de la tirer avec son cheval, au pas, puis au trot, ce qui la faisait bien rire. Parfois le cheval allait trop vite et la voiture se renversait. La princesse appelait cet incident « prendre une gamelle », expression encore utilisée aujourd’hui. Jamais elle ne se fit du mal. Gamel redressait la chaise et ils repartaient en riant.
Un jour, il lui arriva une chose curieuse. Une libellule poursuivie par un martin-pêcheur vint se poser sur son bras. Effrayé, le martin-pêcheur fit demi-tour. La libellule fit sa toilette sur le bras de la princesse qui la regarda, émerveillée par ses gros yeux, ses six pattes et ses quatre ailes brillantes alors qu’elle n’avait que deux jambes infirmes. Admirative elle laissa partir la libellule mais n’en conçut aucune jalousie.
Lorsque la princesse arriva à l’âge de se marier, le roi organisa un grand bal et invita tous les princes du royaume en espérant que parmi eux il s’en trouva un qui voulut bien épouser sa fille.
La princesse, à partir de ce jour ne sortit plus de sa chambre. Elle pleurait tous le jour, sachant bien que ne pouvant pas danser, aucun prince n’accepterait pas de l’épouser. Gamel et sa femme ne savaient plus comment la distraire.
Le soir du bal, la princesse, ferma sa chambre a clé et personne ne put l’en faire sortir, même le roi, très en colère.
Soudain la princesse entendit un léger bruit au carreau de sa fenêtre. Intriguée, elle ouvrit la fenêtre et une libellule vint tourner autour d’elle. Une lueur de plus en plus éblouissante entourait la libellule qui se transforma soudain en une fée aussi grande que la princesse.
La fée dit à la princesse : « Il me semble que j’arrive à temps jolie princesse, je parie que je peux t’aider. Quel est ton problème ? »
La princesse lui expliqua sa paralysie, le bal, le désir de son père de la marier, sa tristesse de ne pouvoir danser.
La fée lui dit : « lève-toi et marche ».
La princesse abasourdie, prit appui sur les bras de son fauteuil, se leva, fit un pas, puis deux et marcha. Elle courut vers la fée et l’embrassa, folle de joie.
La fée la repoussa légèrement et lui dit : « tu vas aller au bal, dans ta chaise à roulette, tu vas attendre qu’un prince vienne t’inviter à danser. Seulement à ce moment là tu te lèveras et iras danser. Si un prince t’invite c’est que son cœur est grand. Tu peux alors lui faire confiance et l’aimer.
C’est ce que fit la princesse.
Elle arriva au bal, dans sa plus belle robe et sa plus belle chaise à roulettes. Son père retrouva son sourire et toute la cour applaudit à son arrivée. Il faut dire que la princesse était très belle et très aimée des habitants du royaume.
L’orchestre commença à jouer. Tous les hommes présents choisirent une cavalière, enfin presque tous. Un prince, parmi les derniers présents, s’approcha alors de la princesse et lui prit la main comme s’il l’invitait à danser. Et il commença à tourner, la princesse tournant autour de lui dans sa chaise à roulettes. C’était à la fois gracieux et joyeux. Tout le monde applaudit.
Au changement de pas, la princesse se leva et son cavalier l’enlaça pour la plus belle valse que l’on ai jamais vue dans le royaume.
Le mariage eut lieu quelques mois plus tard. Ils vécurent heureux mais dans tout le royaume on continua à appeler la princesse à roulettes. Cela ne la gênait pas car son prénom lui déplaisait profondément : elle s’appelait Gertrude.
Je n’ai pas trop aimé ce conte pour petite fille de 6 ans. Si monsieur Anselme avait eu des enfants de mon âge il ne m’aurait pas raconté celui-ci. Mais bon, l’intention était louable. C’est maintenant à mon tour de raconter une histoire.
J’avale trois fois ma salive sans pouvoir sortir un mot. Monsieur Anselme, pianote sur son bureau et cela me bloque encore plus.
- Qu’as-tu lu hier Hippolyte ?
- ……
- Et bien raconte ! Tu as bien lu une histoire hier soir, raconte là moi.
- J’ai lu une histoire dans un livre de la bibliothèque : « contes et légendes de Palestine ».
- Et bien raconte moi cette histoire.
Je me sentis soulagé, ce fut beaucoup plus facile et je racontais cette histoire, dont je ne me souviens plus aujourd’hui. Monsieur Anselme me posa quelques questions précises auxquelles je sus répondre. La glace était brisée entre nous. Plusieurs mercredis de suite je me contentais de raconter l’histoire que j’avais lue la veille. Et puis, je me suis mis à broder sur l’histoire quand elle me paraissait trop fade. Monsieur Anselme souriait et me disait :
- Tu triches, Hippolyte, ce n’est pas la vraie histoire que je connais mais j’aime bien ta version.
Et puis un jour, sans y réfléchir je lui ai raconté l’histoire que j’avais inventée la veille et racontée à mon frère. Monsieur Anselme en fut enchanté et en improvisa une aussi délirante que la mienne. Nous avons fini par éclater de rire devant l’énormité des aventures de nos héros. Monsieur Anselme était un merveilleux conteur. Il ne restait pas assis derrière son bureau, il descendait de son estrade et mimait les personnages de son histoire. Il avait toujours rêvé de monter sur scène et d’être un conteur reconnu. Sa timidité, les circonstances de la vie, la guerre en particulier en avaient décidé autrement. J’étais son seul spectateur mais de voir avec quelle attention je l’écoutais cela suffisait à le rendre heureux. C’est ainsi que le goût de raconter des histoires m’est venu, grâce à monsieur Anselme, l’archiviste de la mairie de Rouen. Un jour, ayant frappé comme à l’habitude à la porte des archives, personne n’a crié « Entrez ». Je suis reparti, inquiet. Le mercredi suivant je trouvais encore la porte close. Le lendemain, un jeudi donc je suis repassé par la mairie avant de rentrer chez mes parents et je suis monté aux archives. J’ai entendu « Entrez » mais ce n’était pas la même voix bien connue. J’ai demandé à voir monsieur Anselme.
- Monsieur qui ?
- Monsieur Anselme Dujardin.
- Connais pas.
- Mais je viens le voir tous les mercredis ou presque.
- Pas possible. Le mercredi les archives sont fermées car elles sont ouvertes le samedi. C’est le samedi que les gens qui travaillent viennent chercher un acte d’état civil et l’archiviste prend le mercredi à la place du samedi comme jour de repos. Vous n’avez pas vu le papier avec les horaires et les jours d’ouverture sur la porte ?
Je suis ressorti et j’ai vu ce papier que je n’avais jamais vu auparavant. Je suis entré à nouveau et malgré l’ai excédé de l’employé qui m’avait accueilli je lui ai demandé :
- IL n’y a pas d’Anselme Dujardin parmi les employés de la mairie ?
- Non, il n’y en a pas et il n’y en a jamais eu.
- Vous êtes sur ? Je n’ai pas inventé ce nom. Il y a du avoir un archiviste portant ce nom dans le passé. Pouvez-vous vous renseigner ? S’il vous plait.
- Puisque vous insistez, revenez demain je vais me renseigner.
Le lendemain je suis de nouveau monté aux archives. Le même monsieur que la veille m’a accueilli sur un ton différent.
- Il y a eu en effet un Anselme Dujardin aux archives de la mairie. On l’a retrouvé pendu, ici même il y a cinquante ans. Il avait laissé un mot d’adieu. « J’ai failli en ne retrouvant pas l’acte de décès de monsieur X. C’est une faute à laquelle il m’est impossible de survivre. Adieu ».[2]
Je suis sorti des archives sous le regard inquiet de l’employé. J’ai souvent une pensée pour monsieur Anselme qui fut le plus merveilleux grand-père que je n’ai pas eu et dont on puisse rêver. J’ai gardé longtemps la plaquette de 1931. Elle a disparu comme bien d’autres objets pendant un de mes nombreux déménagements.
[1] Cherchez-moi sur la photo : indiquez la position à partir de la gauche sur la ligne 1,2,3 ou 4. Un cadeau surprise au gagnant.
[2] Il est impossible de ne pas penser à son illustre modèle François Vatel qui se suicida en 1671 à Chantilly
C’était il y a longtemps. Je démarrai dans mes nouvelles fonctions et je manquais bigrement d’expérience. Ce jour là je n’étais pas en mission. J’avais consulté pour une petite intervention chirurgicale et je devais passer une radio. Après avoir rempli les conditions d’inscription classiques, nom, prénom, date de naissance, numéro de sécurité sociale et coordonnées de ma mutuelle sante. Je patientais dans le couloir où nous étions nombreux à attendre l’appel de notre nom. J’essayais de lire le livre que j’avais pris avec moi mais mon attention était surtout attirée par les personnes présentes. Il y avait là une mère de famille avec sa petite fille myope portant des lunettes à fort grossissement. La fillette était sage et babillait sans déranger personne. Elle est venue vers moi au bout d’un moment et m’a questionné sur mon livre.
- C’est quoi que tu lis ?
- Je lis une histoire de gendarmes et de voleurs.
- Tu me la racontes ? J’aime bien les histoires. Mon papa me raconte une histoire tous les soirs.
- Et bien voilà…
A ce moment la maman est intervenue et a rappelé sa fille, ce qui m’a bien soulagé. J’aurais été seul avec la petite je me serais fait un plaisir de lui raconter une histoire différente de celle que j’étais en train de lire bien entendu mais devant tout ce monde, je ne m’en sentais pas le courage. La fillette est repartie sur les genoux de sa mère sans protester.
Il y avait aussi un monsieur énorme dont je n’aurais pas été surpris qu’il soit charcutier. Je ne me suis pas trompé, il a commencé une discussion avec son voisin et il était bien un charcutier. J’ai ainsi fait le tour des patients qui attendaient comme moi. A part moi personne ne lisait. Il y avait pourtant des revues sur la petite table entre deux chaises. Personne ne parlait, seuls le charcutier et son voisin échangeaient des idées sur les impôts et la vie chère. Et puis est arrivé une très vieille dame dans un fauteuil roulant poussée par un brancardier peu avenant. Il a placé la vieille dame près de moi et s’est parti sans un mot. J’étais assez outré de son comportement et je me suis penché vers la vieille dame pour lui parler. Je n’avais pas encore réalisé qu’elle souffrait beaucoup et gémissait doucement et disant : « j’ai mal, j’ai mal »… Instinctivement je lui ai pris la main, glacée et j’ai serré doucement pour la rassurer. Elle n’a pas eu besoin de parler pour me faire comprendre que mon geste lui plaisait et un seul regard a suffit. Nous sommes restés ainsi plusieurs minutes, main dans la main. Sa maigreur était épouvantable et les piqûres de prise de sang et autres soins avaient marqué sa chair de gros hématomes. Je devinais à regarder partir les autres personnes présentes que ce serait bientôt mon tour. La vieille dame a du comprendre la même chose que moi. Elle a mis sa main gauche dans la poche de sa robe de chambre et en a sorti un papier plié soigneusement et me l’a tendu en disant : « prenez et ne dites rien ». J’ai compris que refuser lui ferait de la peine et j’ai pris son papier, m’imaginant y lire plus tard son adresse, son nom et peut-être autre chose.
J’ai mis son papier dans ma poche et à cet instant c’est elle qui a été appelée. Son brancardier étant parti c’est moi qui ai poussé son fauteuil vers l’infirmière qui attendait. En me laissant la main la vieille dame m’a jeté un regard ou j’ai pu lire un merci silencieux.
Mon tour est arrivé et j’ai passé ma radio assez rapidement. Je suis rentré chez moi et c’est seulement arrivé et assis dans mon fauteuil préféré que j’ai sorti le papier que la vieille dame m’avait donné. Ce papier comportait peu de choses : une date de plusieurs jours postérieure à la date du jour ce qui m’a surpris et je n’en ai pas compris le sens. Dessous la date un nom et un prénom féminin. J’ai supposé qu’il s’agissait du nom de ma vieille dame. Dessous encore le nom d’une banque, une des plus grosses du pays et enfin deux séries de numéros. Je suis resté perplexe plusieurs minutes devant ce papier. D’autres obligations m’attendant j’ai posé ce papier sur mon bureau et je suis sorti.
Les jours ont passé et de temps en temps je relisais ce papier hésitant à en comprendre le sens. Il était évident qu’il s’agissait des coordonnées d’un compte bancaire mais je ne comprenais pas pour quelle raison ce papier était dans la poche de la vieille dame et encore moins pourquoi elle me l’avait donné : mon geste n’avait été que le geste normal de quelqu’un de compatissant mais sans mérite particulier.
Le jour fatidique est arrivé. J’entends par là le jour inscrit sur le papier de la vieille dame. Quelque chose me poussait à aller à la banque indiquée sur le papier. Je ne savais pas trop comment aborder le caissier qui m’a reçu derrière son comptoir. Je lui ai tendu le papier en lui disant : « J’ai trouvé ceci mais je ne connais pas la personne en question, pouvez-vous me dire comment lui faire parvenir ce papier ». Le caissier m’a regardé et m’a demandé d’attendre un moment. Je suis allé m’asseoir sur un fauteuil dans un coin du hall ou d’autres personnes devaient attendre un rendez-vous je pense.
Le caissier est venu me chercher et m’a conduit dans un bureau dont l’ameublement m’a tout de suite laissé penser que c’était celui du directeur. Il y avait là deux personnes. L’une se présenta comme le directeur de la banque et l’autre se présenta comme notaire. Ce monsieur, imposant m’a invité à m’asseoir et m’a demandé de lui raconter avec le plus de précision possible les circonstances qui ont amené ce papier entre mes mains. Je me suis exécuté et je lui ai raconté comment j’avais aidé la vieille dame à mieux supporter l’attente et ses douleurs. Il m’a écouté sans m’interrompre. A la fin de mon récit il m’a tendu par-dessus son bureau des papiers à signer et un chèque. J’ai lu le montant du chèque. J’ai relu et compté le nombre de zéros qui suivaient le premier chiffre. J’ai levé les yeux et je les ai regardé tous les deux.
- Je ne comprends pas bien pourquoi le montant de ce chèque est aussi énorme. Je n’ai rien fait pour mériter cette somme.
- Nr cherchez pas, cher monsieur, ma cliente est décédée hier et peu avant de rendre son âme à Dieu m’a raconté votre rencontre et m’a demandé de vous donner ce chèque. Les frais et les impôts ont été déduits du montant de sa fortune et tout est en règle. Vous êtes le seul héritier de notre cliente, acceptez nos félicitations.
J’ai signé les documents et compris qu’il n’y avait plus rien à dire. Je me suis levé, j’ai salué mes deux interlocuteurs et je suis parti. Ma propre banque n’étant pas loin je m’y suis rendu sans traîner davantage.
Le conseiller que j’ai demandé à rencontrer est arrivé assez vite me chercher et m’a conduit dans son bureau.
- Monsieur Chlorate, j’espère que vous êtes venu pour remettre votre compte à flot car vous êtes à découvert depuis maintenant un mois et ma direction s’impatiente.
Je lui ai mis le chèque de banque que je venais de recevoir sous le nez.
- A votre avis le montant de ce chèque est-il suffisant pour couvrir mon découvert ?
- Mais bien entendu, monsieur Chlorate, bien entendu. Nous allons examiner comment faire fructifier ce capital et bla, bla
Quand on arrive dans la Beauce par la route du Mans, alors qu'elle est toute droite entre Morée et Binas, certains jours d'été, un peu après le lever du soleil, on découvre un autre monde, comme perché sur les flancs d'une montagne. La première fois que j'ai vu ce monde c'est en arrivant à un endroit d’où on voyait sur une ligne de chemin de fer désaffectée un vieux train de wagons de marchandises hors d'usage identiques à ceux que j’avais connus enfant pendant l’exode. Je me suis toujours demandé si ce train n'était pas, lui aussi, un moyen de découvrir ce monde. Certains vous diront que ces montagnes sont les nuages qui bordent l'horizon qui donnent cette illusion. C'est vrai, qu'au départ du regard il y a des nuages, mais si l'on fait un effort d'accommodation on voie nettement des collines et des villages, au-dessus des nuages à une hauteur impossible pour un paysage de la Beauce. La différence entre mes contradicteurs et moi est que j'ai cru à l'existence de ce pays de toutes mes forces et que je suis allé dans ce monde inconnu et pourtant tout proche de nous. Pour aller dans ce monde c'est très simple. Il faut réunir deux sortes de conditions. Il faut ouvrir son esprit et rouler en automobile dont il faut d'abord stabiliser la vitesse à cent kilomètres heures très exactement. Il faut que les passagers soient silencieux, que le moteur manifeste sa joie en ronronnant doucement à sa vitesse optimale. C'est alors que le transfert a lieu. La voiture s'élève au-dessus de la route et s'élance très vite vers les montagnes lointaines. La route s'éloigne à une vitesse de plus en plus grande, l'air se densifie et caresse la peau, les parfums des champs semblent exploser. Je suis dans le pays du bout des nuages. Il ressemble au nôtre vu de loin mais plus on s'approche plus il en diffère.
D'abord, les maisons, les routes, tous les bâtiments semblent en terre cuite d'une couleur entre le rose et la terre de Sienne. Les rues sont très étroites et ne semblent pas faites pour des voitures. On y voit des animaux de basse-cour, des chiens, beaucoup de chevaux attelés ou sellés qui marchent d'un pas tranquille. Les habitants semblent se diriger vers leurs champs ou leur atelier. Il faut arriver à survoler la place d'un village pour, faute du mot adéquat, atterrir. La voiture se pose sans soulever de poussière, les animaux se poussent juste ce qu'il faut. A peine descendu on entend des "Bonjour!" ou "Belle journée hein!" comme si l'on faisait partie du village. Alors on répond, poliment, sans avoir envie de poser des questions qui pourraient sembler indiscrètes ou mal venues.
De l'autre côté de la place il y a une auberge. On s'y dirige tout naturellement pour prendre un petit déjeuner qui semble tout d'un coup indispensable. Les étagères de ce qui semble être un bar sont remplies de bouteilles inconnues, en terre, en verre foncé, toutes de formes différentes et sans étiquette. Il y a des tonneaux empilés le long du mur. Des odeurs de vieilles liqueurs, de vinaigre et d'épices emplissent les narines. Les tables sont cirées de frais et sur chacune trône un bouquet de fleurs de champs multicolores. L'aubergiste au ventre rebondi s'approche et dit à chacun un mot gentil, comme s'il nous connaissait tous. Et chacun répond, naturellement et lui fait compliment, qui de sa bonne mine, qui de la propreté de son établissement ou de la bonne odeur de pain frais qui l'entoure. Notre aubergiste est aussi, j'ai oublié de le dire le boulanger du village. Jusqu'à midi c'est lui qui tient l'auberge peu achalandée le matin et de midi jusqu'au soir c'est sa femme qui prend le relais. Nous commandons notre déjeuner qu'il part préparer sans se hâter mais sans traîner non plus, tout en continuant la conversation. Tout nous semble normal, ses questions sur l'état de santé de Mamie, le travail, le changement de gouvernement. Le déjeuner servi avec du pain et des croissants frais est un régal qui fait taire tout le monde, y compris l'aubergiste qui en profite pour se faire une petite tasse de café.
Bien que tout ce qui nous entoure semble naturel, habituel même, il règne une atmosphère agréablement désuète : pas de bruit de voiture dans la rue, pas de télévision au-dessus du bar, pas de coin débit de tabac, pas de visiteur. Ah! si il vient d'entrer quelqu'un. Lui aussi prend le temps de quelques questions polies à l'aubergiste sur les enfants, le temps, la vie qui passe. L'aubergiste lui sert un grand bol de café et lui vend ce qui semble être une carotte de tabac à chiquer. Enfin, je crois qu'il lui vend à crédit, car sur un cahier qu'il sort de sous le comptoir il inscrit des choses que je ne peux pas voir de ma place. Avant de ranger son cahier l'aubergiste me lance : " je vous marque tout, comme d'habitude monsieur Chlorate ?", oui, Chlorate, Hippolyte; c'est mon nom. "Bien sur, monsieur Anselme" lui répondis-je. Lorsque le buveur de café s'en va l'aubergiste nous dit :"Vous n'avez besoin de rien ?, je vous laisse un moment pour sortir ma deuxième fournée de pain". Je l'assure de notre satisfaction et il part vers son fournil. Au bout d'un moment, ma curiosité étant trop forte, je me lève au prétexte de chercher les toilettes (que je ne trouve d'ailleurs pas) et je vais derrière le bar consulter le livre que l'aubergiste a sorti tout à l'heure. C'est un livre de compte, tout ordinaire, avec une couverture en toile. Je l'ouvre. Il est classé par ordre alphabétique. Je vais à Chlorate et j'y trouve le détail de mon compte. D'abord il y a une ligne marquée :
Crédit spécial rêveur de première classe : 10000 louis.
Puis, juste en dessous :
Déjeuner du 6 juin : 2 cafés, 3 chocolats, 5 croissants, ½ pain : 3 louis.
Je referme le livre rassuré : je sui tombé sur un aubergiste honnête. Je m'arrêterai à nouveau chez lui au prochain voyage.
Un certain vendredi, me rendant chez ma fille à l’autre bout du pays, dans ma petite auto sentant bon comme un souvenir d’enfance, j’ai fait un petit détour pour aller déjeuner dans mon auberge du bout des nuages dont je vous ai parlé une autre fois. Il n’y avait pas loin à aller, j’étais en Beauce depuis un bon moment et j’apercevais facilement mon village blotti au creux d’un nuage à peine réveillé. J’ai suivi scrupuleusement la procédure de décolage dont je vous ai déjà parlé.
Je suis entré dans l’auberge de maître Anselme en faisant craquer le parquet ciré. Maître Anselme, occupé derrière son comptoir à laver quelques tasses de café du petit déjeuner de ses habitués s’est retourné en me lançant :
- Tiens, monsieur Chlorate, je suis bien content de vous voir. IL y a bien longtemps que nous avons eu le plaisir de votre visite et je pensais justement à vous. Cela ne vous étonne pas j’espère ?
- Non monsieur Anselme, je ne suis pas surpris et je suis heureux de vous voir également. Votre auberge est un lieu si délicieux que je m’y arrêterais plus souvent si je pouvais.
- Alors quoi de neuf depuis notre dernière rencontre ? Vous êtes toujours préparateur pour l’au-delà ?
Il importe à cet endroit du récit que je vous informe chers lecteurs du contenu de ce rôle de préparateur. Ce rôle est primordial pour accompagner un mourant dans les derniers jours de sa vie. Il consiste à rassurer, à faire accepter ce passage délicat de la vie terrestre à la vie éternelle. Je le fais sous différents habits. Jadis je prenais l’aspect et le langage du prêtre avec un certain bonheur mais avec l’évolution des mœurs j’ai du m’adapter. Parfois je viens comme représentant d’une association d’aide aux personnes âgées mais c’est tellement connoté que l’effet est plutôt négatif sur la personne. La mode aujourd’hui est de venir sous la forme d’un animal, un chien ou un chat le plus souvent. C’est assez positif mais si l’affect est bien traité il manque la prise de conscience que permet la parole.
- Et non monsieur Anselme, j’ai eu une promotion, je suis passeur maintenant.
Monsieur Anselme siffla d’un air admiratif.
- Passeur pour en haut ou pour en bas ? Parce que dites, ce n’est pas le même tarif à ce que j’ai entendu dire.[1]
- Pour les deux maître Anselme. On a décidé de faire des économies au siège social. Et puis il y avait trop de conflits qui s’éternisaient entre le passeur pour en haut et le passeur pour en bas. Le patient, ou du moins son âme était tiraillée à n’en plus finir. Les dossiers litigieux s’empilaient et le retard était préjudiciable à la bonne marche du monde. Maintenant c’est moi qui décide si l’âme du défunt doit se transformer en énergie positive ou en énergie négative dans l’univers de Dieu.
- Mais alors monsieur Chlorate vous faites le travail de Dieu ?
- Non monsieur Anselme. Je ne suis pas Dieu, je ne suis que son serviteur. Je travaille sur dossier et je ne fais intervenir le patron que sur les cas litigieux ou pour les personnages importants de ma circonscription.
- Je ne comprends pas ce que c’est qu’un dossier dans ce problème là. Vous pouvez m’éclairer ?
- C’est simple : il y a 2 dossiers : le premier est la mémoire du candidat si vous me permettez de l’appeler ainsi. Toute sa mémoire et pas seulement ce qu’il a retenu au niveau du conscient. Par ce dossier je sais quelles mauvaises actions il a commis, quels crimes éventuellement et surtout si il a fait preuve d’amour envers la vie, que ce soit la vie humaine ou animale. Je demande à consulter le deuxième dossier celui des archives du patron pour vérifier les concordances, les mensonges bien cachés car certaines personnes prennent pour preuve d’amour des comportements déviants, vous voyez ce que je veux dire ? Après examen de ces deux dossiers je décide : ondes positives ou négatives ou parfois mais c’est assez rare : le néant c'est-à-dire candidat irrécupérable. J’en ai eu quelques uns déjà.
- Je comprends bien votre nouveau travail monsieur Chlorate mais vous n’avez pas répondu à ma question, c’est bien payé votre travail de passeur ?
- Et bien c’est 5 écus pour en haut et 10 écus pour en bas.
- Mais dites-moi monsieur Chlorate, le négatif devient positif pour vous ?
Nous éclatâmes de rire tous les deux.
- C’est exact monsieur Anselme et je n’ai toujours pas compris pourquoi ce travail est différemment payé selon que l’on envoie le candidat vers l’énergie positive ou négative. J’ai bien pensé à une explication mais elle me parait tellement incroyable que j’ai du mal à la formuler.
- Allons, monsieur Chlorate, cela restera entre nous et peut vous servir à affiner votre raisonnement.
- Ce n’est pas faux monsieur Anselme mais j’aimerais auparavant prendre un petit rafraichissement car vous me faites parler, parler et j’ai la bouche sèche à présent.
- Excusez-moi et pour me faire pardonner ma curiosité ce sera la tournée du patron. Un petit hydromel peut être ?
- Bien volontiers.
Nous dégustâmes notre boisson en silence, chacun méditant les paroles précédentes.
- Déjeunerez-vous avec nous monsieur Chlorate ?
- Avec plaisir monsieur Anselme. Qu’avez-vous au menu aujourd’hui ?
- J’ai un coq au vin qui mijote avec des pommes de terre nouvelles. En dessert un bol de crème fouettée. Et en entrée un pâté de courgettes.
- J’espère monsieur Anselme que vous avez respecté la loi sur l’âge des animaux à abattre ? votre coq avait plus de 5 ans j’espère ?
- Et comment, il avait 6 ans et ne tenait plus trop sur ses pattes. Mais, si vous le permettez revenons à cette histoire de tarifs différentiels et à votre explication.
- Et bien voilà : J’ai l’impression que la guerre entre le bien et le mal est en train de recommencer et que le malin que l’on croyait disparu à jamais est réapparu et a profité de la pingrerie bien connue de mon maître pour négocier un prix apparemment défavorable pour lui mais qui lui permettait d’augmenter ses effectifs pour un conflit futur.
- Mais si cela est vrai il comptait aussi sur votre appât du gain monsieur Chlorate ?
- Monsieur Anselme vous raisonnez vite mais mal en l’occurrence. Car Dieu qui est aussi futé qu’un renard a décidé dans le dos du malin de taxer mes revenus de telle manière qu’il ne me reste que 5 écus à chaque passage. Le malin n’en sait rien et croit que je le sers avec empressement pour m’enrichir. Mais tout cela n’est qu’hypothèse de ma part sauf la taxe que je paye bel et bien.
- Vous êtes un personnage important monsieur Chlorate et je ne serais pas surpris si ce nom était un nom d’emprunt pour cacher votre véritable identité. Mais je vous ai posé trop de questions déjà. Votre table est prête, Mélanie notre nouvelle servante a profité de notre discussion pour faire le service. Bon appétit.
J’ai déjeuné de bon appétit.
Au café monsieur Anselme trouva le prétexte d’une petite goutte de son vieil armagnac pour venir me poser d’autres questions.
- Il y a une question qui me tarabuste depuis des siècles monsieur Chlorate. Si vous m’apportiez la réponse je serai le plus heureux des hommes.
- Dites voir
- Voilà, mon épouse est décédée il y a maintenant plus de vingt ans. Vous dire que j’ai ressenti un gros chagrin serait mentir même si j’ai dit le contraire à cette époque. Elle avait un foutu caractère et elle m’a joué plus d’un vilain tour, sans compter les rendez-vous avec le serveur de l’époque pendant que j’étais au fournil. Tout çà est de la vieille histoire et je m’en suis remis. Mais je voudrais savoir, elle est en haut ou en bas ?
- Savez-vous monsieur Anselme que je ne puis répondre à cette question ? c’est strictement interdit. Vous le saurez quand ce sera votre tour de passer. Elle vous accueillera soit au bout du couloir positif ou au bout du couloir négatif.
- J’entends bien monsieur Chlorate mais qu’est-ce que cela change que vous me le disiez ou non ? Si j’étais médium je ne vous poserais pas la question, j’irais la chercher moi-même. Et je pourrais interroger un medium aussi et j’aurais la réponse. Alors ?
- En effet. Mais cela va vous servir à quoi de savoir cela ?
- Et bien, si elle est en haut, c’est moi le mécréant qui n’a pas vu toutes ses qualités, sa bonté, sa générosité. Et là je vais mourir en pensant que le tunnel d’en bas m’attend. Si par contre elle est en bas je me dis que j’ai des chances d’aller en haut et donc de ne pas la rencontrer à nouveau. Vous comprenez ?
- Dites-moi monsieur Anselme, il y a combien de temps que vous tenez cette auberge du bout des nuages ? 100 ans ? 500 ans ? plus encore ? Vous comme moi, monsieur Anselme sommes déjà en haut depuis longtemps, très longtemps. Alors, pourquoi se soucier de votre passage. Le livre dans lequel il est consigné est aux archives. Et c’est bien comme çà.
Je suis reparti en laissant maître Anselme songeur. Quelque chose semblait le chiffonner. La mort de sa femme il y a 20 ans peut-être ? Bizarre non ?
[1] C’est par référence au langage ancien que nous utilisons les mots haut et bas après avoir bannis les mots paradis et enfer. Après la révision des textes fondamentaux nous avons remplacés ces concepts par univers positif et négatif.
De dossier en dossier je naviguais sur mon territoire de passeur d’âme. Le monde était relativement en paix et le travail était facile.
J’étais ce jour-là triste comme une âme en peine, ce qui est un comble pour moi et mes semblables. Nous sommes 24, les anges de l’Apocalypse qui depuis des nuits et des jours faisons passer les âmes des défunts vers l’au-delà après avoir présidé aux prophéties de Saint Jean.
Je revoyais la femme dont j’avais rêvé toute ma folle jeunesse et que je n’avais jamais rencontrée et j’avais envie de pleurer. Que de temps perdu, que de caresses envolées comme des feuilles mortes, que de baisers dans le vide.
Les vers de Villon me taraudaient le crâne comme à chaque fois que je me désespère:
He, Dieu, si j’eusse étudié
Ou temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes mœurs dédié
J’eusse maison et couche molle
Mais quoi, je fuyoie l’école,
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole
A peu que le cœur ne me fend
Et la ballade des dames du temps jadis qu’a si bien chanté Brassens :
Dites moi ou, n’en quel pays
Est Flora la belle Romaine ;
Archipiade ne Thaïs
Qui fut sa cousine germaine ;
Echo, parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sus étang,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?
Quand la fatigue m’assaille, que le poids des siècles fait plier mes épaules je rejoins ma petite maison au creux de la montagne en pleurant les vers de Villon, de Ronsard, de du Bellay ou de l’évêque de Sens monsieur du Perron dont il faudra que je vous parle un jour.
Au pied de mes chères montagnes, l’air me parut déjà plus pur, les fleurs plus belles et les abeilles plus agiles. Je retrouvai sans peine le chemin caché conduisant à ma maison. Je descendis le cœur battant comme à chaque fois. Mon refuge aurait-t-il été découvert ?
Le premier coup d’œil me mit au désespoir. Le volet de la petite fenêtre était ouvert. Quelqu’un était venu, quelqu’un était peut-être à l’intérieur. Je m’assis sur un rocher, tremblant et désespéré. Les minutes passèrent et rien ne bougeait dans la maison. Il n’y avait pas de traces de pas autour d’elle et le jardin était comme je l’avais laissé à mon dernier passage. L’air bruissait du vol des abeilles, les papillons voletaient, insouciants et quelques piafs se chamaillaient dans une ambiance bon enfant, comme si rien d’extraordinaire s’était produit. Mais si, il y a du nouveau chez moi, il y a quelqu’un qui a violé mon territoire, qui est peut-être là à m’attendre pour me tuer. Non, çà, c’est déjà fait. Pour me voler, m’expulser de chez moi, me squatter. Et bien non. Je vais me battre, je vais faire fuir l’intrus avec les armes secrètes que Dieu m’a confié pour ce genre de difficultés.
- Bonjour Monseigneur
- Mais Blanche Neige qu’est-ce que vous faites là ?
- Je suis venue me réfugier pour échapper à ma belle-mère qui me poursuit toujours de sa jalousie. Je sais que votre maison est inconnue du reste du monde alors je me suis dit que là je serais en sécurité.
- Vous êtes seule ?
- Heu… pas vraiment.
- Comment ça ? Ne me dites pas que vous avez les 7 nains avec vous ?
- Je l’avoue, ils sont là avec moi pour me protéger avant votre arrivée.
- Mais, mais, ma maison est trop petite pour accueillir tout ce monde, comment allons-nous faire ?
- Vous savez Monseigneur…
- Arrêtez de m’appeler Monseigneur, appelez-moi Hippolyte s’il vous plait.
- Bien Monseigneur, oh pardon, bien Hippoliyte. Pourquoi Hippoliyte, c’est un prénom peu courant, je m’attendais à Jean ou Antoine…
- Et Blanche-Neige ce n’est pas un nom bizarre ?
- Excusez-moi Hippolyte, je ne dis plus rien.
- Revenons à nos problèmes de logement. Comment faire ?
- Et bien en vous attendant Hippolyte mes nains ont exploré les environs et dans la faille de la falaise ils ont découvert l’entrée d’une grotte qu’ils ont commencé à aménager.
Hippolyte se ronge les ongles. La convocation au tribunal des « Grands Auteurs Français » lui était arrivée ce matin par porteur spécial, un individu d’aspect indéfinissable : très grand, vêtu d’oripeaux d’un autre âge, visage émacié, petite barbichette pointue. Le tout faisait penser à Don Quichotte. Ce ne pouvait être lui bien évidement mais la ressemblance laissait à penser.
La convocation était rédigée de la manière suivante : le sieur Hippolyte Chlorate est convoqué devant le tribunal des Grands Auteurs Français le 26 juin 2017 à 10 heures au tribunal du village du pays des nuages pour fautes et manquements graves dans ses écrits passés, présents et à venir. Ce village, Hippolyte le connaissait bien. Il allait souvent rendre visite à maître Anselme qui tenait l’auberge à l’enseigne du « chat qui parle ».
Le titre du tribunal, « Grands Auteurs Français » laissait Hippolyte perplexe. Il n’avait jamais édité de livre pouvant se réclamer de la grande littérature française. Il ne voyait vraiment pas en quoi il avait transgressé des règles qu’il ne connaissait pas. Il aurait pourtant bien voulu les connaitre ces règles. Pendant longtemps, par paresse, il avait refusé d’écrire les mille histoires qui lui passaient par la tête. Il trouvait cela impudique et prétentieux. Et puis un jour il avait écrit sans trop de difficulté une histoire de princesse pour ses petites filles qui n’avaient accordé à cette histoire qu’une attention un peu condescendante. La retraite arrivée il avait pris la plume, plus par désoeuvrement que par goût d’écrire. Un petit roman de science fiction occupa un certain temps ses loisirs. Il finit par se dire : « Ne cherchons plus, rendons nous à cette convocation ».
Le voyage vers le pays des nuages se déroula selon la procédure habituelle. Maître Anselme accueillit Hippolyte avec les marques habituelles de respect et d’amitié.
- Bonjour monsieur Chlorate, je suis bien aise de vous revoir parmi nous. Quel bon vent vous amène au village ?
- Bonjour maître Anselme, je suis également heureux de vous revoir. Tout va bien ? Pas de problème dans le village ?
- Non, pas de problème juste une intense activité à laquelle nous ne sommes pas habitués. Figurez vous qu’un tribunal doit se réunir dans la salle paroissiale. Je n’ai plus une chambre de libre. Remarquez, je ne me plains pas, les affaires étaient un peu calmes et ces gens qui arrivent sont une aubaine. Mais vous ne m’avez pas dit ce qui vous amène parmi nous.
Après un gros soupir Hippolyte se décida à avouer qu’il était convoqué par ce fameux tribunal.
- Vous avez commis un crime monsieur Chlorate ?
- Non, non maître Anselme, c’est juste un problème lié à la littérature auquel je ne comprends rien. Savez-vous quand se réunit ce fameux tribunal ?
- Et bien, c’est assez simple. Un des visiteurs m’a demandé de prévenir le tribunal lors de votre arrivée, ce que je vais faire maintenant.
- Et comment le prévenez-vous ce tribunal ?
- En jouant un air de cor de chasse ce que je vais m’empresser de faire. Bon courage monsieur Hippolyte et passez me voir à la sortie du tribunal.
Hippolyte écouta l’air joué par maître Anselme, « La curée » avec un petit frisson d’appréhension. Aussitôt plusieurs hôtes de maître Anselme sortirent de l’auberge. Hippolyte leur emboîta le pas. Arrivé à la salle paroissiale Hippolyte hésita : entrer, ne pas entrer, attendre un signal ? Il décida d’attendre un signal lui signifiant ce qu’il avait à faire. Il s’installa contre le mur de la maison qui faisait face à la salle paroissiale et attendit. Il n’eut pas longtemps à attendre. Le grand escogriffe qui lui avait apporté sa convocation sortit du tribunal et vint vers lui. Sans un mot il lui fit signe de le suivre, ce qu’Hippolyte s’empressa de faire curieux d’enfin savoir ce qu’on lui reprochait. Son guide le fit entrer et le conduisit à la place qui ne pouvait être que celle de l’accusé : une chaise paillée au dossier droit et raide (comme la justice se dit Hippolyte). En face de lui une estrade sur laquelle se tenait une vingtaine de personnes. Beaucoup d’hommes et quelques femmes. Seules quelques personnes étaient habillées dans un style moderne. Hippolyte reconnu Fred Vargas, madame de Sévigné et bien entendu Giacomo Casanova. La plupart étaient accoutrées de vêtements d’un autre âge. La salle bruissait de murmures qui ne pouvaient être que des réflexions le concernant à l’évidence.
Le messager devenu appariteur qui s’était assis dans un coin de l’estrade se leva et s’avança vers le bord de l’estrade.
- Accusé levez-vous, nom, âge et qualité,
- Je m’appelle Hippolyte Chlorate, j’ai 79 ans et je suis retraité ou pensionné comme on dit en Belgique.
- Vous avez été convoque devant ce tribunal pour exercice illégal du métier d’écrivain, tricherie, plagiat et écriture de textes pornographiques. J’appel le premier juge, monsieur Jean de la Fontaine.
- Hippolyte Chlorate vous me reconnaissez ?
- Oui, monsieur, c’est en lisant vos fables que j’ai appris à lire. J’ai toujours un recueil de vos fables illustré par Gustave Doré.
- Et qu’avez-vous retenu de cette lecture monsieur Chlorate ?
- J’ai retenu une certaine philosophie de la vie dans Perrette et le pot au lait, un don extraordinaire pour la rime mais aussi une vision très éloignée de la réalité dans certaines de vos fables. J’irai même jusqu’à dire que certaines sont tirées par les cheveux. Par contre arrivé à un certain âge j’ai lu vos contes et j’y ai pris un grand plaisir…
- C’est assez, vous exercez plus facilement votre esprit critique, vos perfidies que des talents littéraires. Votre seul poème « sous ton chapeau » est d’une indigence rare. Ne comptez pas sur moi pour défendre votre dossier. C’est tout ce que j’ai à dire.
L’appariteur appela le juge suivant : Madame de Sévigné qui s’approcha du bord de l’estrade la mine refrognée et l’œil assassin.
- Monsieur Chlorate je vous accuse de plagiat, de pornographie et de trahison des faits historiques à votre seul profit. Reconnaissez-vous avoir écrit « Les trois Grâces » ?
- Je reconnais avoir écrit ce petit opuscule mais reconnaissez que je ne l’ai jamais publié.
- Encore heureux, ce texte est un tissus de mensonges : insinuer qu’il y a eu des relations sexuelles entre Ninon de Lenclos, madame de Lafayette et moi relève d’un esprit profondément malsain, vicieux. Vous ne méritez pas le nom d’écrivain.
- Je suis désolé de vous avoir causé de la peine, madame de Sévigné. J’aime beaucoup votre style, inimitable et la haute teneur de vos échanges avec votre fille madame de Grignan mais je vis à une époque ou la fiction et le sexe ont pris une place importante dans la littérature. Avouez que mon histoire est basée sur des faits réels : vos dates de naissance peuvent laisser supposer plein de choses. Je vous prie humblement de me pardonner.
Madame de Sévigné renifla, méprisante rejoignit sa place et fut remplacée par James Hadley Chase.
- Mister Chlorate j’ai formé de grands espoirs vous concernant quand j’ai vu qu’à l’âge de 11 ans vous dévoriez déjà mes romans dans la Série Noire. Oui de grands espoirs que vous n’avez jamais réussi à concrétiser. Je vous accuse de trahir le roman policier, oui monsieur de trahir la littérature policière. Votre seul et unique essai de roman policier est à pleurer autant par l’indigence de vocabulaire que par la pauvreté des caractères de vos héros. Votre roman faisant vivre 2 couples était une bonne idée et aurait pu réussir avec un peu plus de travail et de recherche. Vous avez oublié que le paradis du roman policier n’est pas l’Uruguay, c’est l’Amérique, que les flics corrompus, le whisky et la cigarette sont des éléments indispensables à la bonne tenue du roman policier. Vous ne serez jamais un romancier reconnu.
Hippolyte baissa le nez, reconnaissant la justesse des accusations de James Hadley Chase.
Celui-ci fut remplacé par Stefan Wul auteur peu connu mais talentueux de roman de science fiction.
- Monsieur Chlorate je partage tout à fait le jugement de mon collègue James Hadley Chase. Vous auriez pu écrire de grandes et belles choses. Votre imagination foisonnante mais mal guidée, mal traduite en phrases percutantes n’a jamais pu s’exprimer dans des textes de bonne tenue. Vos petites nouvelles ou plutôt vos ébauches de nouvelles sont mal construites et ne respectent pas les règles du genre.
Hippolyte Chlorate haussa les épaules sans soutenir le regard de Stefan Wul.
Venant du fond de l’estrade Giacomo Casanova et s’avança d’un pas rapide et assuré.
- Monsieur Chlorate je vous accuse de tricherie et d’usurpation d’identité. Le petit site que vous m’avez consacré, fort bien fait au demeurant, a été construit à partir de textes de célèbres casanovistes, textes que vous dites avoir traduits alors que vous avez utilisé un nègre comme vous dites aujourd’hui pour effectuer ces traductions. Vous vous êtes donné le beau rôle à moindre frais. Du fond de votre petite campagne normande, caché comme un renard dans son terrier vous avez sollicité l’aide d’éminents casanovistes en les flattant par des écrits laissant croire que vous étiez familier de la langue anglaise. Pire encore vous n’avez pas rémunéré votre traductrice. Moi monsieur je parlais français, grec et latin sans traducteur…
- Mais vous ne parliez pas non plus anglais monsieur Casanova..
- Ne détournez pas la conversation monsieur Chlorate. Je n’ai jamais caché que je ne parlais pas anglais et j’ai souvent dit avoir utilisé les connaissances d’Ange Goudar pendant mon séjour en Angleterre.
Une grande dame prit la place de Casanova. L’appariteur annonça : La comtesse de Ségur.
- Monsieur Chlorate j’ai mis de grands espoirs en vous quand vous avez écrit « La Princesse à roulette » et « la Princesse et le hérisson ». Ces deux petites histoires auguraient bien de la suite mais quand j’ai lu « la Princesse au bain » j’ai cru défaillir. Votre princesse est une abominable dévergondée. J’espère que vous ne l’avez pas donnée à lire à vos petites filles.
- Vous devez me croire madame la comtesse je ne leur ai pas donnée à lire, enfin pas encore.
A ce moment Hippolyte crut son calvaire terminé. Il n’en pouvait plus des critiques, accusations plus ou moins fondées. Il sentait bien qu’il était inutile de prendre la parole et se défendre. Les auteurs réunis sur l’estrade se consultaient à voix basse. Au bout d’un moment madame de Sévigné s’avança et fit la déclaration suivante :
Le tribunal des Grands Auteurs Français condamne le sieur Chlorate à :
1. prendre des cours d’écriture à ses frais.
2. Ecrire à ses correspondants en français pour leur avouer son incapacité à pratiquer verbalement ou par écrit la langue de Shakespeare.
3. Reprendre l’écriture de « la bande des quatre » afin de rendre ce mini roman acceptable. La version définitive devra être présentée au tribunal l’an prochain à la même date.
4. Ecrire un éloge argumenté de l’œuvre des écrivains présents.
La séance est levée.
Hippolyte repartir vers l’auberge du chat qui parle en marmonnant : bande de bavards prétentieux !!!
Cela devait arriver un jour.
Pour exercer mes discrètes activités spirituelles je me suis installé dans un petit village ou je passe pour un retraité aisé et peu causant, un taiseux comme on dit par ici. Ce tout petit village, se compose d’environ 132 âmes et près de 250 bêtes à corne. Je connais aujourd’hui un peu tout le monde sans pourtant avoir noué de relation étroite avec l’un ou l’autre.
Le maire et les adjoints sont de vieux ennemis d’école. Il n’y a plus ni curé ni école bien que l’église soit encore debout et les écoles, visuellement présentes, ont été transformées en logements. Les cabinets toujours présents au fond de la cour attestent d’une nombreuse population écolière. Il y a un siècle mon village sans être prospère comptait près de 250 habitants dont la plupart travaillait à la filature devenue auberge, puis dancing puis aire de jeu pour les vandales du coin et enfin gîte rural après qu’un parisien eut déboursé une somme considérable pour réhabiliter le lieu. Mon village est entouré de champs d’herbe et de maïs et tout près d’une forêt domaniale ou les pins Douglas ont remplacé les chênes et les hêtres d’antan.
Voilà pour le décor.
Pour l’ambiance, ce n’est pas parce qu’un village est tout petit que les haines ordinaires n’y prolifèrent pas avec la même vigueur que le liseron ou l’ortie. Un regroupement de communes discutable, un projet d’investissement démesuré et les discours s’enflamment, les pétitions circulent et les coups peuvent même pleuvoir. Jusque là rien que d’ordinaire, d’utile aux discussions entre voisins. Sauf que j’ai retrouvé le maire pendu. Je n’ai pas dit que le maire s’était pendu, notez la nuance. En effet, rien ne laissait prévoir un acte aussi regrettable. Notre maire était un jeune retraité des postes en pleine santé et autant que l’on puisse le savoir, sans souci particulier.
L’événement s’est produit un lundi d’octobre. Tous les lundis et jeudis soirs le maire ou un adjoint tiennent permanence à la mairie avec l’aide compétente de la secrétaire de mairie qui partage son temps entre 3 ou quatre communes voisines.
Ce lundi soir la secrétaire a attendu vainement l’arrivée du maire qui n’avait pas prévenu de son absence, inhabituelle pour lui.
Venu soumettre une demande de permis de construire pour un projet d’agrandissement d’un abri à bois j’ai attendu en papotant avec Georgette la secrétaire. Au bout d’un moment Georgette a pris le téléphone et appelé son domicile. Son épouse nous confirma que le maire était bien parti pour rejoindre la mairie. L’inquiétude commença à nous travailler. L’hypothèse d’un accident de voiture fut vite écartée car s’il avait eu lieu un voisin ou la gendarmerie nous aurait prévenus.
J’ai repris le petit chemin qui va de la mairie jusque chez moi et c’est sur ce chemin que j’ai découvert le maire pendu à la branche basse d’un marronnier.
Vous imaginez mon émoi. J’étais partagé entre dépendre le maire et courir téléphoner. J’ai regardé à nouveau mon maire pendu et là quelque chose m’a choqué. Il était pendu trop haut pour que je puisse agir. J’ai cherché sur le sol l’échelle ou l’escabeau qui aurait pu l’aider à accomplir son acte funeste. Je n’ai rien vu de tel sauf une grosse pierre qui manifestement n’avait pas sa place sur ce chemin fréquenté par de nombreux promeneurs.
Autre découverte surprenante le bout libre de la corde était noué à la branche basse d’un noisetier voisin. J’ai alors compris qu’on avait assommé le maire, qu’on avait lancé le nœud coulant au-dessus de la branche avec la pierre, qu’on avait pendu le maire et qu’on avait bloqué la corde en la nouant au noisetier. Pourquoi un pareil stratagème décelable aussi facilement que je l’avais fait ?
Je suis revenu à la mairie et là j’ai informé la secrétaire qui a appelé la gendarmerie. Bien évidemment les soupçons des gendarmes se sont aussitôt portés sur moi. J’étais passé par ce chemin pour venir à la mairie, donc je faisais le coupable idéal. Selon leurs déductions évidentes, j’avais assassiné le maire avant de venir à la mairie. Rien de mes explications ne les faisait démordre de leur version. Argument supplémentaire la voiture du maire fut retrouvée sur le parking de ma chaumière. Parking est un grand mot pour le petit coin de terrain qui sert à garer 2 voitures tout au plus. Une délégation gendarmesque s’est rendue au domicile du maire pour informer son épouse de la mort de son mari et des circonstances de cette mort.
Par ses déclaration l’épouse du maire vint à mon aide en déclarant que son mari avait bien prévu de s’arrêter chez moi avant de monter vers la mairie pour me rendre un outil que je lui avais prêté. Elle confirma également qu’aucun conflit ne nous séparait. Ma femme de ménage confirma que le maire avait bien rendu l’outil mais comme j’étais parti avant son arrivée il avait décidé de se rendre à la mairie par le même chemin que celui que j’avais pris. Là les gendarmes ont commencé à douter de leur version des faits.
J’ai été autorisé à rentrer chez moi avec bien entendu l’interdiction de me déplacer.
J’ai eu du mal à m’endormir. Assassiner le maire, rien de plus simple dans un chemin peu fréquenté. Et d’autres endroits auraient aussi bien convenu. On se croise, on échange quelques mots et quand le maire tourne le dos pour reprendre son chemin on l’assomme d’un coup de canne bien appliqué. Pourquoi une telle mise en scène qui fait penser à la pendaison d’un bandit après un jugement rapide dans les plaines du Far West. Cela cacherait-il une vengeance ?
Autre hypothèse, l’objectif était-il de faire porter l’accusation sur moi ? Ce n’est pas évident et le moyen choisi quelque peu aléatoire. Il est vrai que les gendarmes n’ont pas hésité à me soupçonner et je suis toujours le premier suspect. Qui peut affirmer ou prouver qu’il n’y avait rien entre nous ?
Pour me faire supporter cet assassinat le coup de la pendaison était assez mal pensé. La solution la plus simple aurait la lettre anonyme. Il suffisait à l’assassin d’attendre quelques jours et puis d’envoyer une lettre anonyme me désignant comme l’assassin du maire. L’auteur de la lettre pouvait facilement être trouvé car les habitants ayant vue sur le chemin ne sont pas nombreux.
Bien évidemment un coupable m’est tout de suite venu à l’esprit mais il n’était pas le seul possible. Je ne connais pas intimement tous les habitants du village. Il y a les anciens qui sont encore nombreux et qui se connaissent tous, qui organisent les évènements marquants de la vie villageoise : le comice agricole tous les quatre ans, le repas des anciens que l’on appelle aujourd’hui le repas des aînés, c’est plus chic, le repas aux tripes de l’association de pêche. IL doit bien y avoir quelques rancœurs cachées entre les uns et les autres. Je sais qu’Octave Barouette un des derniers agriculteurs en activité n’apprécie pas les lettres recommandées du maire qui lui reproche de salir les routes avec le lisier qui s’échappe régulièrement de ses remorques. Si le maire lui envoie du courrier c’est que les remarques verbales sont sans effet. Je sais aussi que deux ou trois anciens en veulent au maire d’avoir fait adopter une résolution qui rattachait notre commune à la commune voisine, plus grande.
Mon premier suspect, Jules Simonet est un habitant de fraiche date du village et a été un des plus virulents dans cette bataille entre les tenants du rattachement à la commune voisine et ceux qui s’y sont opposés sous prétexte d’un avenir fiscal plus lourd. C’est un homme qui s’est montré violent lors de la réunion d’information des habitants.
L’autre suspect est le fameux Octave Barouette, éleveur de vaches à lait, bourru et facilement colérique. Il traite son bétail avec des méthodes qui me hérissent quand j’en suis témoin. Je me permets d’ailleurs dans ces circonstances de suggérer à la vache concernée une attitude offensive qui calme un peu l’Octave puis je lui glisse à l’oreille de fuir et de faire courir cet imbécile qui n’a pas encore compris qu’une vache coopère d’autant plus facilement qu’on la traite dignement.
Un autre agriculteur Arthur Ribaud qui se limite à l’élevage de poulets en batterie est un manipulateur sournois qui a organisé une bronca contre le maire dans l’affaire en question. Il y a aussi le militaire en retraite Albert Plaisance qui partage son temps entre les sociétés pétrolières pour lesquelles il fait du gardiennage armé au large des côtes africaines et ses activités de gentleman farmer au village. Ce sont mes quatre suspects.
Lors d’un seconde interrogatoire, cette foi-ci par le juge d’instruction j’ai pu sentir que la force des soupçons s’amenuisait et que l’on commençait à envisager d’autres suspects. Dans ma perfide description des habitants du village je ne me suis pas privé de citer les susnommés. Les gendarmes ont donc commencé à vérifier les emplois du temps des uns et des autres. L’atmosphère s’est alourdie dans le village et les commentaires des partisans du maire sont vite devenus des accusations. J’écoutais les uns et les autres en sentant bien que je faisais aussi parti des suspects.
Aucune preuve tangible d’accusation n’étant apparue l’affaire commença à intéresser les sourciers et devins qui se répandirent dans la presse locale en sous-entendus sournois sur untel ou untel.
Au bout d’un certain temps de réflexion je pris les choses en main avec mes méthodes et mon expérience de l’inconnu.
Je suis parti de la déduction que l’auteur du meurtre ne pouvait être un habitant du village.
La mise en scène de la pendaison ne correspondait pas aux mœurs d’ici et aucune preuve n’avait été apporte sur l’implication d’un habitant du village.
Il fallait chercher ailleurs. L’enterrement du maire fut l’occasion d’observer les comportements des uns et des autres. La cérémonie religieuse fut célébrée par le père dominicain, natif du village qui revenait autant que possible se reposer chez nous.
Pendant la messe je survolais virtuellement l’assistance afin de ressentir les sentiments des personnes présentes. Beaucoup étaient venues par respect des conventions, d’autres étaient sincèrement peinées et la famille, nombreuse montrait un chagrin sincère. Une seule personne me montra les signes d’une satisfaction évidente ce qui en cette circonstance était assez surprenant. Je mémorisais la figure et l’habillement de mon suspect.
Quelques jours après j’allais discuter avec Arlette, la veuve du maire, de cette cérémonie et lui proposer mon aide pour l’aider dans les démarches administratives hélas nécessaires.
Nous parlâmes des présents à la cérémonie, de ceux qui s’étaient fait excuser et des absents.
Je choisis un moment de silence pour parler de mon inconnu en le décrivant comme ma mémoire pouvait me le permettre. L’attitude et la réponse de la veuve me firent tiquer. Elle m’affirma d’abord ne pas le connaître puis sur mon insistance finit par admettre qu’elle avait du le rencontrer un jour sur son travail. Je n’insistais pas.
Mon premier problème à résoudre fut de retrouver l’inconnu que je soupçonnais. Lors d’une rencontre apparemment fortuite avec le capitaine de gendarmerie je lui demandais s’il avait relevé des empreintes sur la pierre trouvée près de l’arbre du pendu. Sa réponse évasive me fit comprendre qu’il n’en était rien. Je me fis un plaisir d’insister en disant qu’il n’avait pas plu depuis des semaines et que les empreintes devaient toujours être identifiables. Il me remit brutalement à ma place mais il me quitta tout aussi brutalement pour suivre ma suggestion. Je n’étais guère avancé. Je revins vers la veuve afin de continuer mon enquête, persuadé que j’étais de trouver dans la vie du couple une explication à ce meurtre. Elle et son mari étaient tous deux divorcés d’un premier mariage. Le premier mari d’Arlette dont elle avait eu deux enfants que je connaissais bien était un homme violent qui avait mal supporté la séparation et qui accumulait les procédures pour retarder le divorce. Piste intéressante que je m’empressais de suivre avec délectation. Je me suis mis à la recherche de ce mari trompé et je l’ai vite retrouvé dans la ville que m’avait cité Arlette. Je me suis mis à fréquenter son bar favori. Un jour que je buvais une bière à côté de lui au bar j’ai maladroitement fait tomber de ma poche deux ou trois papiers qu’il m’a fort obligeamment aidé à ramasser. J’ai ouvert mon portefeuille dans lequel il a posé les papiers éparpillés sans que j’aie à les toucher. Je l’ai bien entendu remercié et j’ai offert une tournée acceptée sans manière.
Le lendemain j’ai pris rendez-vous avec le capitaine de gendarmerie qui était tout content de m’annoncer que les empreintes trouvées sur la pierre, bien avant que je lui en parle (ben voyons) étaient inconnues au ficher central de la police et de la gendarmerie. A ce rendez-vous je ne lui pas fait part de mes recherches. Je lui ai simplement donné les papiers porteurs d’empreintes en lui demandant de les comparer avec celles trouvées sur la pierre.
Son ton est devenu tout à coup moins amical et c’est avec des menaces non voilées qu’il m’a demandé d’où je tenais ces empreintes, pourquoi je menais une enquête faite pour me disculper et patati et patata. J’ai résisté vaillamment et je suis parti sans le renseigner.
Deux jours après il est venu me voir pour m’informer de la concordance des empreintes.
Il avait compris que je connaissais l’assassin et minauda sans vergogne pour que je lui en dévoile le nom.
C’est là que je l’attendais.
- Et après mon capitaine, vous ferez quoi ? Vous irez l’interpeller et engager avec lui une longue suite d’interrogatoires dont il finira par s’en sortir car c’est un malin et il sait que vos arguments ne sont pas des preuves, juste des soupçons fondés. Laissez-moi faire je vais vous amener les aveux qui vous permettront de l’arrêter.
- Monsieur Chlorate, je vous donne un mois, pas plus, pour m’apporter la preuve de culpabilité de votre suspect. Après ce délai si, vous n’avez pas abouti je vous inculpe pour entrave à la justice. De toute façon, de notre côté l’enquête aura abouti.
- D’accord mon capitaine, à bientôt.
Je suis retourné au bistrot de mon assassin et nous avons commencé à échanger les banalités habituelles. Je ne lui posais aucune question. Je ne lui parlais même pas du maire pendu de mon village. Bien entendu je lui ai dit que j’habitais en HHM dans sa grande ville et que je travaillais dans une imprimerie. On parlait des femmes, de mariage, des enfants. Après quelques soirées apéritives (je le rencontrais tous les jours) je lui ai dit un jour que j’avais de la famille dans le village du maire pendu et que les soupçons se portaient sur un habitant du village, il paru soulagé. Le lendemain je lui ai parlé de la pierre et des empreintes retrouvées dessus et qui n’avaient pas été identifiées. Deux jours après, revenant sur ce problème d’empreintes je lui parlais de la technique qui consiste à prendre les empreintes d’un suspect sans qu’il s’en aperçoive. Ce jour-là il m’a longuement regardé et est sorti rapidement du bar. Le lendemain il n’est pas venu au bistrot mais il est venu le surlendemain et cette fois-ci je lui ai parlé de l’ancien mari de la femme du maire qui, à mes yeux était l’auteur du crime. Je précisais que la gendarmerie n’était pas encore sur cette piste. Il comprit que moi seul le soupçonnais. Il ne lui restait plus qu’à m’éliminer. Ce qu’il tenta de faire deux jours après avec un pistolet. Il me tira quatre balles dans le dos sans que j’en éprouve les effets destructeurs. Je me suis retourné en souriant et lui dis : il reste une balle dans ton pistolet. Fais-en bon usage. Il a retourné l’arme contre lui sans avoir vu les policiers dans son dos.
Les policiers s’excusèrent d’être arrivés en retard et ne comprirent pas comment je pouvais être encore en vie après avoir reçu quatre projectiles de 9mm. Je suggérais que peut-être le pistolet était en partie chargé à blanc, peut-être.
J’habite une petite maison à la campagne. Cette maison est une ancienne petite ferme rénovée par l’ancien propriétaire après avoir été longtemps abandonnée et que j’ai continué à moderniser en effectuant plusieurs aménagements. J’ai fait refaire la cheminée et modifier la véranda et même isolé le grenier ou j’ais mis quelques planches pour y circuler sans traverser le plafond assez mince. Bien évidemment je ne monte quasiment jamais dans ce grenier depuis que l’antenne de télévision a été remise à l’extérieur. Le précédent propriétaire l’avait installée dans le grenier pour échapper, je pense, à la taxe télé supprimée depuis.
Ce grenier est donc sans mystère, enfin, il l’était jusqu’à cet été. Les mois de Juillet et Août ont été particulièrement secs et chauds. Il n’avait pas plu depuis plusieurs semaines. La température dans les chambres est montée jusqu’à 26 degrés Celsius malgré l’isolation. Les nuits sont longues quand la chaleur nous empêche de dormir. On change de place fréquemment en espérant trouver un coin de drap frais, fraicheur qui ne dure que quelques instants.
La première fois ou, n’arrivant pas à trouver le sommeil, j’ai commencé à écouter les bruits du grenier plus attentivement que d’habitude était un mercredi 10 août. J’ai d’abord pensé à une souris venant explorer les lieux. Puis à un oiseau entré là par erreur d’orientation : Il y a en effet sur le pignon ouest un trou dans le mur par ou passe le fil de la télévision mais assez grand pour laisser passer un oiseau même assez gros. Surement pas des chauves-souris. Elles savent mieux s’orienter que moi dans le noir entre 4 murs. Une couleuvre peut-être dont on connait la capacité à grimper le long d’un mur. Perplexe et avec un peu d’inquiétude devant ces bruits insolites je me suis rendormi.
Le lendemain matin mes questions de la nuit me sont revenues à l’esprit et je m’en suis amusé. C’est extraordinaire cette modification des perceptions et des angoisses la nuit. Tout y parait plus inquiétant, dangereux.
La journée de jeudi s’est passée sans incident particulier. La nuit venue était aussi chaude que la précédente et les bruits ont repris. Je crus même entendre quelques voix, ou du moins des sons qui ressemblaient à des paroles. Je suis monté sur une chaise pour être plus près du plafond. J’ai nettement entendu :
- Au secours, de l’eau, de l’eau par pitié.
Vous imaginez mon étonnement. J’ai d’abord pensé que mon imagination sous l’effet de la chaleur me jouait des tours. Pour en avoir le cœur net je suis allé chercher dans la grange la petite échelle dont je me sers pour visiter le grenier.
La trappe du grenier se trouve dans un espace assez grand que j’ai aménagé en penderie, pardon, un dressing dans le langage d’aujourd’hui.
Sans faire de bruit pour ne pas réveiller mon épouse j’ai ouvert la trappe et positionné avec précaution ma petite échelle afin de ne pas réveiller mon épouse qui dormait dans la chambre d’amis comme nous le faisons l’été quand la chaleur nous rend la proximité de l’autre insupportable.
A partir de cet endroit de mon récit je vous supplie de garder pour vous ce que je vais vous raconter. C’est une question de vie et de mort. Ce que je vais vous dire est tellement extraordinaire que seuls des esprits anormalement[1] équilibrés peuvent admettre sans protester.
Sur le plancher que j’avais conservé en le posant sur la laine de roche, juste sous mon nez se tenait un petit personnage d’environ quinze centimètres de haut. J’ai bien dit : quinze centimètres. Habillé comme dans les tableaux de Jérôme Bosch, des chausses jaunes, un pourpoint mauve et une ceinture de cuir fauve. Le chapeau faisait penser au chapeau de Robin des bois. Un collier en or qui me rappelait quelque chose pendait sur sa poitrine. Il semblait être âgé de 40/50 ans d’après les fines rides qui prolongeaient l’ovale de ses yeux. Ses oreilles m’ont semblées légèrement pointues. Il tendait vers moi une mini boîte de conserve en disant : de l’eau, je vous en supplie donnez-moi de l’eau. J’ai obtempéré sans réfléchir et je suis allé chercher une bouteille d’eau minérale et j’ai rempli sa boîte. Il est parti en courant et revenu quelques minutes après faire le plein à nouveau. Au dixième voyage il s’est arrêté et s’est assis, sur la planche, sous mon nez et m’a tout expliqué.
- Nous sommes une tribu d’elfes de la forêt d’Andaines qui a cru prudent de chercher l’abri d’une maison d’humains inhabitée car les logis creusés dans la terre de la forêt devenaient trop humides. Nombre de nos parents sont morts par la faute de cette humidité propice au développement de maladies incurables pour nous malgré nos connaissances en remèdes efficaces dans la plupart des cas mais sans effets sur ce qui nous accablait. Nous avons fui l’humidité pour trouver aujourd’hui la sècheresse et sans votre aide nous allions bientôt tous mourir. Quand cette maison a été rachetée nous sommes partis et ne somme revenus que lorsque ce fut vous qui en êtes devenu l’acquéreur.
Trop de questions se bousculaient dans mon esprit pour les mettre en ordre et l’interrompre pour les lui poser. J’attendis donc la fin de son récit. Pendant celui-ci d’autres elfes étaient venus nous rejoindre et formaient autour de l’orateur un cercle muet mais attentif. Ils étaient tous d’une grande beauté et tous me regardaient avec des yeux étonnés.
Je lui demandais enfin pourquoi, aujourd’hui ce besoin d’eau. Sa réponse fut toute simple, évidente. Parce que la sècheresse avait vidé les gouttières ou d’habitudes ils se ravitaillaient et les réserves étaient à sec. Mais vous n’avez pas seulement besoin d’eau, vous devez aussi vous nourrir. Je n’attendis pas la réponse car j’entendais mon épouse ravauder dans sa chambre. Je fermais la trappe et laissais l’échelle dans un coin du dressing.
Je ne me suis pas recouché et nous sommes descendus déjeuner et nourrir les chats qui sont au nombre de 6 par la volonté du seigneur et de la sexualité débridée des chats de campagne. Mon épouse s’étonna de mon silence pendant le déjeuner. Je prétextais une nuit agitée pou expliquer mon mutisme qui n’était pas exceptionnel car je ne suis jamais très bavard. On me traite même de taiseux.
Je fais, après chaque repas de midi une petite sieste et ce jour-là elle fut plus longue que d’habitude. Je m’endormis, écrasé de fatigue en marmonnant ; des elfes dans mon grenier, des elfes, des elfes…
Je passais l’après-midi à ruminer une foule de questions en attendant impatiemment la nuit pour retrouver mes nouveaux locataires, et peut-être de nouveaux amis ?
La nuit venue j’ai refait les mêmes gestes que la nuit passée en installant ma petite échelle. J’ai monté un jerrycan de camping en plastique plein d’eau afin d’éviter de monter des bouteilles une par une. Mon initiative ne reçut pas l’approbation que j’attendais. La bouteille d’eau bien fraiche sortant de la cave était préférable m’ont-ils dit, ce que je dus bien admettre. Je laissais néanmoins le jerrycan pour fournir l’eau de la toilette. Il est vrai que les gouttières et le fossé qui borde mon jardin était à sec.
J’ai demandé à voir l’installation de cette communauté d’elfes dans mon grenier. Celui qui semblait être le chef et qui m’avait interpellé pour me demander de l’eau me fit monter complètement dans le grenier ou l’on peut se tenir debout dans la partie centrale. Et là un spectacle hallucinant s’offrit à moi. Une guirlande de noël (je compris alors où elle était passée) zigzaguait entre les poutres et éclairait tout un village miniature. La guirlande était branchée sur la prise de courant que j’avais installée pour brancher la lampe baladeuse. C’était fabuleux : Je croyais voir une maquette hyper réaliste : beauté du lieu, ingéniosité des installations, tout m’émerveillait. La communauté semblait composée d’une vingtaine de personnes adultes et d’une dizaine d’enfants. Les rues entre les maisons étaient faites de paillis de lin venant sans hésitation des mes massifs de rosiers et les petites maisons étaient faites de morceaux de bois, lattes de peuplier de caisses à fruits stockées sous mon abri à bois. Manifestement tout notre logement était bien connu. Accrochées aux poutres de petits paniers contenant manifestement des réserves de nourritures et un ou deux bidons à lait que j’avais du acheter en brocante et qui avaient mystérieusement disparu avaient du servir de réservoir d’eau. Mille questions se bousculaient dans mon cerveau. Quelle nourritures, quelles sorties pour s’évader du grenier, quelles activités autres qu’alimentaires. De jour en jour les réponses me parvinrent, parfois étonnantes, parfois tout à fait banales.
Moi, je n’avais qu’une question. Que faites-vous chez moi ? Pourquoi vous êtes-vous découverts ? Bon d’accord ça fait 2 questions. Nous nous sommes découverts à vos yeux parce que vous êtes Hippolyte Chlorate, un nom révéré chez les elfes. Vous êtes bien l’Hippolyte Chlorate qui vient déjeuner de temps en temps chez maître Anselme ? Je ne pus qu’acquiescer.
- Mais vous êtes les seuls elfes de ma connaissance qui squattez une maison d’humain ? Ca ne s’est jamais vu.
- Vous avez raison mais nous avons cru pouvoir rester invisibles. Le réchauffement climatique, le bouleversement des saisons ont eu raison de nous.
- Qu’allez-vous faire maintenant ?
- Nous avons tenu conseil et nous avons une proposition à vous faire. Vous rêvez d’acquérir un château. N’est-ce pas vrai ?
- Effectivement mais ce n’est qu’un rêve car je n’ai pas les moyens de l’acheter et encore moins de l’entretenir.
- Nous sommes riches et nous pouvons à la fois résoudre votre problème et le notre. Voilà ce que nous vous proposons. Nous avons un trésor de pièces d’or caché dans la forêt. Nous vous en donnons une partie suffisante pour acheter votre château, l’entretenir et entretenir cette maison ou vous ne viendrez que de temps en temps pour donner le change. Cette maison sera dorénavant la notre.
- Je comprends bien votre proposition et vous en remercie mais je ne peux pas aller trouver le vendeur du château avec une brouette remplie d’or.
- La solution est simple. Vous chargez votre break de l’or, vous allez en Suisse à la banque dont nous vous donnerons les coordonnées et là-bas vous échangez l’or contre des euros.
- D’accord mais si je suis arrêté par la douane ?
- Ils ne verront dans votre coffre que des parpaings.
- Ah bon. Vous pouvez changer momentanément l’or en parpaings ?
- Ou en autre chose si vous avez une meilleure idée.
- Mais vous ne pouvez pas rester indéfiniment dans cette maison. Un jour ou l’autre vous serez découverts et le mystère des elfes aboli.
- Et bien nous retournerons dans la forêt qui a été le berceau de notre communauté pendant des siècles.
- Je peux vous faire moi aussi une proposition ?
- Bien entendu, je vous écoute.
Je possède dans les Alpes la maison de mes rêves. Elle est bien cachée au milieu des arbres et quasiment inaccessible. J’ai construit cette maison en montagne sur une plateforme inabordable sauf par un chemin invisible que moi seul connais. C’est une maison que j’ai construite, peu à peu pendant des années soit en apportant les matériaux nécessaires au prix d’efforts que je ne ferais plus aujourd’hui, soit en utilisant ce que je pouvais trouver sur place. Quand l’envie ou le besoin se font sentir je prends la route et j’y retourne. Mon petit chemin (qui commence loin de la falaise qui surplombe ma maison) est parfois envahi par les broussailles, alors je nettoie, je coupe les plus grosses branches, je déplace les pierres qui sont tombées pendant mon absence et qui encombrent le sol. Cela peut prendre plusieurs heures d’efforts méticuleux. Mais je suis patient. Quand j’ai terminé je vérifie que rien de trop voyant en décèle la présence et je descends jusqu’à ma maison. C’est à chaque fois un moment intense. Est-elle toujours là, quelqu’un l’a-t-il découverte et saccagée. C’est l’angoisse. Et puis je la découvre et elle me semble telle que je l’ai quittée la dernière fois.
Je vous la décris telle qu’elle m’apparait pour commencer. Elle est tout en bois, noirci par le temps et certaines planches sont disjointes. Les murs sont faits de deux parois de bois séparées par un espace rempli d’herbes, de feuilles et de glaise. Le toit est en bardeau recouvert de terre ou pousse une herbe maigrichonne et quelques gentianes toutes surprises de se trouver là. La paroi côté falaise est séparée de celle-ci par un espace de 50 cm environ pour permettre à l’eau de ruissellement de s’écouler sans mouiller mon mur. Tout autour de la maison j’ai creusé une rigole pour permettre à l’eau de s’évacuer comme je l’avais appris lorsque j’étais scout et que nous montions la tente. C’est une gouttière au sol. L’unique fenêtre de 4 petits carreaux qui peut s’obturer par un petit volet est sur le côté gauche quand on regarde mon logis de face. La porte est sur le côté droit. Devant la façade pousse un bouleau qui fait que vue de loin ma maison secrète se confond avec un rocher noirci par le temps. Des digitales, quelques marguerites brisent la rectitude des angles. De la montagne d’en face on ne voit rien de particulier, je l’ai vérifié. Bien sur on se dit, tient c’est curieux cette plateforme assez grande de l’autre côté. L’à-pic qui la surplombe laisse penser qu’elle est inaccessible. Par le bas seuls des alpinistes expérimentés pourraient monter jusqu’à mon refuge. Mais pourquoi le feraient-ils ? Il n’y a pas de sommet à conquérir, c’est un paysage à la limite de la moyenne montagne et des sommets prestigieux.
A dix mètres sur la gauche donc côté fenêtre coule une petite source alimentée par la montagne et ses neiges qui nous surplombent. Sur le devant je cultive quelques plants de pomme de terre disséminés dans l’herbe et certaines années un petit carré de blé qui ne ressemble à rien car quand je dis carré, c’est pour utiliser l’expression commune. Je ne vous ai pas dit qu’elle était face au sud et donc que l’humidité n’était pas un souci. Vous la voyez maintenant ?
La porte est parfois difficile à ouvrir mais elle cède en général de bon cœur. Il n’y a qu’une pièce. Le sol est en terre battue avec quelques roches qui pointent, il ne peut donc pas se cacher de souris sous le plancher. Tout au fond il y a une petite cheminée en pierres assemblées à la glaise dont le conduit, miraculeuse découverte, débouche dans une faille de la falaise qui surplombe la maison. La fumée quand je fais du feu, se disperse dans cette faille et est absolument invisible d’où que l’on observe. De toute façon je n’y fais brûler que du bois sec.
Sur la gauche, face à la fenêtre une table avec une chaise. Cette table me sert aussi bien de bureau pour écrire que de support pour mon assiette ou mes outils quand j’ai besoin d’effectuer un petit bricolage. Côté façade un lit, ou du moins ce qui en tient lieu : quatre planches, de la paille mêlée de foin et quelques couvertures achetées dans un surplus de l’armée du temps ou ce genre de magasin existait encore. Ce lit est orienté nord sud. Je vois donc la fenêtre à ma gauche et la porte à droite : vieux réflex de mauvais garçon, je n’ai pas d’ouverture dans le dos.
Mes réserves de nourriture sont stockées dans des boîtes en métal fermant hermétiquement. J’ai mis du temps à trouver cette solution car au début j’avais fait des petits meubles, très jolis bien que rustiques. Mais les souris ou autres rongeurs profitaient de mes absences pour se régaler à bon compte. Je me souviens qu’une fois j’ai découvert une souris qui s’était installée dans le baquet ou je stockais mon blé. J’avais du mal fermer le couvercle car la coquine s’était glissée dessous et installée sur mon stock de blé. Elle avait rassemblé tous les brins de paille et de balle pour se faire son nid au centre exact du baquet. Elle vivait comme Picsou sur un trésor de blé. Je ne l’ai pas tuée, je l’ai attrapée et libérée avec un verre de blé à titre de consolation[i].
Bien entendu la pièce est sombre mais cela me convient. Face à ma petite cheminée j’ai fabriqué un fauteuil en branches de bouleau avec du foin comme coussin. Dans cette maison ma hantise est le feu alors je prends toutes les précautions nécessaires. J’éteins toujours soigneusement ma bougie et je ne me couche que quand les braises du feu ne sont plus que de la cendre.
Le matin, toujours aux aurores, pour ne pas être vu je fais mes ablutions au pied de ma source. L’eau est glacée mais je m’y suis habitué et je rentre déjeuner parfaitement réveillé et décrassé. C’est après déjeuner (une tranche de pain avec de la confiture de mûres et un verre d’eau) que je m’installe à ma table pour écrire les histoires d’Hippolyte Chlorate. J’ouvre mon vieil écritoire de marine et je sors mon cahier, le stylo et les cartouches d’encre Waterman. Par la fenêtre je vois quelques branches remuées et le soleil se lever quand les nuages lui font un peu de place.
Quand le temps le permet je reprends l’ascension de la falaise et je vais récolter quelques racines comestibles. Au printemps je fais ma cure de sève de bouleau. Vous ne connaissez pas ? C’est très simple : avec une petite tarière à main vous percer le tronc du bouleau sur un tiers du diamètre, jamais plus, en biais, le trou dirigé vers le bas. Avec un couteau vous relevez un morceau d’écorce qui vient affleurer le trou que vous venez de percer. Vous accrochez un récipient, verre ou gobelet sous cette languette d’écorce avec une ficelle qui fait le tour du tronc et le lendemain vous avez un verre plein de sève sucrée. Plus le trou est percé haut plus la sève est sucrée mais moins abondante qu’en bas[ii].
- Je vous arrête Hippolyte, nous aussi nous connaissons les ressources de la forêt. Par exemple au printemps c’est la saison des pousses de fougères cuites comme des asperges. Essayez, vous verrez c’est délicieux. Les racines de raiponce sont aussi l’occasion de faire des galettes avec une pâte légèrement parfumée. Et les oignons d’orchidées sauvages que les gens d’orient appellent le salep. Mais je vous ai interrompu, excusez-moi.
- Vous avez surement plus de connaissances de la nature et de ses secrets que moi. Je reprends :
Quand je ne sors pas, ce qui est le plus fréquent je me partage entre les tâches ménagères et l’écriture avec beaucoup de poses rêveries qui me servent à construire le monde dans lequel je vis. Il m’arrive souvent d’observer la montagne d’en face à la jumelle et de sortir dans mon jardin si l’autre côté est vide de présence humaine. Mon jardin n’est pas grand, environ 20 mètres sur 10. On y trouve les plantes habituelles de la moyenne montagne parmi lesquelles poussent mes petits légumes. C’est plus une distraction qu’un potager pouvant me fournir ce dont j’ai besoin. C’est dans cette maison que je vis mes heures les plus douces. C’est la maison dans laquelle je me réfugie quand je ne me sens pas bien, quand la déprime me gratouille. J’ai commencé à l’imaginer il y a plus de vingt ans le soir avant de m’endormir. D’année en année sa forme, sa position, son aménagement se sont précisés. A chaque fois que j’imaginais un meuble nouveau, une manière différente d’y habiter je m’endormais détendu, ayant oublié les ennuis quotidiens. C’est une maison qui n’existe que dans ma pauvre tête un peu fêlée et qui me sert à me réfugier quand tout va mal. Je n’y vais pas souvent depuis quelques temps. J’y vais juste pour l’entretien et vérifier qu’elle est toujours là, prête à me consoler. Quand les heures ultimes approcheront c’est là que j’attendrai mon passage de l’autre côté du Styx. Cette maison peut être la votre si vous le souhaitez.
- Voilà qui est parlé Hippolyte. Cette maison dans la forêt est notre rêve à nous les elfes. Demain nous irons chercher l’or et dans un mois vous aurez votre château et nous, nous aurons votre maison rêvée. Mais que va devenir la maison ou nous sommes aujourd’hui ?
- Je pense qu’un malencontreux incendie se chargera d’effacer vos traces et les miennes.
Ce qui fut dit fut fait, enfin dans cette histoire.
[1] Ce n’est pas une faute de frappe, j’ai bien écrit : anormalement
[i] authentique
[ii] Recette vérifiée
Avez-vous remarqué que dans beaucoup de cimetières il y a au moins une chapelle ou du moins quelque chose qui ressemble à une chapelle avec porte en fer forgé ? Un truc prétentieux en granit et fer forgé.
Oui et alors ?
Et bien entendu vous supposez qu’il s’agit d’une marque de respect à la gloire du défunt ? Si vous avez un esprit mal placé vous ajoutez que c’est encore une marque ostentatoire du niveau social et de la richesse de la famille ?
Je n’ai pas l’esprit mal placé que vous dites. D’abord je ne vais dans les cimetières que par obligation.
Peut-être, peut-être… mais vous n’avez jamais poussé la porte de la grille en question ?
Ben non, pourquoi faire ? Il n’y a que des cercueils dans ces monuments.
Vous n’avez pas tout à fait tord. Il y a effectivement des cercueils, en plus ou moins bon état selon la date de mise en bière des défunts.
Et vous, vous êtes allé voir ? Vous n’avez pas eu peur ?
La première fois j’avais peur, comme tout un chacun. Mais ma curiosité a été la plus forte. Je suis entré.
Et alors ?
J’ai fait une découverte intéressante.
Quoi ? Racontez, vous aves l’air d’hésiter. Qu’est-ce que vous avez découvert ?
Une porte et derrière la porte un escalier.
C’est pas vrai, vous racontez une histoire pour me faire peur.
Non, non, ce n’est pas vous faire peur, juste pour vous faire comprendre que les apparences sont parfois trompeuses. J’ai descendu l’escalier. Un bel escalier d’ailleurs, propre avec de petits lumignon qui l’éclairaient gaiement un peu comme des feux follets. Je suis descendu. Plus je descendais plus j’entendais distinctement une musique, une belle musique, gaie, entrainante. Arrivé en bas j’ai découvert une salle de bal immense avec plein de gens qui dansaient.
Oui, je vois, des bobos qui avaient transformé le cimetière et son sous-sol en boîte de nuit.
Arrivé en bas de l’escalier une espèce de majordome est venu me saluer. Je me suis présenté : Hippolyte Chlorate pour vous servir. Le majordome s’est incliné devant moi et puis s’est retourné vers l’assemblé en claquant des mains.
Mesdames, messieurs, un peu d’attention s’il vous plait. Nous avons la visite de notre guide, j’ai nommé Hippolyte Chlorate !!!!
Il connaissait votre nom ?
Bien entendu, nous sommes de vieilles connaissances. Aussitôt après son appel j’ai été entouré comme une diva du showbiz.
Laissez-moi vous raconter mes échanges avec mes groupies.
Là Hippolyte vous êtes en plein conte de fée.
Non, non, je connaissais tous ces gens ravis de me retrouver. Nous n’avions eu que peu d’échanges avant qu’ils viennent s’établir là mais suffisamment pour que je les reconnaisse.
Comme je suis content de vous voir monsieur Chlorate.
Appelez-loi Hippolyte, ça me fera plaisir madame la baronne.
Je suis partie si rapidement Hippolyte, je n’étais plus moi-même et je n’ai pas eu le temps de vous remercier.
Votre nouvelle vie vous convient-elle ?
Je suis ravie, Hippolyte. Plus de douleurs, plus d’angoisse sur l’avenir et de charmants voisins. Près de chez moi, parcelle j4, j’ai un voisin adorable, parcelle j5, qui me raconte sa vie, un roman passionnant.
Je suppose que le temps passe vite ici ?
Tout à fait et suprême bonheur nous n’avons pas à nous soucier du lendemain.
J’ai été ravi de vous revoir madame la baronne.
Moi de même Hippolyte. Revenez souvent nous rendre une petite visite.
J’ai papoté longuement avec tous ces gens et j’ai remonté par l’escalier le cœur gros. Quelque part dans le monde souterrain on m’aimait et me respectait. Il faudra que je revienne.
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J’y crois pas à votre histoire. Vous êtes qui d’abord ?
Je suis le passeur. Vous me reverrez peut-être un jour mais vous ne me reconnaîtrez pas. Mais moi je vous reconnaîtrai.