Histoires de princesse

la princesse à roulette

amours en cage

Il était une fois une princesse, fille d’un roi puissant, à qui il arriva une drôle d’aventure.
Un jour, quand elle était petite, voulant descendre dans le jardin du château elle tomba dans l’escalier et se brisa la colonne vertébrale, du moins c’est ce que dirent les médecins, faute de trouver la vraie raison de cette paralysie. A partir de ce jour elle ne marcha plus. Tous les médecins du royaume se déplacèrent à son chevet, mais aucun ne put la guérir. Après un an d’attente et de soins, le roi son père lui fit fabriquer une chaise à roulettes. A partir de ce jour on l’appela, dans tout le royaume, la princesse à roulettes.
De tempérament optimiste la princesse se fit très bien à son nouvel état. Rieuse, coquine, elle utilisait sa chaise à roulettes pour se déplacer à toute vitesse dans les couloirs du château. Pour l’aider à descendre au jardin son père l’avait confiée à un serviteur, Gamel ( en vérité son vrai nom était Louis mais sa femme s’appelait Gargamelle), une espèce de géant, qui la portait dans ses bras et la descendait au jardin.
Les années passèrent. Tous les ans, la princesse qui grandissait avait une nouvelle chaise à roulettes. En réalité elle recevait deux chaises à roulettes. Une pour l’intérieur du château, avec des pneus lisses pour ne pas faire de bruit et une autre avec des pneus crantés et des freins puissants pour aller au jardin, ou en ville, ou dans la campagne.
Lorsqu’elle allait à la campagne avec Gamel, celui-ci l’accompagnait à cheval. Lorsqu’ils étaient assez loin du château, la princesse demandait à Gamel de la tirer avec son cheval, au pas, puis au trot, ce qui la faisait bien rire. Parfois le cheval allait trop vite et la voiture se renversait. La princesse appelait cet incident « prendre une gamelle », expression encore utilisée aujourd’hui. Jamais elle ne se fit du mal. Gamel redressait la chaise et ils repartaient en riant.
Un jour, il lui arriva une chose curieuse. Une libellule poursuivie par un martin-pêcheur vint se poser sur son bras. Effrayé, le martin-pêcheur fit demi-tour. La libellule fit sa toilette sur le bras de la princesse qui la regarda, émerveillée par ses gros yeux, ses six pattes et ses quatre ailes brillantes alors que elle n’avait que deux jambes infirmes. Admirative elle laissa partir la libellule mais n’en conçut aucune jalousie.
Lorsque la princesse arriva à l’âge de se marier, le roi organisa un grand bal et invita tous les princes du royaume en espérant que parmi eux il s’en trouva un qui voulut bien épouser sa fille.
La princesse, à partir de ce jour ne sortit plus de sa chambre. Elle pleurait tous le jour, sachant bien que ne pouvant pas danser, aucun prince n’accepterait pas de l’épouser. Gamel et sa femme ne savaient plus comment la distraire.
Le soir du bal, la princesse, ferma sa chambre a clé et personne ne put l’en faire sortir, même le roi, très en colère.
Soudain la princesse entendit un léger bruit au carreau de sa fenêtre. Intriguée, elle ouvrit la fenêtre et une libellule vint tourner autour d’elle. Une lueur de plus en plus éblouissante entourait la libellule qui se transforma soudain en une fée aussi grande que la princesse.
La fée dit à la princesse : « Il me semble que j’arrive à temps jolie princesse, je parie que je peux t’aider. Quel est ton problème ? »
La princesse lui expliqua sa paralysie, le bal, le désir de son père de la marier, sa tristesse de ne pouvoir danser.
La fée lui dit : « lève-toi et marche ».
La princesse abasourdie, prit appui sur les bras de son fauteuil, se leva, fit un pas, puis deux et marcha. Elle courut vers la fée et l’embrassa, folle de joie.
La fée la repoussa légèrement et lui dit : « tu vas aller au bal, dans ta chaise à roulette, tu vas attendre qu’un prince vienne t’inviter à danser. Seulement à ce moment là tu te lèveras et iras danser. Si un prince t’invite c’est que son cœur est grand. Tu peux alors lui faire confiance et l’aimer.
C’est ce que fit la princesse.
Elle arriva au bal, dans sa plus belle robe et sa plus belle chaise à roulettes. Son père retrouva son sourire et toute la cour applaudit à son arrivée. Il faut dire que la princesse était très belle et très aimée des habitants du royaume.
L’orchestre commença à jouer. Tous les hommes présents choisirent une cavalière, enfin presque tous. Un prince, parmi les derniers présents, s’approcha alors de la princesse et lui prit la main comme s’il l’invitait à danser. Et il commença à tourner, la princesse tournant autour de lui dans sa chaise à roulettes. C’était à la fois gracieux et joyeux. Tout le monde applaudit.
Au changement de pas, la princesse se leva et son cavalier l’enlaça pour la plus belle valse que l’on ai jamais vu dans le royaume.
Le mariage eut lieu quelques mois plus tard. Ils vécurent heureux mais dans tout le royaume on continua à appeler la princesse à roulettes. Cela ne la gênait pas car son prénom lui déplaisait profondément : elle s’appelait Gertrude.

Hyppolite Chlorate

la princesse et le hérisson

Il était une fois une princesse, très jeune qui aimait tellement les animaux qu'elle en avait de toutes sortes. Elle avait trois chats : un noir, un blanc et un roux. Elle avait quatre chiens : un Yorkshire qui aboyait sans arrêt, un King Charles débonnaire, un briard dont on ne voyait pas les yeux et un berger allemand qui avait décidé que c'était lui le chef et qui dominait les trois autres, même le briard pourtant plus gros que lui. Elle avait aussi des serins, des perruches, des inséparables dans une grande cage, des pigeons et un perroquet qui s'appelait Arsène et qui criait "Vive le Roi" quand le père de la princesse lui rendait visite. Il y avait aussi des souris, des lapins qu'il n'était pas question de manger.
Toute cette ménagerie déplaisait fort à la Reine et au roi. Ce n'est pas ce qu'ils coûtaient qui les embêtait, le roi était riche. Ce n'était pas le bruit qu'ils faisaient, le château était grand et chacun avait ses appartements. Ce qui les gênait c'était le parfum qu'ils communiquaient à leur fille. Tous ces animaux qu'elle caressait à longueur de journée lui donnaient leurs odeurs. En un mot elle sentait mauvais et pour tout dire elle puait. Voilà.
Aucune remontrance n'avait d'effet. La princesse ne voulait se séparer d'aucun de ses animaux.
Le roi tint conseil avec ses ministres, ses généraux, ses médecins, ses mages, voyants et autres astrologues. Les ministres proposèrent de voter une loi interdisant à la princesse la possession d'animaux : c'est exagéré dit le roi. Les généraux proposèrent de les tuer : trop cruel dit le roi. Les médecins proposèrent de vacciner les animaux, la princesse, et tout le royaume : solution qui ne changera rien au problème dit le roi. Un voyant proposa d'envoûter la princesse et ainsi de la dégoûter des animaux. La solution sembla plaire au roi. Mais cette solution lui fit soudain très peur : et si le voyant utilisait ce pouvoir contre lui ? Il fit mettre le voyant en prison jusqu'à la fin de ses jours.
Après avoir consulté tous ceux qui détenaient un pouvoir dans le royaume et n'ayant pas trouvé de solution il se dit que faire appel au bon sens du peuple lui apporterait peut-être une solution. Il réunit son majordome, ses valets, palefreniers, cuisinières, servantes et jardiniers. De peur de subir le sort du voyant les uns ne dirent rien, les autres défendirent ardemment la princesse. Un seul osa dire que peut-être, en la lavant plus souvent, en lui mettant du parfum les odeurs incommoderaient moins leurs majestés. Le Roi trouva l'idée intelligente et nomma le valet qui avait fait cette suggestion maître d'hôtel.
Dans les jours qui suivirent la princesse fut lavée, frottée, parfumée au moins trois fois par jour. Elle finit par trouver cela insultant, désagréable et surtout cela l'éloignait de ses animaux chéris. Pour échapper au lavage elle se cacha, tantôt dans un placard avec ses chats et leur raconta des histoires, tantôt dans le grand parc avec ses chiens qui courant partout, détournaient l'attention des valets partis à sa recherche et personne ne la trouvait.
Le roi en eut bientôt assez et fit passer un message dans tout le royaume. Celui qui arriverait à diminuer l'amour de sa fille pour les animaux recevrait mille écus et le grade de général dans les armées du royaume.
Les idées les plus folles furent proposées au roi qui n'en retint aucune. Pendant ce temps la princesse trouvait de nouveaux animaux de plus en plus étranges : chauve-souris, orvets, araignées.
Et puis, un jour de printemps, un homme se présenta au château du roi et demanda audience et disant qu'il avait la solution à son problème. Le roi, désireux de mettre fin à son cauchemar accepta de le recevoir.
L'étranger lui dit : Sire, j'ai là, dans ce sac la solution de votre problème avec votre fille. "Montre !!" lui dit le roi. L'étranger sortit alors de son sac un hérisson, bien gras et bien piquant. Le roi hurla "Tu te moques de moi, étranger, cet animal va augmenter la ménagerie de ma fille. Qu'on le jette en prison".
"Sire, lui dit l'étranger, écoutez-moi en secret juste un instant, je vous en conjure, et si mes arguments ne sont pas convaincants je veux bien aller en prison".
"Je t'écoute le dit le roi". L'étranger s'approcha du roi et lui parla longuement à l'oreille. Soudain le visage du roi s'éclaira d'un grand sourire et dit : "qu'on le laisse aller voir ma fille".
L'étranger dit à la princesse : Princesse j'ai là, pour vous un cadeau : il s'agit d'un animal rare, et qui porte chance. Il faut seulement le nourrir de vers de terre et surtout le garder toujours auprès de vous". Et il sortit le hérisson. Celui-ci resta quelques instants en boule sous les yeux étonnés de la princesse puis sortit ses pattes et se mit à trotter autour de la princesse. Les animaux familiers de la princesse s'approchèrent du hérisson et s'enfuirent assez vite. L'étranger se retira, la princesse courut au jardin chercher des vers. Aidée du jardinier elle creusa, trouva des vers qu'elle trouva dégoûtants et en rapporta toute une boite à son nouvel ami. Les jours passèrent La princesse réussit, très fière à jouer avec son hérisson sans qu'il se mette en boule. C'est à ce moment que les autres animaux refusèrent définitivement qu'elle les caresse. Tous s'enfuirent épouvantés par son odeur et ses puces : le hérisson sent très mauvais et est couvert de puces. Elle s'entêta jusqu'au jour où, désespérée par le dédain des ses chats et chiens, dégoûtée par l'odeur du hérisson, énervée par les piqûres de puces elle porta le hérisson dans le jardin , il s'empressa de s'enfuir. Les autres animaux ne revinrent pas vers elle pour autant. Elle n'avait plus que sa cage à oiseaux pour se consoler. Elle réfléchit et se dit que son père le roi avait raison et elle alla, d'elle-même se laver puis lui demander pardon. Le Roi, généreux lui accorda d'avoir un chat et un chien.
Moralité : en toutes choses il faut savoir raison garder.

Hyppolite Chlorate

varvara belle, rebelle et....

ll était une fois une princesse qui cherchait un mari et n’en trouvait pas à sa convenance. Cette princesse était la fille d’un roi puissant et riche (Vous en connaissez des histoires de princesse fille de roi faible et pauvre, vous en connaissez ? Non, alors laissez- moi poursuivre en abandonnant vos petites remarques perfides. Si, si, je vous ai bien entendu dire ; « Encore une histoire de princesse à la guimauve »). On peut donc supposer que les prétendants auraient du être nombreux à postuler. Mais non. Pourtant Varvara était jeune et belle. Elle était grande, blonde aux yeux bleus et ses formes appétissantes. (Et voilà, encore une remarque laissant entendre que je me laisse aller à retenir le profil classique, aryen, toujours le même : la blonde aux yeux bleus). Vos remarques m’indiffèrent). Je reprends : Varvara n’était pas seulement belle et blonde. Elle était cultivée et sportive. Elle pratiquait le tir à l’arc, le judo et la course d’orientation. Elle avait lu tout Proust et ne manquait pas un numéro du « Chasseur Français » ni de « Nous Deux », c’est vous dire.
Elle avait donc tout pour plaire aux jeunes princes voisins du royaume de son père. Tous les ans à l’anniversaire de sa fille son père organisait une grande fête et invitait les rois voisins et les reines voisines pour trouver enfin un époux à sa fille. Comme c’était sa seule enfant le roi espérait que de ce mariage naitrait un garçon pour prendre sa succession. Le rôle du gendre était prévu : étalon la nuit, régisseur du domaine le jour.
Cette fête était grandiose. Seul le Prince de Ligne en avait organisé de plus belle dans son château de Bel Œil en Belgique. Les batailles navales organisées sur le lac du parc n’étaient pas aussi somptueuses et étonnantes mais elles plaisaient beaucoup au petit peuple qui était convié à assister gratuitement à cette fête. La journée commençait par un repas gigantesque dans le parc du château. Soyons plus précis : ce n’était en fait que l’ancêtre du sponsoring et du barbecue. En effet le roi avait vite compris que le barbecue permettait d’économiser sur le personnel, la vaisselle et les linges de table. Chaque confrérie du royaume apportait le foyer, le charbon de bois et les victuailles de sa spécialité. Les charcutiers faisaient la promotion de leurs saucisses grillées, les bouchers vantaient la qualité de leurs succulentes côtes de bœuf. Tous rivalisaient de discours aguichants pour attirer les mangeurs, futurs clients. Le roi fournissait le vin et la bière ce qui lui permettait d’utiliser la surproduction, fréquente dans le royaume. Après le repas le clou du spectacle était le concours opposant les prétendants éventuels. Ce concours, unique au monde était pratiqué depuis des générations dans le royaume. Plus personne ne savait quel roi avait exigé des prétendants à la main de sa fille de se prêter à cet exercice parfaitement débile mais qui a toujours beaucoup de succès. Ce concours était le suivant :
Chaque prince devait boire un litre d’eau du puits du château et après un délai chronométré avec précision de 21 minutes le jeune prince ayant accepté les règles du concours devait éteindre une bougie située à 2 mètres de lui par un jet d’urine continu et sans respirer. (Vous faites moins les malins là hein ? Fini la guimauve.. vous allez je suppose me traiter de vulgaire, d’obscène et pire encore ?) Ce concours devait permettre à la princesse de porter une appréciation objective sur l’organe copulateur du prétendant. Le prince qui avait effectué et réussi le test dans le délai le plus court était retenu pour un entretien avec la princesse. A l’issue de cet entretien la princesse devait déclarer retenir au non le prince lauréat du concours. Afin de distraire le peuple pendant cet entretien, secret comme il se doit, un grand feu d’artifice était offert aux invités.
Après le feu d’artifice un grand bal était organisé avec les seuls porteurs de fortunes et particules présents. Le petit peuple, comprenant que sa présence importunait, retournait dans sa chaumière digérer en paix.
Voilà bientôt cinq ans que cette fête avait lieu et à chaque fois la princesse revenait seule dans la salle du bal. Les invités supposaient que le prince recalé avait trop honte et était parti discrètement afin d’éviter les regards compatissants ou méprisants. Seul le roi laissait échapper son courroux en traitant le prince de pisse-vinaigre, de couille-molle, d’impuissant et pire encore. Afin de donner le change, le roi invitait sa fille à danser et tout le monde comprenait bien que ce qu’il chuchotait à l’oreille de sa fille n’était pas un lot de compliments.
Les heures passant, peu à peu les invités se retiraient. Sur le matin, seules restaient quelques jeunes femmes amies de longue date qui conjuguaient leurs efforts pour aider la princesse à oublier. Une lui apportait un verre d’orangeade, une autre l’invitait à danser en lui murmurant des paroles de consolation à l’oreille. Des conciliabules ponctués d’éclats de rire s’organisaient autour de tables encore couvertes de flutes de champagne. Et puis les dernières copines de la princesse partirent à leur tour. Sauf une qui accompagna la princesse dans ses appartements.
Vous avez compris ? Et oui, la princesse n’aimait pas les hommes. Mais cela ne serait rien si dans sa garde-robe secrète les cadavres de prétendants n’étaient pas suspendus à un clou prévu pour d’autres usages.

Hyppolite Chlorate

Morzine, la petite fille de ….

Morzine, dépêches-toi tu vas être en retard lui dit sa maman.
Mais maman, je ne trouve plus mes chaussettes.
Tiens, les voilà lui dit sa maman en les lui tendant.
Mais où qu’elles étaient, je ne les ai pas vues ?
T’occupes, et puis on ne dit pas « où qu’elles étaient » mais « où étaient-t-elles ? »
Oui maman. Je suis prête, je n’ai plus que mon cartable à endosser.
En route, nous sommes en retard.
En marchant, Morzine se demandait comment sa mère avait pu trouver ses chaussettes, aussi vite, sous ses yeux sans qu’elle les voit elle-même.
Soudain la rue défila comme vue de la fenêtre d’un train et Morzine se retrouva devant la porte de son école alors qu’elle venait à peine de quitter sa maison.
J’ai du rêver se dit-elle et ne pas voir le temps passer.
Sa maman lui fit un bisou et la laissa entrer dans l’école ou Morzine retrouva ses copines et oublia les questions qu’elle se posait cinq minutes avant.
La matinée commença par la récitation et Morzine fut la première à être appelée. En se levant de sa place elle essaya de se rappeler sa récitation et rien ne lui revenait en mémoire.
Arrivée sur l’estrade elle se mit pourtant à réciter sa récitation par cœur :
« Le petit chat perdu dans la forêt :
Le petit chat de Claudine
Attiré par un papillon
Passa la haie d’épines
Et sauta le portillon.
Le papillon s’envola
Dans le ciel vermillon
Et le petit chat miaula…
 
C’est bien Morzine lui dit la maîtresse.
Aline, viens réciter la suite.
Pendant qu’Aline récitait avec bien du mal Morzine se demandait comment elle avait pu se rappeler soudain le poème à réciter.
 
Elle regardait Aline qui se tortillait sur l’estrade et sans ouvrir la bouche Morzine lui souffla le texte à réciter. Aline termina sans une hésitation son texte à la grande surprise de la maîtresse.
C’est de la sorcellerie pensa Morzine.
Et une petite voix lui susurra dans l’oreille : Normal Morzine, tu es la fille de la fée Morgane, ta maman.
Morzine se redressa et regarda la maîtresse et ses camarades d’un œil neuf : des perspectives nouvelles s’ouvraient devant elle.

Princesse Mathilde ou l’ambition ravageuse

La princesse Mathilde était la sixième enfant du roi Léopold de Carothie petit pays de montagne entouré d’empires riches et puissants qui se gardaient bien de l’annexer. La Carothie n’avait aucune industrie ni agriculture, juste quelques troupeaux de vaches et de moutons chargés d’entretenir les prairies de la montagne. La richesse de la Carothie était assurée par ses banques dont la principale activité était de garder au chaud l’argent, l’or et les devises des industriels et dirigeants de ses grands voisins d’où son impunité. Si vous connaissez la Suisse, le Luxembourg ou Monaco vous comprenez de quoi je parle. Bien entendu Léopold n’avait aucune action dans ces banques mais vivait confortablement  ainsi que ses sujets de l’impôt qu’elles payaient sans discuter tous les ans. L’épouse du roi Léopold s’appelait Marguerite et ne se préoccupait que de sa fille et sa collection de papillons. Mathilde était née alors que Marguerite désespérait de donner naissance à une fille après avoir eu cinq garçons ce qui explique son amour pour sa fille.
            Mathilde aujourd’hui âgée de trente ans ne voyait pas son avenir avec sérénité. Tous les postes importants avaient été pris par ses frères : L’aîné Gérald était chef de l’armée dont l’occupation principale était de présenter les armes aux cérémonies officielles. Christophe dirigeait le ministère des travaux publics (industrie, route, énergie,). Didier était le directeur de la banque et en tirait des revenus confortables sans faire grand-chose. Dominique dirigeait l’office du tourisme et rackettait sans vergogne les touristes : stations de ski l’hiver et randonnées l’été. Quand au dernier Philippe, il était parti courir l’aventure à travers le monde et on n’entendait plus parler de lui.
            Avant de poursuivre il n’est pas inutile de dessiner un portrait sans concession de Mathilde. Cette princesse ne ressemblait en rien aux princesses des contes anciens, blondes et innocentes. Mathilde était brune et faite de contrastes saisissants : un visage difficile à décrire : d’un bel ovale mais sans lignes remarquables, un menton bien dessiné mais un nez aquilin très aristocratique, des yeux gris perçants et des lèvres bien ourlées d’une bouche rarement souriante. Elle n’inspirait aucune sympathie. Par contre elle était grande avec un corps de rêve, souple, musclé superbement proportionné qui faisait oublier quand on la voyait de dos son air perpétuellement revêche.
            Bien entendu il restait à Mathilde la perspective d’un avenir radieux : le mariage, c’était du moins l’avenir que sa mère lui proposait avec insistance. Mais Mathilde ne se sentait aucun goût pour le mariage qu’elle voyait comme un frein certain à ses ambitions. Soyons précis : Mathilde rêvait de pouvoir absolu, de commandement, de territoires à conquérir et de guerres à gagner. Mathilde avait trouvé un moyen efficace d’exercer ses qualités : la diplomatie. Elle avait, avec persévérance, pris peu à peu le rôle de ministre des affaires étrangères sans que personne songe à lui disputer ce poste ingrat compte tenu de la faible influence du royaume dans les affaires internationales. Ses frères la voyaient avec condescendance s’activer à lier des relations inutiles avec les pays voisins. Ils avaient oublié que rien n’est jamais acquis ni définitif. Mathilde parlait plusieurs langues, était bardée de diplômes prestigieux de facultés anglaises et américaines. Elle était admirée et respectée des ambassadeurs agréés dans le royaume. Mais l’ambition de Mathilde ne se satisfaisait pas de ce rôle de ministre des affaires étrangères. Elle rêvait de plus grandes responsabilités comme de supplanter ses frères dans leurs fonctions respectives. Mais prendre la place de 5 frères, c’est beaucoup. A part les éliminer un par un Mathilde ne voyait pas de solution simple pour attendre son objectif. Mais éliminer les frangins était déjà un objectif passionnant à mettre en œuvre et Mathilde se mit donc à réfléchir à la meilleure façon de réussir ce premier exploit. Par qui commencer ; l’aîné ou le dernier ? Commençons par le plus facile : Gerald, l’aîné.
            L’occupation qui réjouissait le plus Gérald était la salve de coups de canons qui résonnait à chaque anniversaire du roi. Cela ne servait à rien d’autre qu’à flatter l’ego de Gérald qui aimait l’odeur de la poudre sans l’odeur de sang d’une vraie bataille. Mathilde chercha longtemps  comment utiliser cette cérémonie pour atteindre son premier objectif. Gérald, petit, ventripotent n’était qu’à moitié satisfait de la cérémonie d’anniversaire. Elle manquait de grandeur. Mathilde lui suggéra de commander la cérémonie en étant à cheval ce qui le hausserait un peu au-dessus de la piétaille. Suggestion accueillie avec joie par Gérald qui fit quand même remarquer qu’il n’était pas un cavalier ce à quoi Mathilde rétorqua : « Nous te donnerons un cheval paisible dont tu n’auras pas à avoir peur ». Ce qui rassura grandement Gérald qui n’avait aucune raison de se méfier de sa sœur. Le jour de la cérémonie arriva et c’était un spectacle grandiose. L’armée de Carothie se tenait au garde-à-vous dans un style impeccable. Toutes les armes étaient représentées, même la marine et Gérald caracolait fièrement sur son cheval. A la seconde précise de la naissance du roi Gérald donna le signal : feu !!! Les douze canons tonnèrent avec ensemble et le cheval se cabra, fou de terreur. Il partit ensuite dans un galop puissant vers la muraille qui séparait l’esplanade du gouffre qui donnait sur le torrent en contrebas. Le cheval réalisa juste à temps qu’il allait à sa perte et freina alors des quatre fers ce qui propulsa Gérald par dessus le parapet dans un vol plané superbe que Mathilde immortalisa avec son appareil photo. Cette photo lui valut d’ailleurs un prix dans un concours international. Bien entendu Gérald mourut, fracassé sur les rochers. Mathilde fut grondée par sa mère qui lui rétorqua que tout le monde avait approuvé sa suggestion, Gérald le premier. La cérémonie funèbre fut à la hauteur de la gloire de Gérald. Les mois passèrent et Mathilde montra les signes d’un grand chagrin mais continuait à réfléchir à l’opération suivante.
            Christophe, ministre de l’industrie et des travaux publics donna plus de la à Mathilde. Il sortait peu de son bureau, n’allait sur les chantiers que lors des inaugurations. Sa seule distraction était la chasse au lièvre qu’il faisait accommoder par son cuisinier à l’ancienne : viande faisandée aux fumets odorants. l faut savoir que pour obtenir un lièvre faisandé à point il suffit de l’accrocher par les pattes arrières au pied du lit sans le vider. Quand il tombe, les ligaments ayant lâché, c’est qu’il est bon à cuire c’est du moins la recette que m’a indiqué un vieux garde-chasse solognot. Juste faisandé c’est sans danger mais un peu de retard et on passe du faisandé à la décomposition et alors là, bonjour les dégâts. Mathilde pensa bien se lancer dans la chasse au lièvre et à la viande faisandée mais les risques étaient trop grands et qu’on y voit une tentative de modification du destin. Elle préféra et c’était plus agréable entrer en relation intime avec le cuisinier de son frère. Ce cuisiner, homme mûr mais encore solide fut enchanté de l’aubaine et donna à Mathilde toutes les preuves d’une sexualité exigeante. Mathilde entre deux séances copulatoires s’intéressa à son métier ce qui la grandit encore aux yeux du cuisinier. De fil en aiguille (si j’ose cette expression propre à tous les sous-entendus) Mathilde devint experte en cuisines et faisandage dans le secret le plus absolu. Il ne lui fut pas difficile de compléter la préparation d’un beau lièvre faisandé d’une pincée d’arsenic à l’abri des regards. Le résultat fut foudroyant : viande faisandé plus arsenic, personne n’aurait pu y résister. Le frère puiné passa de vie à trépas dans la plus grande désolation de la famille. Le cuisinier fut accusé mais Mathilde le défendit avec vigueur. Elle confirma qu’elle et lui avaient à plusieurs reprises mit en garde Christophe sur les dangers de la viande faisandée. Le cuisinier garda sa place aux cuisines et dans le lit de Mathilde.
            Le destin de Didier n’eut pas à bénéficier des manœuvres de Mathilde. Ses activités financières ne faisaient pas son bonheur. Il était joueur et avait accumulé de grosses pertes au casino de la station thermale à cinquante kilomètres de la capitale. Pour combler ses pertes il avait habilement transféré une somme importante des réserves de la banque vers son propre compte. Son directeur adjoint, jaloux de la position du patron avait découvert la manœuvre et le menaça un soir de tout révéler au roi. Il ne resta plus qu’à Didier à se suicider pour échapper au déshonneur, ce qu’il fit avec beaucoup de discrétion en sautant du haut de la falaise qui avait déjà vu passer le frère aîné. On mit l’accident sur le compte d’une dépression amoureuse. Le directeur adjoint fut promu à la place enviée après qu’il eut rassuré le roi sur les conséquences des frasques de son fils.
            Après ce décès bienvenu Mathilde se sentit pleine d’énergie pour attaquer le cas suivant. Son père n’avait pas confié de nouvelles responsabilités à Mathilde alors que justement des fonctions intéressantes étaient devenues disponibles. Ce manque de considération exaspérait Mathilde qui se sentait capable de faire aussi bien que ses frères disparus ou promis à la disparition. Elle supportait mal ce machisme royal et se promettait d’y mettre fin dès que possible.
            Tout d’abord laisser passer un peu de temps. Les funérailles coûtent cher et les chagrins sont épuisants à la longue. Il fallait aussi éviter de laisser courir le bruit d’une famille maudite et ensorcelée. Le petit peuple pourrait s’alarmer ainsi que les investisseurs étrangers.
            Mathilde fit comprendre à ses parents qui la poussaient au mariage qu’elle avait d’autres ambitions qui hélas ne furent pas comprises. Un certain froid s’installa dans leurs relations. Le roi Léopold et sa femme se désespéraient de ne pas avoir de petits enfants pour assurer leur succession les trois aînés étant morts célibataires. Du côté de Dominique ils avaient abandonné tout espoir car il était marié mais impuissant et Philippe n’avait pas donné de nouvelle depuis longtemps.
            Un soir d’été voyant l’air bougon de Mathilde le roi s’emporta et exigea de sa fille qu’elle aille courir le monde à la recherche de son frère Philippe pour le ramener au royaume en espérant secrètement qu’elle rencontre sur sa route le mari tant espéré. Mathilde avait bien compris la manœuvre mais il ne lui déplaisait pas de partir voyager et s’éloigner d’un pays trop petit pour ses ambitions. Au grand étonnement de son père elle accepta la mission et dès le lendemain elle se prépara à partir. Dominique vit sa sœur partir avec soulagement car il avait bien compris le but qu’elle poursuivait.
            Mathilde commença son périple par Paris, ville bien connue pour être une ville pleine d’attraits et qui aurait donc pu attirer son frère. Les relations qu’elle avait entretenues avec le monde diplomatique ne lui furent d’aucun secours pour sa recherche. Par contre elle découvrit les soirées mondaines (et leurs charmes) organisées pour fêter sa venue dans la ville lumière. Des semaines passèrent et Mathilde se lassa des nuits champagne-caviar-et plus si affinités. Elle partit pour Londres ou le monde de la finance lui fit un accueil encore plus brillant qu’a Paris car rien n’était meilleur à Londres que de surpasser Paris. Mais à Londres, pas plus qu’à Paris elle ne trouva son frère ni de soupirant acceptable. Après Londres elle vola vers Amsterdam, vers Berlin puis Genève et enfin New-York. Nulle part elle ne trouva d’information sur son frère que personne n’avait rencontré. Elle décida alors d’élargir son champ de recherche. Son frère n’aurait-il pas voulu tenter l’aventure dans des pays plus sauvages que la Carothie ? Elle partit alors vers l’Afrique et ses forêts sauvages. On la vit en Inde, puis au Népal. Elle parcouru tous les continents à la recherche de ce frère disparu. Un jour, déçue dans sa recherche et ses attentes elle décida de rentrer au pays, sa chère Carothie.
            Son frère Dominique l’y attendait. Telle un vulgaire patron d’industrie véreux elle fut cueillie à la descente de son avion et emprisonnée loin de la capitale. Pendant son absence, son frère rentré de ses aventures avait pris le pouvoir et ordonné des enquêtes qui avaient conclu (quoi d’étonnant) à sa responsabilité dans la mort des frères aînés. La presse respectueuse du pouvoir annonça sa mort sans détail superflu : un cancer foudroyant l’aurait terrassée avant son jugement.
            En réalité la presse n’avait fait que répéter ce que le prince avait bien voulu lui raconter. Mais des bruits ne tardèrent pas à circuler. Le jour de la soi-disant mort de Mathilde une mutinerie avait eu lieu dans sa prison. Des prisonniers s’étaient échappés dont le cuisinier qui avait aidé Mathilde à éliminer son frère Christophe. Peut-être même que Mathilde dont personne n’avait vu le cadavre ni l’enterrement, peut-être que Mathilde aussi s’était échappée en pleine forme sans aucun cancer. Mais cela restait du domaine des suppositions, racontars et autres balivernes. On raconte tellement d’histoires.

Jeannette, ou la sorcière amoureuse

L’histoire commence dans une petite chaumière à la sortie du village, près de la forêt où les loups viennent rôder le soir. Cette maison a, de tous temps, été une maison de sorcière... Il y a bien longtemps, dans cette maison... mais revenons à la propriétaire d’aujourd’hui. Elle s’appelle Jeannette. Elle est la cinquième fille de Gracette, sorcière célèbre dans les années 30. Gracette est la fille de Huberte, autre sorcière qui exerça ses pouvoirs en… mais peu importe ce passé révolu car notre héroïne suffit à notre histoire. Jeannette est jeune, disons vingt-cinq ans. Elle a hérité du cinquième des pouvoirs de sa mère, c’est à dire de peu de choses, ses autres sœurs ayant accaparé les pouvoirs les plus rémunérateurs. Jeannette est donc pauvre et sa renommée ne dépasse pas les limites du canton. Mais ce n’est pas ce qui la préoccupe aujourd’hui. Depuis quelques semaines une pensée l’obsède : elle est encore célibataire alors que ses sœurs sont mariées et cela, non seulement la ronge de jalousie mais la désespère quant à son avenir. Il faut savoir que, si chez les sorcières les dons de la défunte sont partagés à sa mort entre ses enfants en application du droit d’aînesse, toute naissance d’un héritier ou d’une héritière redonne à la mère un pouvoir complémentaire à celui reçu en héritage. Cette solution adoptée lors du concile de trente et un permet aux membres de la communauté de maintenir sa place dans la société. Plus la sorcière a d’enfants, plus ses pouvoirs sont nombreux et plus sa clientèle est importante et plus… vous comprenez la suite du raisonnement. Et puis une sorcière pauvre et célibataire fait peur et n’est pas crédible. Même si son pouvoir est reconnu, ne viennent la consulter que les pauvres et les gens de passage.
Jeannette médite sur son sort. Elle va se regarder dans la glace héritée de sa mère. Arrêtons-nous un instant sur l’histoire de cette glace. Il a appartenu à une reine fort puissante mais qui ne sut en faire un bon usage. A sa mort le miroir revint entre les mains de celle qui l’avait loué fort cher à cette reine défunte et très belle. La propriétaire légale de ce miroir était une ancêtre de Jeannette. La reine était la belle-mère de Blanche-Neige. Mais revenons à Jeannette. Celle-ci se déshabilla entièrement, se démaquilla avec soin, prit une douche avec la crème de bain-douche trouvée le matin dans boîte à lettre comme cadeau publicitaire. Une fois propre et parfumée elle se planta devant le miroir et lui demanda : « miroir, ô mon beau miroir, ne suis-je pas la plus belle des sorcières de ce canton ? » Le miroir, conscient de son importance lui répondit :  « Si tu es la plus belle ».
« miroir, ô mon beau miroir, ne mérite-je pas (le miroir, au fil des siècles avait étendu sa gamme de produits et  proposait maintenant de répondre à diverses questions qui rendaient sa possession plus intéressante qu’à l ‘époque ou il ne se prononçait que sur la beauté de la questionneuse) de trouver un mari ? »
« Si, tu mérites de trouver un mari »
« miroir, ô mon beau miroir,… «  on ne va pas faire le tour de toutes les questions que posa Jeannette car elles se résument en une seule question : oh ! ce mari c’est pour quand ?
Le miroir était, non seulement bien embêté mais aussi fatigué de l’insistance quasi quotidienne de Jeannette. C’est vrai que débarrassée de ses oripeaux de sorcière, elle était appétissante la petite Jeannette : visage avenant, taille fine, jambes élancée, gorge bien galbée et de bonne tenue, fesses pommées et musclées. Un joli brin de fille se dit le miroir qui se dit également : « si j’étais un homme, je lui ferais bien une petite cour à la Jeannette ». Mais ce n’est pas le miroir qui nous intéresse aujourd’hui, c’est Jeannette.
Jeannette se coucha, à la fois rassurée mais aussi dubitative sur son sort. Elle s’endormit en laissant au sommeil le soin de lui suggérer la solution à son problème. Arrêtons-nous un instant sur le sommeil. Contrairement à ce que l’on croit généralement le sommeil n’est pas un état d’un être vivant dans une période de repos et de non activité. Le sommeil est un génie, un elfe ou un ange gardien si vous préférez, qui est attaché à chaque être humain à sa naissance. Son rôle a été défini par différents décrets parus au fil de la législature céleste. Il doit filtrer les pensées, orienter les actions, définir les stratégies et mettre tout l’organisme en phase de fonctionnement optimal. Monsieur  Sommeil s’empare de nous et nous fait faire ses quatre volontés, quand il veut et ou il veut. Il utilise son pouvoir dictatorial à sa discrétion et il faut un grand effort de volonté pour échapper à ses ordres. Ce jour-là, le Sommeil de Jeannette prit conscience du problème de sa protégée. Il se sentit investi d’une responsabilité nouvelle et gratifiante : trouver pendant la nuit le moyen de donner à Jeannette un époux digne d’elle. La tâche était délicate et les obstacles nombreux. Diverses solutions étaient envisageables. Demander à son confrère monsieur Hasard d’intervenir, relevait de la fuite des responsabilités. Et puis on ne pouvait guère faire confiance à Hasard. Demander à Belzébuth de fournir l’impétrant était une solution de facilité. Les candidats n’auraient pas manqué parmi les faunes composant sa cour mais la contrepartie risquait d’obérer l’avenir de la petite Jeannette. Utiliser le canal des petites annonces dans le journal des sorcières relevait de l’indigence manifeste de l’imagination. Sommeil réfléchit et finalement opta pour la solution la plus simple et la plus évidente : suspendre les activités de sorcière pendant un temps, disons un an, lui donner un autre métier lui permettant de faire des rencontres de qualité donc de trouver le mari adéquat. Les capacités de sorcière de Jeannette étant momentanément cachées, le bon mari ne serait pas attiré par une situation enviable et prestigieuse. Il choisirait Jeannette uniquement sur ses qualités d’humaine normale. Ce grand pas étant fait Sommeil se mit au travail et organisa dans l’inconscient de Jeannette un rêve en adéquation avec l’objectif poursuivi. Par jeu Sommeil agrémenta le rêve de quelques séquences érotiques du plus mauvais goût. Nous ne dévoilerons pas  au lecteur non abonné le détail des ces activités lubriques. Le lecteur abonné et à jour de ses règlements pourra consulter, sous sa responsabilité, le détail du rêve de Jeannette sur un site spécialisé…
Bien évidemment ce projet ne pouvait se réaliser qu’en cachette de la société des sorcières. Le projet ne fut donc pas présenté au conseil qui se tient tous les jeudis à 17 heures. Pourquoi 17 heures ? Nous en parlerons un autre jour, dans un autre siècle.
Jeannette se réveilla de bon matin et se souvint de tous les détails de son rêve. Elle était émerveillée de la clarté de ses pensées et comprit tout de suite la valeur du projet qui se développait dans sa tête. Elle allait se faire libraire spécialisée dans les livres anciens et ésotériques. Parmi les clients il s’en trouverait bien un qui s’intéresserait à elle, uniquement à elle et non pas à ses dons de sorcière. De plus elle pourrait en voyant ses choix de livres quels seraient ses centres d’intérêt et donc deviner si sa personnalité pourrait s’accorder avec une sorcière. Elle voyait déjà l’image de l’homme qui la séduirait. Elle transforma sa garde-robe de sorcière en garde-robe de femme fatale (également du noir mais d’un noir brillant avec dentelles, fanfreluches  et accessoires assortis), ferma à double-tour sa petite maison et accrocha sur la porte un écriteau : fermeture de l’agence pour congé sabbatique jusqu’au xx/xx/xxxx.
Telle Perrette allant au marché elle partit vers la ville d’un pas léger. Elle vit plus d’un homme se retourner sur son passage, ce qui lui sembla de bon augure. Nous ne nous attarderons pas sur le détail de ses recherches, sur la voracité des agents immobiliers ou le mauvais état des locaux proposés. Au bout de quelques semaines elle trouva le bijou recherché : une petite librairie ancienne dans une petite ville d’une petite province du sud de la France. Le fonds de livre méritait attention bien qu’il soit nécessaire de le compléter. Le prix était raisonnable et l’affaire fut vite conclue. Vous me direz, comment une sorcière pauvre peut-elle acquérir un fonds de librairie ? Vil narrateur ne galèges-tu pas ? Que nenni, lecteur attentif et vindicatif. Jeannette souscrit un emprunt auprès de la banque des sorcières (qui, comme toutes les banques, ferma les yeux sur sa situation en rupture de contrat moral de sorcière): cinquante mille écus en bel et bon or sur dix ans aux TEG de 7,777 % hors assurance (Bigre, elles se goinfrent grave les sorcières). Il ne lui fut pas difficile de convaincre un banquier de transformer ce bel or en euros sur un compte domicilié dans les Iles Vierges. Attardons-nous un instant sur les banquiers : Le banquier apparut dans l’univers avant Dieu et ils le créèrent de toutes pièces en lançant un emprunt auprès de constellations désireuses de se créer un petit capital de vie. C’est la voie lactée qui proposa le montant le plus important et qui souscrivit à plus de 70% de l’emprunt. Cela lui donna le droit de voir utiliser son territoire pour créer l’entreprise vie. Une fois créé Dieu ne fut jamais montré à personne, car il n’était pas très réussi, sauf à quelques illuminés qui en firent un éloge qu’à titre personnel je trouve un peu exagéré. Dieu choisit une planète vivable et commença à créer la vie pour répondre aux objectifs des banquiers. Peu expérimenté la vie qu’il créa fut d’abord assez primitive mais il apprit vite et ma foi le résultat fut assez satisfaisant. Les dividendes furent rapidement conséquents et pour gérer cet afflux de richesses les banquiers initiateurs du projet envoyèrent leurs émissaires sur terre pour mieux contrôler et gérer les affaires. Ce furent d’abord les juifs, puis les auvergnats et enfin plus voraces encore les golden boys. Mais revenons à Jeannette, nettement plus attirante que les banquiers et leur généalogie dont nous reparlerons dans un autre chapitre.
Jeannette s’installa dans sa petite librairie, compléta son catalogue par quelques ouvrages ésotériques : alchimie, magie noire et blanche, études cabalistiques, astrologie, petit et grand Albert, tout cela glané chez les sœurs, tantes et oncles tout contents de se défaire de ces livres jaunis et fragiles maintenant que tout avait été transféré sur CD par la grâce de l’informatique. Elle conçut un marque-page à son blason pour offrir aux bons clients et elle attendit. Les visiteurs ne manquèrent pas mais peu furent acheteurs. Presque tous cherchaient ou des romans récents ou des manuels d’informatique (petite fenêtre XPT pour les nuls, office religieux 2015 etc.) ou pire encore des livres sur l’amour et ses pratiques. Jeannette sentit vite que sa culture était en net décalage avec celle de ses contemporains. Elle désespéra et faillit tout laisser tomber. La sorcière banquière qui lui avait accordé son emprunt et qui surveillait ses résultats s’alarma et lui rendit une visite au cours de laquelle elle sermonna vigoureusement Jeannette en lui enjoignant d’obtenir rapidement des résultats. Elle fit des suggestions sur différentes solutions parmi lesquelles une retint l’attention de Jeannette : utiliser Internet pour avoir accès à une plus large clientèle afin de trouver les quelques spécimens encore vivants s’intéressant aux sciences ésotériques.
Elle ajouta à son catalogue quelques livres de poésie, de philosophie, sociologie et psychanalyse des profondeurs. Elle apprit à utiliser l’ordinateur, s’inscrivit à un site de vente de livres en ligne et attendit. Les résultats des ventes furent un peu meilleurs sur le Net qu’en boutique mais les résultats de sa recherche matrimoniale furent décevants. Quelques clients lointains et isolés entreprirent bien une correspondance suivie mais essentiellement pratique ou culturelle. Un seul lui fit une cour assidue mais il était marié, âgé et manifestement un peu paranoïaque. Par désœuvrement elle fit semblant d’être sensible à ses compliments mais n’alla pas plus loin plus par crainte de perdre un client que par indifférence.
L’aventure de Jeannette semblait bien mal démarrée. Sommeil se mordait les doigts devant l’échec de sa stratégie, la banquière s’impatientait et Jeannette se désespérait.
Un matin de printemps, c’était un lundi, au lieu de se rendre à la boutique où seuls les souris et les termites s’activaient, Jeannette s’habilla gaiement, abandonna le tailleur noir habituel pour une petite jupe courte qui mettait en valeur ses merveilleuses jambes, un polo au décolleté avantageux et un petit blazer fleuri qui était en parfaite harmonie avec l’air léger de ce matin de printemps. Et elle prit le car pour une grande ville de la côte dont les beautés architecturales l’avaient toujours émerveillée. Elle arriva sur le coup de dix heures gaie et pimpante et s’assit à une terrasse de café de l’allée la plus célèbre de cette ville. En buvant son café elle laissait rôder ses yeux sur tous les mâles jeunes qui passaient. Certains ne voyaient rien, c’étaient des cadres de banque obsédés par les taux d’intérêt, les cours de la bourse et le taux de conversion de l’euro. D’autres avaient soudain envie d’un petit noir en terrasse et s’arrêtaient en prenant une table le plus prêt possible de Jeannette. Après quelques minutes la terrasse était  entièrement occupée et les conversations allaient bon train car presque tous ces jeunes gens, commerçants de la ville, se connaissaient. Le premier prétexte venu servit à entamer la conversation avec Jeannette. Une invitation à déjeuner ne fut pas longue à être proposée. Jeannette accepta sans façon car la mine du jeune homme était avenante et son regard franc. La journée passa comme un éclair. Le soir venu Jeannette rentra chez elle, le cœur en fête. Le lendemain elle récidiva en ayant l’impression de faire l ‘école buissonnière. La journée fut aussi radieuse que la veille. Le même jeune homme la retrouva à sa terrasse. Au bout de quelques jours Jeannette accepta une invitation pour le soir. Vous devinez ce qu’il s’ensuivit. Le lendemain Jeannette reçu sur son réseau télépathique une convocation devant le tribunal des sorcières. Elle n’en fut pas étonnée. L’audience fut infernale. Jeannette n’avait aucun argument acceptable à opposer aux juges qui l’accablaient de reproches : quand on est sorcière on reste sorcière, point. On lui donna à choisir entre démissionner (ce serait dans cette hypothèse la deuxième démission depuis l’apparition des sorcières sur terre. La légende veut que la première soit Marie qui fut plus tard déclarée vierge et sainte et devint la mère d’un fils de Dieu), ou s’engager fermement dans la profession de ses ancêtres. Jeannette choisit de démissionner en gardant son âge réel et juste un petit don d’astrologue qu’on lui accorda sans rechigner, ce pouvoir étant fort dévalorisé par tous les charlatans exerçant le métier d’astrologue sans en avoir les compétences. Elle devait néanmoins remboursé son emprunt, ce qu’elle négocia avec astuce. Elle revendit son fonds à un confrère, sorcier confirmé qui se servit de cette librairie comme couverture officielle. Elle put ainsi rembourser 80% du capital emprunté, le reste étant remboursable en dix ans sans frais. Elle garda sa petite maison à la sortie de la petite ville. On ne sait jamais de quoi l’avenir est fait. Elle épousa son adorateur qui était imprésario de spectacle et qui transformait de parfaits petits (et petites) crétins sans dons en vedettes éphémères de la chanson. Un sorcier en un mot. La sorcellerie avait changé d’époque et de méthode. Qui s’en plaindra ?