Petites histoires à lire de jour, parce que de nuit...

t'as de beaux yeux tu sais

Vous ai-je déjà parlé de mon petit chemin ? Oui ? Non ?  Et bien voilà, je vais vous en parler mais ne me venez pas me le reprocher après avoir lu cette lettre.
Mon petit chemin que j‘appelle le chemin de Léo démarre au coin de la maison et rejoint la route départementale 200 mètres plus loin. Il est bordé de champs, de haies, de chênes, et de noisetiers. Nous l’avons souvent pris le soir accompagnés de Léo notre chat joueur de foot. Que je vous explique : A la maison, dans la cuisine lancez à Léo une noisette et observez son jeu de jambes, ses dribles époustouflants et vous comprendrez pourquoi je l’appelle le footballeur.
Mais là n’est pas mon propos. Léo est mort de la leucose féline il y a maintenant cinq ans et il ne se passe pas une semaine sans que je pense à lui. D’autres chats sont venus prendre sa place dans la maison et tous ont un caractère, un don bien personnel. Mais Léo reste dans notre mémoire comme un chat exceptionnel.
Le petit chemin dont je veux vous parler, vous y tenez vraiment ? Bon, d’accord je continue.
Ce chemin serpente donc entre les champs. La semaine dernière je l’ai pris pour la millième fois par nostalgie et pour me donner un peu d’exercice. Arrivé au niveau du chêne à Léo. Excusez-moi j’ai oublié de vous parler du chêne à Léo. De son vivant Léo s’arrêtait à chacune de nos ballades au pied de ce chêne, à droite et il regardait avec envie le sommet. Je sentais bien qu’il avait envie d’y grimper mais quelque chose le retenait. Je lui lançais alors un gland qu’il me renvoyait avec son adresse habituelle. C’était un jeu incontournable. Après quelques échanges nous poursuivions jusqu’à vingt mètres de la route et nous faisions demi tour. Nous par le chemin, Léo par le champ.
Donc la semaine dernière, en fin d’après-midi j’ai repris le chemin de Léo. Arrivé au niveau de son chêne j’ai vu comme une motte de terre, comme une taupinière se soulever. Au milieu du chemin je trouvais cela assez inhabituel. La motte a continué à grossir de manière impressionnante et d’un seul coup est apparu une tête de poulpe, énorme, presque aussi haute que moi. Vous avez bien lu : un poulpe avec de grands cils et des yeux lumineux qui me fixaient. Non, je n’avais rien fumé, ni rien bu. Ce poulpe dont je ne voyais que la tête n’avait pas un bec corné comme les poulpes marins que vous connaissez par les films pédagogiques sur la vie marine, non, à la place il y avait une bouche aux lèvres épaisses, pulpeuses une bouche qui simulait l’envoi d’un baiser. Je suis resté tétanisé me demandant si je ne devenais pas fou. Le baiser mouillé que m’envoyait le poulpe me donnait envie de vomir. Après un temps dont la durée m’échappe, j’ai fait demi-tour et je suis rentré à la maison l’esprit complètement chamboulé.
J’ai mal dormi cette nuit-là et je ne suis pas retourné sur le chemin de Léo les jours suivants.
Mille questions me taraudaient l’esprit : devenais-je fou ? C’est une hypothèse vraisemblable si on considère le contenu de mes écrits. Est-ce que des espèces animales inconnues peuplent le centre de la terre ? Peu vraisemblable, nos chercheurs à l’affût de toute nouvelle vie les auraient découvertes. Des êtres vivant ailleurs dans la galaxie seraient-ils en train de nous coloniser ? Pourquoi pas mais alors une lourde responsabilité m’incombait : signaler le phénomène avec le risque de finir en hôpital psychiatrique. J’étais perdu, sans guide pour me conseiller. J’imaginais bien aller voire le maire et lui raconter mon aventure mais là aussi l’hôpital psychiatrique me guettait à nouveau. Au bout de quelques jours j’ai repris le chemin de Léo en me disant que si rien ne se passait ce ne pouvait être que ma folie qui m’avait montré ce poulpe.
Et le poulpe est réapparu avec son baiser mouillé. Un bout de tentacule est sorti de terre et m’a fait signe d’approcher comme le faisait mon instituteur avec son index pour me forcer à monter sur l’estrade et réciter le poème du jour. Malgré moi j’ai fait un pas en avant. En même temps un chat énorme a bondi de derrière le chêne et a planté ses griffes dans le corps spongieux du poulpe qui a poussé un grand cri, puis a disparu. Léo venait de me sauver de l’enfer. Il m’a regardé, a  repris sa taille normale et a shooté dans une noisette. Je n’ai pas pu dire un mot. Léo est reparti derrière son chêne, là où je l’avais enterré il y a 5 ans.
Merci Léo.
Hyppolite Chlorate

la rue pavée

C’était un jour gris de novembre. Un vent discret mais insistant me poussait à marcher la tête baissée en espérant ne pas voir mon chapeau s’envoler vers de nouveaux horizons.
Je ne sais plus d’où je venais et ne savais pas encore ou je devais aller. Mais j’étais confiant : tous mes voyages ont un but et se terminent forcément un jour.
Les pavés de la rue se succédaient sous mes yeux sans aucun souci de variété. Quoique, certains avaient un  veinage de quartz plus joli que d’autres mais la marche que je m’imposais m’empêchais d’affiner la comparaison jusqu’à ce que je découvre, entre deux pavés comme un reflet anormal. Un reflet cuivré étonnant dans cet endroit contenant habituellement le sable ayant servi à la pose des pavés et parfois un vieux mégot de cigarette écrasé brutalement.
Je me suis penché pour regarder de plus près. Tient, on dirait une douille de pistolet. Je sortis de ma poche le canif qui ne me quitte pas et entamais le déterrage de la chose étrange. Plus qu’une douille, c’était une cartouche complète qui accepta de quitter son logement pour se réfugier dans ma main. Cartouche de calibre 9 mm au premier coup d’œil. Différentes hypothèses jonglèrent dans mon esprit soudain éveillé. Echappée d’une poche trouée d’un malfaiteur en fuite ?
Abandonnée par un policier stagiaire qui jouait maladroitement avec tout heureux de faire enfin presque partie de ce corps d’élite préposé à la défense de nos biens et de nos âmes ?
Je glissais cette cartouche dans ma poche et continuais mon chemin. La rue à cette heure matinale était presque déserte et rien de n’opposait à ce que je marche avec la lenteur attentive du chasseur de champignon. Pourquoi me direz-vous marcher en espérant trouver une autre chose incongrue entre ces pavés ? Aucune statistique n’aurait pu prévoir avec un pourcentage significatif  la chance de trouver une autre cartouche sœur de la précédente. Et pourtant, cinquante mètres plus loin le même reflet attira mon regard. Une autre cartouche pointait son museau entre deux pavés. J’accomplis les mêmes gestes avec le même soin que la première fois et empochais la seconde cartouche tout aussi luisante que la première.
Vous vous dites :
-        Là, attention, soit il nous raconte une aventure d’une banalité affligeante, soit il nous emmène vers un monde inconnu  qu’il va devoir nous expliquer.
Votre réflexion est pleine de bon sens mais si la première hypothèse est la bonne je n’ai, moi, aucune raison de vous raconter cette découverte peu banale peut-être mais sans aucun intérêt littéraire.
Il faut donc envisager l’autre hypothèse car figurez-vous que ma quête se poursuivit par la découverte d’une troisième cartouche un peu plus loin, juste à un carrefour qui me laissa perplexe un moment. Si le chemin que l’on m’incitait à suivre s’arrêtait là c’était l’échec du projet à l’origine de cette découverte apparemment fortuite mais qui ne l’était pas à coup sur.
Avec une logique que vous voudrez bien me reconnaitre j’ai fait cinquante mètre dans une direction et n’ayant rien trouvé j’ai fait le même trajet dans l’autre branche du carrefour pour, devinez quoi ? Trouver une quatrième cartouche enfouie comme ses sœurs entre deux pavés.
Une réflexion approfondie s’imposait : pour quoi, pour qui marchais-je ainsi vers la découverte de cartouches enterrées ?
Devais-je continuer ? Ou m’emmenait-on ?
Quatre cartouches, c’est à peu près la moitié  d’un chargeur de pistolet réglementaire de l’armée français dans les années 60, le MAS 50 autant que je m’en souvienne.
Fallait-il continuer ? La peur de l’inconnu bataillait avec la curiosité dans mon cerveau quelque peu embrumé. Le choix de cartouches de pistolet pour baliser un parcours ne pouvait être innocent. Je sentais confusément une odeur de drame derrière ce choix.
Après un court combat la curiosité l’a emporté et de cinquante mètres en cinquante mètres les découvertes se sons succédées jusqu’à la neuvième cartouche.
Mon chemin s’arrêtait là et mon destin je le sentais commençait au même endroit.
J’ai alors arrêté de regarder le sol et j’ai fait un tour d’horizon qui me révéla la présence d’un pavillon banal,  dans un jardin banal, derrière une grille banale.
Pouvais-je faire autre chose que d’aller sonner ?
Oui je le pouvais mais si rien ne m’empêchait de partir, tout me poussait à aller vers ce pavillon ordinaire.
J’ai sonné.
La porte s’est ouverte et un vieillard en robe de chambre m’a invité d’un geste à entrer.
Nous sommes entrés sans dire un mot dans un salon banal.
Il m’a tendu un chargeur de pistolet. J’ai sorti les cartouches de ma poche et je les ai introduites dans le chargeur avec des gestes relevant d’une longue habitude.
Il m’a alors tendu le pistolet sans que cela me surprenne. J’ai introduit le chargeur dans la poigné du pistolet. Je l’ai armé en tirant la culasse comme indiqué dans le manuel.
J’ai pointé le pistolet vers sa poitrine en le regardant dans les yeux. Il souriait à moitié.
J’ai actionné la détente et le coup est parti.
Le vieux monsieur avant de s’écroulé me dit dans un murmure : merci Hippolyte Chlorate.
Je suis ressorti vers d’autres destins, d’autres actions humanitaires  à organiser  et planifier.
Ce dossier m’est alors revenu à la mémoire. Ce vieux monsieur était un général en retraite qui n’avait jamais combattu. C’était sa honte cachée. Il ne souhaitait qu’une chose : mourir d’une balle de pistolet, ce que j’ai fait mais quelle imagination pour me faire venir jusqu’à lui.

les clowns

Il y a trop longtemps que je garde le secret de l’aventure qui a rendu ma vie passionnante mais qui a aussi pourri la vie de pas mal d’hommes politiques, et autres. J’approche d’un âge ou les perspectives d’avenir se rétrécissent  et je ressens profondément le besoin de raconter mon histoire. Non pas pour me soulager d’un secret insupportable mais simplement pour vous raconter une épopée complètement folle qu’il serait très égoïste de garder pour moi seul.
Cette histoire a commencé le 13 avril 1970, le jour de la saint Ida. J’étais encore jeune (et beau, enfin c’est mon avis et rien ne vous oblige à me croire)  à l’époque et je travaillais dans un entrepôt d’accessoires pour le cinéma, le théâtre et même la télévision. C’était un travail qui consistait à rassembler les objets d’une liste que l’on me fournissait.  Et quand je n’avais pas l’objet demandé il fallait que je courre les brocantes, antiquaires et autres marchands pour trouver l’objet rare. Ce pouvait être une paire de bas 15 deniers à couture ou une statue de Marc Aurel de moins de un mètre. Rassurez-vous celle-là je ne l’ai pas trouvée. Mais revenons au propos initial. Je me promenais donc  ce jour là tout près des archives nationales Rue des Quatre-Fils quand un paquet sur le trottoir attira mon attention.  Paquet de toile grise, ficelé avec soin. Intrigué et comme la rue était déserte je le ramassais et je rentrais chez moi, petit appartement dans un petit immeuble d’une petite rue parfaitement anonyme de Paris. Si, si,  il y a des rues quasiment inconnues dans Paris que seuls les habitants fréquentent. Vous voulez que je vous dise le nom ? Ben, non, vous ne le saurez pas : vous seriez capable de démarrer une enquête qui vous mènerait jusqu’à moi. Enfin avec beaucoup de chance parce que dans les années 70 quand toutes les polices de France m’ont cherché elles ne m’ont pas trouvé.
Je suis donc monté à mon petit appartement et avant d’ouvrir ce paquet qui m’intriguait moyennement je me suis offert ma petite bière quotidienne.  Une bonne bière bien fraîche après la promenade ou après des heures de crapahutage dans le djebel, il n’y a rien de plus réconfortant. Pourquoi je vous parle du djébel et bien parce que j’ai fait la guerre d’Algérie mon cher ami lecteur : 28 mois et pas une décoration mais l’âme un peu bousculée. Passons.
J’ai commencé à développer le paquet avant d’avoir fini ma bière. La curiosité avait pris le dessus. Par une longue habitude datant de l’enfance ou le moindre bout de ficelle a son importance je n’ai pas attaqué la ficelle avec des ciseaux. Patiemment avec les ongles et la pointe d’un couteau j’ai défait les nœuds un a un. Et croyez-moi il y en avait plus d’un.
A l’intérieur des listes au format A5 sur un mauvais papier. Pas d’entête, assez belle écriture à la plume : nom, prénom, adresse et trois colonnes : dans la première on lisait un G ou rien, dans la seconde un M ou rien et dans la troisième un T ou rien comme pour les deux premières. Mais il y avait toujours au moins une colonne remplie et parfois les trois.
Les noms en question ne me disaient rien. Je suis pourtant un vieux parisien et je lis la presse nationale de la première à la dernière page chaque fois que  mon emploi du temps dans l’entrepôt m’en laisse le loisir.
Il y avait une bonne centaine de pages dans le paquet. De temps en temps l’écriture changeait mais c’était la même pour les trois quarts des feuilles.
La plupart des  noms m’étant inconnus rien j’ai refermé le paquet et j’ai ouvert le dernier polar que j’avais commencé le matin. Un Carter Brown dans la Série noire. Je dois avoir près de 700 volumes de la Série Noire. Une passion, les Série Noire dirigées par Marcel Duhamel. Cela date de mon enfance. Un ami de captivité de mon père avait ouvert après la guerre une petite bibliothèque de prêt dans une rue que je prenais chaque jour pour aller au lycée. Ma mère grande lectrice me demandait souvent de lui rapporter quelques titres de cette fameuse collection de romans policiers. Je les rapportais mais ne les lui donnait qu’après les avoir lus. J’ai donc très tôt savouré les romans de Peter Cheney, James Hadley Chase, Antoine Dominique et Carter Brown pour lequel j’ai une affection particulière. Ses romans tournent autour de trois au quatre personnages principaux, Al Weeler, Mavis Seidlitz, Dany Boyd et Rick Holman. Mais celui que je préfère c’est Al Wheeler complice du docteur Murphy  pour faire enrager le shérif  Lavers et amoureux de la secrétaire Annabelle Jackson. J’oubliais le sergent Polnick, faire-valoir du lieutenant Wheeler. Je me demande pourquoi je vous parle de mes livres fétiches. Vous ne lirez jamais de Carter Brown. Vous avez plein de romans modernes sous la main : Millenium de Stieg Larson ou  Fred Vargas, Stephen King et bien d’autres.
Le paquet est donc resté plusieurs mois sur la télé en attendant que je m’intéresse de nouveau à lui. Et puis un jour, n’ayant aucun goût pour démarrer un nouveau livre j’ai rouvert le dossier en question et j’ai repris la lecture des feuilles jaunies. Aucune idée n’en est sortie mais des noms se sont inscrits dans ma mémoire à mon insu.
Un jour donc, finissant la lecture du monde par les faires-parts de décès je tombe sur un nom qui manifestement vient d’une liste du paquet gris. Je lis donc ce faire-part, je le découpe et je le colle dans le cahier ou je note les mots que je dois chercher dans le dictionnaire. Le curriculum vitae de ce monsieur était plein de belles choses accomplies, de décorations obtenues mais ce qui frappait c’était le blanc pour la période 1940-1950. Intrigant non ?
Les jours suivants j’ai commencé mes recherches sur le bonhomme en question mais la récolte fut faible. J’ai tout juste trouvé qu’il avait fait un peu de marché noir. Mais rien d’autre alors que dans la liste il y avait un T (pour trafic ?)  Et un M  (pour Milice ?).
Dans ma rue il reste quelques petits commerçants à l’ancienne : un boucher un boulanger, un droguiste, un bistrot bien entendu et une supérette ouverte tôt le matin et tard le soir.
Ne possédant pas de voiture automobile je fais donc mes courses chez ces braves commerçants. Un certain jour faisant la queue chez le boucher je prêtais l’oreille à une conversation entre le boucher et un des clients. Je n’en retins que le nom du boucher et une phrase :
- Vous l’avez bien connu vous, Pierre Laval quand vous étiez dans la milice ? 
Dénégation tonitruante du boucher  et regards en coin des autres clients.
-Vous confondez avec quelqu’un d’autre, je n’ai rien à voir avec la milice.
Le coup de tranchet asséné au billot résonna d’un drôle de bruit.
Mon tour venu j’achetais mon steak sans faire aucun commentaire et remarquant seulement que le visage d’habitude rougeau du boucher était devenu bien pâle.
De retour chez moi je me suis précipité sur le colis et j’ai bien retrouvé le nom de mon boucher qui n’avait pas changé d’adresse avec un M dans la troisième colonne.
Les jours ont passé et un jour que je prenais une bière au bistrot de ma rue j’ai vu à côté de moi le monsieur qui avait interpelé le boucher. Nous ne nous fréquentions pas mais nous avions l’habitude d’échanger quelques mots à chacune de nos rencontres. Après quelques réflexions sur le temps, le coût de la vie et la bêtise de nos hommes politiques j’amenais la conversation sur notre boucher. Bonne pioche, mon interlocuteur était passionné par le sujet : non seulement par le boucher mais aussi par tous les personnages troubles qui avaient passé la guerre sans dommage. Il était veuf  et avait perdu son fils qui s’était engagé dans les forces françaises libres et qui s’était tué dans un parachutage raté. Le père haïssait donc les miliciens et autres salauds ayant profité de la guerre pour s’enrichir.
Je l’écoutais avec attention mais cette fois-ci je ne lui parlais pas de ma trouvaille. J’ai préféré attendre d’autres occasions et je me suis d’abord intéressé à lui. C’était un homme sans mystère qui travaillait comme correcteur dans le journal que je lisais cheque jour. Nous priment l’habitude de boire un verre ensemble le vendredi soir et parlant chacun de notre métier.  Un jour je l’ai invité à faire un tour dans mon hangar d’accessoires. Il fut enchanté de découvrir des objets qui étaient communs dans sa jeunesse et qui avaient disparu depuis, remplacés par des robots ou des objets en plastique : moulins légume en acier pilon à purée en bois ou panier à salade. Il s’extasia devant une collection d’appareils photo dont des chambres de reportage Graflex ou Busch Pressman.
Une autre fois c’est lui qui me parla de son métier. Métier ingrat qui consiste à corriger les fautes des journalistes ou les fautes des correcteurs automatiques. Je croyais, lui dis-je que votre métier était condamné par ces outils informatiques. Que non, bien au contraire, leurs corrections sont trop simplistes et déforment souvent le sens de la phrase et comme le journaliste ne se relit pas, c’est à moi qu’incombe la tâche de rectifier les erreurs. Le vrai problème de notre profession c’est la formation de jeunes correcteurs : Quelle que soit la formation suivie les jeunes connaissant l’orthographe ou de la grammaire se font de plus en plus rares quand aux amoureux de la langue : disparus, envolés.
Notre relation de voisins et amis aurait pu durer sur ce ton pendant longtemps mais un jour l’évènement déclencheur de la suite arriva.
Le boucher de la rue mourut subitement victime d’un infarctus imprévisible, quoique. L’information se répandit comme une traînée de poudre dans toute la rue et le lendemain un petit faire-part de décès fut distribué dans les boîtes à lettre. On y trouvait le nom et l’adresse de pompes funèbres. Je commençais par rayer le nom sur la liste. Le même jour dans mon entrepôt je cherchais une idée : aller déposer une fleur sur le cercueil comme ma mère faisait lors d’un décès de personne connue ? Non, pas question. Mes yeux tombèrent au même moment sur un panier contenant des dizaines de nez rouge de clown. J’en ai pris un et le mis dans ma poche. J’avais trouvé. En sortant du travail j’ai pris le métro et je suis allé voir mon boucher dans le salon funéraire ou certainement il devait être exposé. A tout hasard, j’ai acheté une rose chez le fleuriste installé tout à côté.
Personne dans le salon funéraire, hormis la bière posée sur 2 tréteaux. Pas d’employé non plus. D’un geste rapide j’ai posé le nez rouge sur le visage de mon boucher et je suis parti le cœur battant après avoir jeté la rose dans le ruisseau.
J’ai mal dormi. Le sacrilège était en contradiction avec ma conscience formatée par l’éducation reçue de mes parents. Mais d’un autre côté je savourais la vengeance au nom de ceux qu’il avait maltraité pendant la guerre. Ce n’est que surlendemain que mon exploit fit parler dans la rue et trois jours après dans le petit journal de l’arrondissement paraissant chaque semaine et toujours à l’affût de ragots.  L’information ne dépassa pas le cadre local. Rien dans la presse nationale.
Mon ami Albert (je ne vous ai pas dit qu’il s’appelait Albert ? Excusez-moi, un oubli, que dis-je une faute, manque de respect du lecteur non ? ) M’invita chez lui pour parler de l’évènement. Il devait se douter de quelque chose car lors de sa visite de mon entrepôt il avait remarqué le panier de nez rouges. Il attaqua sans préambule :
 - C’est vous le nez rouge Hippolyte ? (oui, j’aime bien ce prénom d’un autre âge : je le trouve joli, pas vous ? En général les filles commencent par en rire puis s’attendrissent et deviennent câlines).
- Oui c’est moi, Albert. IL me prit dans ses bras et me dit merci Hippolyte. C’est grand, c’est beau ce que vous avez fait.
- N’exagérons rien Albert, ce fut un geste instinctif.
- Taratata, vous étiez bien parti avec un nez rouge dans la poche non ? Et vous n’êtes pas du genre à aller vous recueillir sur la dépouille d’un inconnu ?
-Vous avez raison, c’était voulu mais pour une raison que vous ignorez Albert. Allons chez moi et vous allez comprendre.
Quelques dizaines de mètres séparent nos petits logements et nous fumes rapidement rendus. Je lui montrais le colis et la page ou le nom de notre boucher figurait. Il resta sans voix jusqu’à ce qu’il me demande :
-D’où tenez-vous ces listes ?
Je lei ai alors raconté ma découverte sur le trottoir le jour de la sainte Ida.
Pour la première fois je lui proposais un alcool d’origine écossaise au lieu de la bière habituelle. Il accepta sans hésitation. Nous restâmes  silencieux un bon moment.
 - Il y a combien de noms dans vos listes  Hippolyte ?
-Plus de cent certainement.
Nouveau silence.
-Quelle signification les gens vont donner à ce geste Hyppolite ?
-C’est le geste d’un gamin ou d’un fou ou de quelqu’un qui connaissait bien le passé du boucher.
-Nous connaissons bien d’autres individus du même genre Hyppolite ?
-Je vous vois venir Albert. On pourrait peut-être poursuivre dans la même voie ? Ce qui n’a pas de sens aujourd’hui pourrait en prendre au dixième nez rouge ?
-Voilà une proposition intéressante Hyppolite. Si on y réfléchissait tranquillement ?
On se sépara l’esprit bouillonnant d’idées et de frayeurs.
Pendant des semaines nous passâmes le vendredi soir à chercher la solution pour donner une suite à mon exploit iconoclaste.
Nous buttions sur 2 problèmes : comment apprendre le décès d’un membre de la liste d’une part et comment aller poser un nez rouge sur le mort sans se faire prendre.
Vous croyez que c’est facile Vous ? Je vous imagine dans votre fauteuil en train de lire ma petite histoire : y a qu’a, faut qu’on ? C’est ça ?
Faute d’idée géniale on a commencé par faire des listes : liste par profession, liste par lieu d’habitation.  Cela nous prit des semaines car c’était un travail fastidieux et dont l’intérêt ne nous avait pas vraiment convaincu. Nous avions décidé d’acheter d’autres journaux qui avaient une page nécrologie.  Deux fois nous trouvâmes un nom présent dans notre liste. Albert se proposa d’aller poser le nez rouge. J’ai d’abord refusé puis sur son insistance j’ai accepté.  Il a réussi sur le premier cercueil et raté son coup sur le second. Pas d’article dans la presse à notre grande déception.
Albert faisait partie d’une association plus ou moins libertaire et jouait un rôle actif dans son fonctionnement. Il me proposa un jour de faire participer  les adhérents à notre projet. J’ai d’abord refusé par crainte de fuites et par peur d’engager des inconnus dans une aventure quand même risquée. Je ne savais pas trop ce que l’on risquait mais je me doutais bien qu’on ne me tresserait pas des couronnes de fleurs.
J’ai fini par céder car nous n’avancions pas.
Notre idée et sa mise en œuvre furent acceptés sans hésitation. On se retrouva près d’une cinquantaine à analyser les listes, les faire-part de décès et les pages nécrologiques des journaux parisiens. Très vite les copains d’Albert purent poser trois nez rouges. Et la presse commença à s’intéresser à notre affaire. Les journalistes ne mirent pas longtemps à analyser le passé des trépassés.  Ils découvrirent les zones d’ombre de nos chers disparus. Dans la série suivante il y eu le père d’un homme politique de premier plan. La grosse artillerie fit tonner les canons de la morale, de la religion, du respect de la mort. L’évêque de Paris se fendit d’un bel article dans La Croix. Le ministre de l’intérieur et des cultes promit une arrestation rapide des plaisantins. Mais les journalistes ayant compris le lien entre le nez rouge et le passé des victimes de notre plaisanterie commencèrent à écrire des articles pleins d’interrogations sournoises. On ressorti des témoins victimes de la milice ou ayant été dénoncés à la gestapo par un voisin. L’affaire sentait de plus en plus mauvais pour le monde politique soucieux d’oublier ce passé peu à l’honneur des français..
Les chambres funéraires furent discrètement ou non surveillées et nous primes peur. Pendant 3 mois nous n’avons lancé aucune campagne de nez rouge. Curieusement pendant ces trois mois il n’y eu qu’un décès susceptible de nous intéresser.
A force d’examiner nos listes nous avons pu identifier un certain nombre d’individus dont l’âge nous garantissait de pouvoir entamer une action dans un délai assez bref.  Nous avons décidé de n’entreprendre qu’une action : attendre qu’il y ait 3 décès significatifs dans la même semaine et dans des lieux éloignés les uns des autres. Pari macabre mais indispensable. Pendant 6 mois il y eu quelques décès qui auraient pu  nous inspirer mais on ne bougea pas. Nous étions en 1976, année de la grande canicule. La chance, si l’on peut dire nous sourit alors. 10 décès de nos nominés dans la même semaine aux quatre coins de Paris. On posa 6 nez rouges. La presse se déchaîna à la fois contre les poseurs de nez rouge et contre la canicule.
Je me sentais de plus en plus mal à l’aise devant les effets de notre petit jeu. Il n’y avait pas mort d’homme bien entendu mais je me mis à penser aux familles innocentes des méfaits du décédé et touchées malgré tout par les articles de la presse.
Albert devait ressentir la même chose car nous avons commencé à nous éviter.
Un matin j’ai décidé de me rendre à la police et d’avouer être l’auteur de la farce macabre des nez rouges.
Quand je me suis présenté au commissariat et que j’ai commencé à raconter mon histoire on m’a tout de suite arrêté.
-Monsieur l’auteur de cette plaisanterie s’est dénoncé hier et nous avons des preuves de sa culpabilité car à son domicile nous avons trouvé un stock de nez rouges. Alors vous allez rentrer chez vous ne plus penser à vous accuser de choses que vous n’avez pas faites. En réalité le discours a été plus direct et moins poli. J’ai voulu insister. Rien à faire, on m’a jeté dehors sans façon.
Le lendemain, dans la presse j’ai appris les larmes aux yeux qu’Albert s’était suicidé dans sa cellule.  C’était Albert  qui s’était dénoncé un jour avant moi.

un jour d'orage

araignée

Pour mon travail j’ai longtemps fait le trajet du Mans à Paris en voiture. Je prenais parfois l’autoroute pour aller piétiner au péage de Saint-Arnoult mais le plus souvent je passais par Nogent le Rotrou, Chartes puis la Francilienne. C’est au retour, à peu près entre Montlandon et Champrond-en-Gâtine qu’il m’est arrivé une drôle d’aventure qui me fait encore frémir quand j’y repense. Je connais bien cette route, à peu près parallèle à l’autoroute elle est peu fréquentée. J’ai même noué des relations très amicales avec un patron de station service ou je m’arrêtais à chacun de mes retours pour faire le plein de gasoil. Station disparue depuis et remplacée par un marchand de frites et burgers. Mais revenons à ce fameux voyage. La nuit commençait à tomber et l’orage menaçait. Plusieurs fois j’avais vu sur cette route une vieille paysanne faire de l’auto-stop et pour une raison obscure je ne m’étais jamais arrêté. Ce n’était pas par principe, j’ais souvent pris des auto-stoppeurs et fait parfois de superbes rencontres mais à cet endroit un malaise me gagnait et pour rien au monde je me serais arrêté pour elle. Ce jour là, l’orage a éclaté peu de temps avant que j’arrive à cet endroit et j’ai vu à nouveau la vieille personne faire du stop. Après une hésitation je me suis arrêté pour la prendre en charge. Quelle idée m’a pris alors que j’avais toujours refusé de le faire ? J’ai compris mais bien plus tard que j’avais été victime d’un sortilège. La vieille dame me remercia chaleureusement et me dit qu’elle n’allait pas très loin en me citant un lieu-dit dont j’ignorais l’existence. Je lui ai demandé de me prévenir assez tôt pour que je puisse m’arrêter. Je commençais à me détendre quand elle m’a indiqué l’endroit. La pluie avait redoublé d’intensité. Elle me dit qu’elle n’avait qu’un petit bout de chemin à faire et que la pluie ne la dérangeait pas. Oubliant encore une fois mes préventions j’ai insisté pour la conduire au pied de sa maison. Elle a fini par accepter. J’ai tourné à gauche sur la petite route communale qui indiquait le lieu-dit dont elle m’avait parlé. Environ à cinq cents mètres de la nationale je suis arrivé dans une cour de ferme assez sinistre, sans éclairage. Ma passagère a insisté pour me faire entrer chez elle pour attendre la fin de l’orage en buvant une tasse de café. J’ai fini par accepter plus par curiosité que par crainte de la pluie. Nous sommes d’abord entrés dans un couloir très sombre, avec une ampoule poussiéreuse de 25 watts insuffisante pour éclairer ce long couloir et tout au bout de ce couloir une cuisine à l’ancienne manifestement mal entretenue car les toiles d’araignées semblaient être installées là depuis bien longtemps. Les casseroles de cuivre pendues au mur étaient bien ternes et la poussière recouvrait la grande table en chêne d’un tapis parsemé d’objets d’origine indéfinissable et qui laissaient penser à des ossements tout blancs. Ma passagère devenue mon hôtesse trottinait dans cette cuisine sans donner l’impression d’une activité en lien avec sa proposition de tasse de café. Elle était menue, les membres grêles et ses yeux globuleux avaient une fixité inquiétante. Mon malaise refit brusquement surface et à ce moment plusieurs claquements sinistres se firent entendre, comme des verrous automatiques qui se déclenchent par une seule commande. Je me retournais pour découvrir que mon hôtesse à quelques pas de moi commençait à déboutonner l’informe gilet gris qui recouvrait une poitrine disproportionnée par rapport à sa taille. De l’ouverture qui se déployait sortit une paire de pattes velues munies de 2 griffes. Puis successivement apparurent d’autres paires de pattes. J’en comptais quatre en tout. J’étais comme hypnotisé. La scène suivante me rappela l’éclosion de la libellule sortant de sa larve accrochée à une branche que j’observais fasciné quand dans ma jeunesse je m’intéressais plus aux insectes qu’aux filles. C’était bien la même chose : une énorme araignée était en train de s’extraire d’une chrysalide à forme humaine, encore fripée mais déjà adroite. Elle se mit à rire. Plus que sinistre, c’était un rire grinçant ponctué de hoquets encore plus déplaisants. Je me suis précipité vers la porte pour constater qu’elle était verrouillée et avec le même désespoir j’ai essayé d’ouvrir la seule fenêtre derrière laquelle un solide volet métallique empêchait toute évasion. Loin de cette énorme araignée je me suis écroulé sur une chaise paillée, cherchant désespérément une solution pour sortir de là. Le silence était revenu, seul le bruit de mon cœur dans ma poitrine avait envahi l’espace. Heureusement la seule lampe pendue au plafond était restée allumée. Si la nuit avait été complète j’aurais hurlé et me serais évanoui de frayeur.
-  Mon dîner est enfin arrivé. Depuis le temps que je vous attends, beau jeune homme !!! Et bien gras avec ça.[1] Je commençais à désespérer de vous voir arriver sur ma table cher monsieur. Cela fait des semaines que je n’ai rien mangé ou presque et j’ai très faim. La semaine dernière j’ai du me contenter d’un poulet, quelle horreur. Heureusement le mois passé j’avais fait un excellent dîner avec une jeune péronnelle tendre à souhait.
Elle commença à projeter un fil de soie brillant pour me lier les pieds, fil que je n’arrivais pas à casser. Je compris alors quel allait être mon sort  et mon esprit ankylosé ne parvenait pas à rationaliser la situation pour trouver une issue. Je marmonnais des mots sans aucun sens, je tremblais de tous mes membres et sans raison valable, poussé sans doute par l’instinct de survie je me mis à hurler :
-  Là le frelon, le frelon !!!
L’araignée se précipita vers la vieille cuisinière à bois qui trônait dans un coin de la cuisine et commença à s’agripper à la hotte surplombant la cuisinière. Je la regardais sans comprendre et juste à ce moment la foudre a frappé la maison, un grand éclair a illuminé le corps de l’araignée et traversé la cuisine sans me toucher. L’araignée s’est recroquevillée, complètement grillée. J’ai entendu les verrous se débloquer et je me suis précipité vers la porte, arrachant frénétiquement les fils qui m’attachaient à la chaise de cuisine. J’ai couru à ma voiture comme un fou. Je tremblais si fort que j’ai eu du mal à tourner la clé de contact.  Je suis parti instinctivement vers la nationale et dans mon rétroviseur j’ai vu l’incendie s’emparer de la ferme maudite.
Ne me parlez plus d’auto-stoppeuse même jeune. Je fais un blocage que personne ne comprend.
Hyppolite Chlorate

[1] Je trouve ce jugement exagéré, je ne suis pas gras, peut-être un peu enveloppé.

le perroquet de gontran

perroquet du Gabon

Vous avez du le rencontrer un jour pendant vos vacances : Gontran, sa petite voiture aux roues en bois et son perroquet. Mais, si, il propose aux touristes de leur dire leur avenir. Vous ne voyez pas ? C’est un vrai personnage : petit et maigre, avec une casquette sale vissée sur le crâne, jamais rasé de près, vêtu de vêtements complètement disparates, les pieds nus dans des sandales de cuir informes. Il a toujours un mégot de Gitane maïs éteint aux lèvres. Vraiment vous n’êtes pas observateur. Si je vous avais parlé d’une blonde sculpturale en mini jupe jouant de la guitare sur la pace du marché, je suis sur que la mémoire vous serait revenue. Et le perroquet, ça ne vous dit rien ? Un perroquet gris du Gabon qui est toujours perché sur l’épaule de Gontran ou sur un solide perchoir fixé sur la petite charrette avec un bol d’eau et un petit sac de graines. Il est pourtant remarquable car il parle avec un accent anglais absolument stupéfiant. Il m’intrigue depuis un bon moment le Gontran. Qu’est-ce qu’il a de spécial ? A priori, rien. Ses papiers sont en règle, il commence toujours par aller se présenter au commissariat ou à la mairie pour avoir l’autorisation de vente sur la voie publique (articles L. 2213-6 et L. 2215-4 du Code général des collectivités territoriale). Rien à dire. Des fois on lui refuse l’autorisation mais c’est rare. Dans ce cas là il ne proteste pas et repart comme si de rien n’était et va ailleurs. Pourquoi je m’intéresse à lui ? Une idée, un soupçon sans raison précise. Juste un truc. On ne le voit jamais arriver. Deux minutes avant il n’était pas là et tout à coup il surgit du néant. Pendant longtemps j’ai pris cela comme un fait indiscutable, sans chercher davantage. Et puis la question a fini par m’obséder et j’ai cherché. Ce n’est pas simple de découvrir une apparition. J’ai commencé par la fin. Si je trouve comment il repart je saurais comment il arrive. Alors dès que je l’ai repéré  je le suis, de loin, sans me faire remarquer. En fin de journée Gontran rejoint un restaurant qui met des tables sur le trottoir et il commande un apéritif qu’il fait durer puis un repas qu’il partage avec Jules son perroquet. Le restaurant reste ouvert très tard et le Gontran s’incruste, prend un café puis une fine. Je finis, fatigué,  par craquer et partir sans avoir découvert comment disparait Gontran. Il m’est arrivé plusieurs fois de partir, faire 50 mètres puis pris de remords, faire demi-tour et découvrir qu’il avait disparu. Il avait du payer ses consommations car personne ne criait au voleur.
Avant de poursuivre sur ma quête il faut que je vous précise comment Gontran exerce son activité. L’été, avec sa petite voiture à bras il propose aux passants de leur dire l’avenir en faisant choisir par Jules son perroquet une enveloppe parmi celles qui sont sur sa petite charrette. Il est très organisé le Gontran. Ses enveloppes, joliment décorées sont alignées dans une petite vitrine au couvercle en verre pour éviter que le vent ne fasse tout envoler. Si un passant s’arrête l’air intéressé Jules salue poliment, tantôt en Anglais : « Hello, how are you ? », tantôt en français ; « Bonjour, comment ça va ? » Comment Jules choisit l’anglais ou le français ? J’ai mis du temps à comprendre mais je crois avoir trouvé.
Si le passant répond Gontran prend le relais et propose ses services. Dans tous les cas, Gontran explique que le don dépend de la générosité de l’acheteur, il n’y a pas de minimum, et lève le couvercle de sa vitrine.
-  Ah ! Cher monsieur (ou chère madame) tout votre avenir est là, inscrit sur le petit papier que Jules va choisir pour vous. Vous êtes de quel signe astrologique ? Capricorne ? Cancer ?  Ok, Caprocorne. Montrez à Jules la paume de votre main gauche et dites-lui qu’il est le plus beau des perroquets. Parfait.
Jules prend une enveloppe qu’il tend au passant intéressé. Celui-ci prend son enveloppe et sort discrètement de son portefeuille un ou plusieurs billets et part avec sa petite enveloppe.
J’ai tout suivi et je n’ai rien remarqué. Bien entendu j’ai moi aussi demandé à connaitre mon avenir. Après avoir indiqué mon signe astrologique Jules m’a donné ma petite enveloppe et j’ai donné un billet de 10 euros en essayant d’observer la réaction de Gontran. Rien de particulier, un merci poli sans plus. Je me suis éloigné et j’ai ouvert l’enveloppe. Dedans, juste ceci écrit à la plume : « Votre avenir est écrit dans votre passé pour l’éternité ».  Voilà une phrase qui n’engage à rien et je me demande si mes soupçons sont justifiés jusqu’au jour où je remarque la chose suivante. Un quidam arrive salue Gontran en anglais comme un vieil ami mais en ajoutant : « Future is written in your past». Cela ressemble curieusement au message que j’ai lu mais en anglais sur ma petite feuille et Jules se met à chanter le Gode save the Queen. Puis échange habituel de signe zodiacal et de petite enveloppe. Seule différence, Jules sort l’enveloppe du petit sac de toile accroché à son perchoir et là je comprends tout.  Vous aussi j’espère ?
 
Hyppolite Chlorate

 

Le perroquet de Gontran - suite

Tout le monde, y compris la police avait bien compris que Gontran vendait de la drogue. Mais quelle drogue ?
Arrêté des dizaines de fois Gontran s’en était tiré à chaque fois sans même une petite amende. Ses papiers étaient en règle et ses autorisations de démarchage sur la voie publique renouvelée tous les ans. Gontran n’était pas inculpé par négligence mais la gendarmerie et la police municipale attendaient le moment propice ou les petits sachets de Gontran révéleraient un contenu de drogue connue. A chaque fois qu’un sachet de drogue avait été analysé les résultats avaient été négatifs. Rien, pas de cocaïne, pas de cannabis ni d’amphétamine, rien de rien. On avait d’abord remarqué que la poudre ocre du sachet se diluait dans l’eau, d’abord sous forme d’un nuage aux couleurs de l’arc en ciel puis l’eau redevenait limpide sans aucune trace de quoi que ce soit.
Les laboratoires les plus sérieux et réputés avaient été sollicités pour analyser la poudre de Gontran et les résultats étaient toujours les mêmes : rien. Il n’y avait rien. La poudre résistait à toutes les analyses. Sa composition était indéchiffrable, inconnue. Bien évidemment les laboratoires ni les autorités ne voulaient avouer leur ignorance. Si un journaliste un peu curieux demandait où en étaient les résultats on lui répondait invariablement que les analyses étaient en cours car le produit était complexe.
Et Gontran continuait à proposer sa poudre miracle à ceux qui répondent « Future is written in your past».
Mais à quoi sert cette poudre, quels en sont les effets ? A cette question Gontran répond sans hésiter :
- Cela dépend de chacun et du choix que vous faites de son usage. C’est une poudre magique. A certains elle apporte l’amour, à d’autres elle apporte la richesse. Certains s’en servent pour acquérir du pouvoir mais la plupart des gens s’en servent pour avoir des rêves merveilleux.
- C’est une drogue alors ?
- Non monsieur c’est une poudre magique.
Gontran ne sort pas de cette explication et se refuse à donner un mode d’emploi.
N’étant pas téméraire j’ai demandé à un monsieur qui venait de repartir avec son sachet s’il acceptait de me dire ce qu’il allait en faire. Sa réponse a été très claire :
- C’est personnel, Monsieur, je trouve votre question bien indiscrète, au revoir.

J’ai donc décidé de passer à l’étape du « Future is written in your past». Et Jules m’a donné le fameux petit sachet que j’ai échangé contre un billet de vingt euro.
De retour chez moi j’ai posé le sachet sur la table de la cuisine et mon regard s’est porté instinctivement vers l’étagère à épices. Le choix impliqué par cette réaction ne m’emballait pas vraiment. J’ai repris le sachet et je l’ai porté sur la commode de ma chambre. J’ai aussitôt pensé aux mites et aux effets que pourrait avoir le sachet si je le glissais dans la pile de pulls.
Non , ce ne peut pas être un produit antimites.
J’ai alors posé le sachet sur ma table de nuit et je me suis allongé sur le lit sans réfléchir. Je ne vous raconterais pas les rêves que j’ai fait, c’est très personnel mais je ne regrette pas mes vingt euro.
Un ami à qui je racontais mon achat et ses effets a aussi été voir Gontran et son perroquet Jules. On l’a retrouvé le lendemain noyé dans la rivière. Je suppose qu’il a du vouloir jeter le sachet dans l’eau. Je suppose.
J’ai poussé l’expérience un peu plus loin en suggérant d’aller voir Gontran à mon voisin de pallier qui me gâche les nuits avec les fiestas bruyantes qu’il organise chez lui parfois jusqu’au petit matin. Il s’est un peu fait prier mais quand je lui ai parlé des effets de la poudre de Gontran il a fini par m’écouter.
Le lendemain de sa visite à Gontran il est allé à son travail complètement défoncé et s’est fait virer sur le champ. Je suppose qu’il a sniffé le contenu du sachet. Je suppose.
Maintenant si vous ne me croyez pas allez donc trouver Gontran. Il est sur la Croisette à Cannes tout le mois d’août.

manuscrit voynich

Manuscrit Voynich

Une page du manuscrit

Manuscrit Voynich

Une fleur étrange

Vous avez tous entendu parler du manuscrit Voynich. Non ? Vous m’étonnez car il est célèbre. Le manuscrit de Voynich est un livre manuscrit et illustré anonyme, rédigé à partir d'un alphabet à ce jour non déchiffré. Redécouvert en 1912 il en est fait mention pour la première fois en 1639. Ce manuscrit est conservé dans la bibliothèque de l’université Yale aux États-Unis. On peut le télécharger entièrement au format PDF : Voir Google.
Vous avez une petite idée de ce que signifie ce manuscrit et de ce qu’il contient ? Ne cherchez pas, des centaines de scientifiques ont cherché avant vous depuis 5 siècles et personne n’a trouvé. Moi je peux vous le dire mais êtes-vous bien certain de vouloir savoir ? On y va ?
Ce n’est donc pas pour enrichir votre culture que je vous parle de ce manuscrit, c’est d’abord pour vous éclairer sur d’autres manières de vivre et penser dans l’univers. Ce manuscrit vient d’une autre planète, d’une autre galaxie. Pour simplifier mes explications je vais donner un nom à cette planète que vous pouvez comprendre et retenir. Appelons-la : Aroste ou Bisritus. On garde Aroste ? ok. Mais revenons au manuscrit. Des dizaines de chercheurs, de linguistes, cryptologues se sont penchés sur lui, ont émis de multiples hypothèses mais en final n’ont rien trouvé de convaincant. Cela ne servirait à rien que je vous traduise les textes car ils concernent des êtres, des vies, des pensées, des objets, des préoccupations inconnues sur terre. Il faut avoir une culture totalement différente de la votre pour comprendre les textes de Voynich. Prenons un exemple : le temps et l’espace qui ont une définition rationnelle, scientifique dans votre monde. Dans le monde d’Aroste, ces deux donnée sont inconnues séparément car elles ne font qu’un. Sur Aroste, tout est vibration, énergie et transformable à l’infini. Autre exemple : Vous pourriez croire que ce manuscrit est un herbier et que les textes qui jouxtent le dessin de l’image ci-dessus sont une description de la plante, de son mode de reproduction et des ses conditions de vie. C’est complètement faux et votre explication n’a rien à voir avec le vrai sens de ce texte. Ce texte est un poème dicté par cette chose que vous appelez une plante et qui est en fait un grand poète sur ma planète.
Si vous allez consulter le manuscrit complet vous découvrirez une multitude de dessins que vous verrez comme des dessins de plantes. En réalité ces dessins représentent les différentes espèces dominantes vivant sur la planète Aroste et qui sont ce que les humains sont sur terre. Sur terre vous avez les plantes, les animaux comme les insectes, les oiseaux, les reptiles et une espèce qui se dit supérieure les humains qui ont l’ambition de gérer et dominer toutes les autres formes de vie sur terre. Et bien c’est un peu pareil là-bas mais à l’envers : les espèces inférieures ne sont ni les plantes ni les animaux . A la page 147
vous trouverez des représentations qui vous semblent être des images d’humains. Ce sont en fait des images d’espèces primaires, inférieures qui sont cultivées, domestiquées et élevées pour servir d’esclaves aux maîtres d’Aroste dont vous avez-vu les images sur les pages précédentes. Vous commencez à comprendre que le contenu de ce manuscrit sera toujours intraduisible et un mystère pour vous ? Vous allez me demander qui je suis et ce que je fais sur terre. Je ne crois pas que ma réponse va vous faire plaisir mais le moment est venu de vous en informer. Je suis un des esclaves d’Aoste envoyé sur terre pour étudier votre espèce qui ressemble à la mienne et voir si elle pourrait être utilisée afin de régénérer notre population d’Aoste. A ce jour le bilan est positif et j’en ai informé mes maîtres.
Le manuscrit Voynich ? Il a été perdu par un de mes prédécesseurs il y a quelques siècles alors qu’il était envoyé sur terre pour faire la même chose que moi. Mai comme vous ne pouviez pas comprendre ce qu’il raconte nous l’avons laissé pour exciter votre curiosité. Il y a plein d’autres choses que vous ne comprendrez jamais : les OVNI, les agroglyphes et le langage des plantes.
Excusez-moi, il faut que je reparte avec mon premier contingent. J’espère qu’il supportera le voyage grâce à la déshydratation et la cryogénisation.
Hyppolite Chlorate

une étrange mappemonde

mappemonde
La semaine passée je me suis enfin décidé à consulter un cardiologue. Mon médecin généraliste que hors de sa présence j’appelle Frédo car c’est un monsieur bien sympathique, m’avait signalé, sans insister que mon cœur faisait des extrasystoles sans m’expliquer ce que cela voulait dire. Heureusement sur internet on peut se renseigner sans avoir à payer 25 euros de consultation. J’en sais donc un peu plus et j’ai ouvert l’annuaire téléphonique pour trouver un cardiologue. Ceux que j’avais consultés jusqu’à présent m’avaient laissé une mauvaise impression. Passons, personne n’est parfait. La liste est assez courte et j’ai choisi de consulter un cardiologue dont le nom compliqué m’a bien plu. J’ai eu un rendez-vous hier. Etonnant non ? Alors que mon médecin m’avait dit de ne pas attendre pour prendre un rendez-vous car les délais étaient de l’ordre de 2 à 6 mois j’ai obtenu un rendez-vous en 2 jours.
J’ai eu du mal à trouver l’adresse de ce cardiologue. Une toute petite maison dans un quartier excentré alors qu’en général les médecins et assimilés  se réunissent aujourd’hui dans un cabinet médical où ils exploitent des secrétaires médicales mal payées donc grincheuses.
Il y avait bien une plaque près de la porte indiquant la profession et le nom du cardiologue avec les heures de rendez-vous : tous les jours de 5 heures à 24 heures. J’ai lu 2 fois la plaque pour m’assurer que je ne rêvais pas. J’ai tout de suite pensé à une erreur du graveur et que le papier qui avait surement du être collé sur la plaque pour donner les bonnes informations avait été décollé.
Je suis entré dans une salle d’attente assez sombre, meublée comme un salon du XIXème siècle. De lourds rideaux de velours grenat cachaient à moitié les 2 fenêtres du salon. Un lustre en verre soufflé de Daume éclairait faiblement la pièce. Les meubles avaient quelque chose de bizarre que je n’arrivais pas à identifier. Leur forme, les sculptures n’évoquaient rien de connu. J’étais le seul client à attendre.
Au bout de quelques minutes seulement le médecin est venu me chercher. Son allure m’a tout de suite rassuré. Il était grand, légèrement enveloppé mais pas gros, vêtu d’un veston style anglais avec un pantalon de velours. Son visage respirait la bonne santé, les yeux d’un noir absolu avaient l’air de m’observer avec bienveillance. La bouche large et charnue découvrait des dents très blanches. En résumé un homme bien sympathique. Après m’avoir salué d’un bonjour chaleureux il me précisa qu’il ne prenait ni la carte vitale ni la carte bleue ni le chèque. Il n’acceptait que le règlement de ses honoraires en espèces. Bien obligé d’accepter ses conditions je suis entré dans son cabinet meublé comme la salle d’attente avec aussi peu d’éclairage. Une lampe de notaire verte éclairait le bureau à droite et une mappemonde assez incongrue dans ce cabinet à gauche.
J’ai expliqué les raisons de ma visite et donné tous les détails de mon passé médical qui pouvaient l’intéresser. Il prenait des notes sur un bloc que je ne pouvais lire car le fauteuil dans lequel je m’étais assis me positionnait un peu plus bas que le plan de travail du bureau. Mais je n’avais aucune raison de vérifier ce qu’il écrivait. L’interrogatoire terminé il m’a demandé de me déshabiller pour m’ausculter. Je m’attendais à passer dans une autre pièce avec une table d’examen et tout l’appareillage classique d’un cabinet de cardiologue. Il n’en fut rien.
Il s’est levé, a pris sur son bureau un objet ressemblant à une corne de chasse et est venu devant moi en me demandant de respirer tranquillement. IL a posé l’ouverture la plus large de son engin sur ma poitrine et l’autre extrémité dans son oreille. Avec sa main droite il m’enserrait le poignet pour prendre mon pouls. J’ai alors compris que j’étais subitement revenu 100 ans en arrière et que j’étais dans le cabinet d’un cardiologue des années 1900. Son engin était l’ancêtre du stéthoscope que je connaissais. J’ai eu envie de sourire et puis je me suis dit : pourquoi pas ? Après la déception ressentie avec le cardiologue précédent qui m’avait donné des doses de statine trop élevées je me suis dit que peut-être celui-ci serait plus avisé. L’examen dura un certain temps, sans parole, avec quelques grognements de temps en temps. Plusieurs fois il posa ses mains bien à plat sur ma poitrine et je ressentais à ces moments là une douce chaleur m’irradier sans que je puisse dire si cette chaleur était celle de son corps ou était d'une autre nature. Pendant qu’il m’auscultait mon regard s’est porté sur la mappemonde qui trônait sur son bureau. Cette mappemonde semblait être très ancienne. Elle me faisait penser à la Planisphère de Fra Mauro de 1459 mais une seule couleur dominait : le vert dans plusieurs nuances qui ne permettaient pas de distinguer continents et océans. C’était assez étrange. Le docteur m’a demandé de me retourner et mon regard s’est porté sur le mur derrière moi. Là encore une carte comme une planisphère mais je n’y retrouvais rien des continents de notre terre, ni dans la forme ni dans les noms. J’étais de plus en plus étonné. Le médecin m’a dit de me rhabiller et il est retourné s’asseoir derrière son bureau. Une fois habillé  je me suis également assis mais en me positionnant sur le bord du fauteuil afin de regarder de plus près cette mappemonde qui me chiffonnait. Je n’y comprenais rien et je fus bien obligé de reporter mon attention à ce que me disait le cardiologue. Il me rassura, ne me fit aucune ordonnance mais me donna un petit sachet en me disant de diluer le contenu dans un verre d’eau et de le boire le soir avant de me coucher.. Il me donna sur une carte de visite l’adresse d’un sophrologue qu’il me conseillait d’aller voir. J’ai payé la consultation cinquante euros. En sortant je me suis retourné et je l’ai vu déchirer mon billet de cinquante euros en petits morceaux. A la porte la plaque avait disparu et quand je suis arrivé à mon auto, je le suis retourné, la petite maison avait aussi disparu. Je me suis empressé de partir les mains tremblantes sur mon volant. Arrivé à la maison j’ai commencé par me servir un whisky bien tassé et j’ai versé le contenu du sachet dans le bocal du poisson rouge. Que croyez-vous qu’il arriva ?
Non, le poisson rouge n’est pas mort. Il est monté à la surface du bocal et m’a raconté l’histoire de la planète verte, celle dont j’avais vu la carte sur la mappemonde.
Hyppolite Chlorate

cuisiner au feu de bois c’est bien

-   Bonjour mon voisin, vous allez bien ?
-   (Encore lui. Toujours en train de m’espionner. Mais qu’est-ce que je suis venu foutre dans ce bled de merde.) Je vais bien merci, quelques vieilles douleurs comme d’habitude mais je me soigne. Et vous, ça va ?
-   Couci-couça mais dites-moi, je vous ai vu rentrer hier avec la remorque. C’était quoi ce gros truc sous la bâche ? Si, je suis trop curieux, dites le moi.
-   Il n’y a pas de secret. J’ai acheté une cuisinière à bois et charbon d’occasion. Une Rosière, vieille et bonne marque. J’aurais préféré une Godin mais je n’en ai pas trouvé dans mes prix.  Cela a l’air de vous étonner ?
-   Effectivement cet achat me surprend. Le courant électrique fournit une énergie facile à gérer, pas chère et les plaques électriques induction ou vitrocéramique sont super pratiques. Je ne comprends pas votre achat, vraiment, on dirait que vous aimez jeter l’argent par les fenêtres.
-   (Et qu’est-ce que ça peut te foutre connard, ce que je fais de mes sous). Non, non.. c’est un achat murement raisonné. J’ai peur qu’un jour on ne puisse plus acheter de l’électricité à un prix correct ou que tout simplement on n’en produise plus. Par contre, du bois j’en trouverais toujours. J’habite à 1 kilomètre de la forêt et ce n’est pas le bois mort qui manque. Vous allez me dire, et les allumettes, hein les allumettes ? Ce n’est pas faux mais je peux faire du stock de boîtes d’allumettes et puis j’ai une loupe.
-  Quand même, faire sa cuisine sur une cuisinière à bois, faut vraiment être passéiste. C’est vrai que vous êtes retraité, vous avez du temps à perdre, ou à occuper. Et vos congélateurs vous allez les remplacer par quoi ?
-   Je ne vais plus utiliser de congélateur sauf pour stocker du grain pour mes poules. Avec mes poules et mes lapins, pas besoin de congélateur. J’ai de la viande fraîche quand je veux et sans frais ni d’emballage, ni de transport.
-  Vous avez donc tiré un trait sur la viande rouge. La côte de bœuf bien dorée va vous manquer.
-  Ce n’est pas faux mais il faut savoir faire des sacrifices. (et puis, pauvre con, de la viande rouge j’en trouverai- autant que je veux).
-  Vous allez l’installer où votre Rosière ? Vous aurez de la place et un conduit dans votre cuisine ?
-  Je vais l’installer sous le hangar, près du stock de bois.
-  Et pour cuisiner vous allez sortir dehors tous les matins ?
-  Ben oui, ça réveille les sens et nos ancêtres l’ont bien fait, pourquoi je ne le ferai pas ?
-  Et bien, bon courage. Bonne journée.
-  C’est ça, à bientôt. La curiosité sans limite de ce type finira par me voir rouge. Tiens pourquoi pas lui ?
Bien, faisons le point. J’ai la cuisinière. Il va falloir que je fasse un trou dans la tôle pour passer le tuyau et que je nettoie et lubrifie le mécanisme de réglage du tirage. On verra ça demain. J’ai un bon stock de bois, le chevalet, la scie égoïne. Faudra que je pense à l’affûter. La hachette est à sa place et à affuter aussi. Mes deux couteaux sont toujours affûtés, eux, donc de ce côté-là pas de souci. Ah, j’oubliais le billot. Je vais ramener celui de l’atelier sous le hangar. Il me faut aussi un grand baquet et l’eau du puits à proximité, le tuyau d’arrosage est assez long. J’oubliais : une poubelle pour les os et une poubelle pour les viscères et des torchons propres. Je crois que je n’ai rien oublié.
Il ne me reste plus qu’à attendre la pleine lune.

Hyppolite Chlorate

escalier secret

- Avez-vous remarqué que dans beaucoup de cimetières il y a au moins une chapelle ou du moins quelque chose qui ressemble à une chapelle avec porte en fer forgé ? Un truc prétentieux en granit et fer forgé.
- Oui  et alors ?
- Et bien entendu vous supposez qu’il s’agit d’une marque de respect à la gloire du défunt ? Si vous avez un esprit mal placé vous ajoutez que c’est encore une marque ostentatoire du niveau social et de la richesse de la famille ?
- Je n’ai pas l’esprit mal placé que vous dites. D’abord je ne vais dans les cimetières que par obligation.
- Peut-être, peut-être… mais vous n’avez jamais poussé la porte de la grille en question ?
- Ben non, pourquoi faire ? Il n’y a que des cercueils dans ces monuments.
- Vous n’avez pas tout à fait tord. Il y a effectivement des cercueils, en plus ou moins bon état selon la date de mise en bière des défunts.
- Et vous, vous êtes allé voir ? Vous n’avez pas eu peur ?
- La première fois j’avais peur, comme tout un chacun. Mais ma curiosité a été la plus forte. Je suis entré.
- Et alors ?
- J’ai fait une découverte intéressante.
- Quoi ?  Racontez, vous aves l’air d’hésiter. Qu’est-ce que vous avez découvert ?
- Une porte et derrière la porte un escalier.
- C’est pas vrai, vous racontez une histoire pour me faire peur.
- Non, non, ce n’est pas vous faire peur, juste pour vous faire comprendre que les apparences sont parfois trompeuses. J’ai descendu l’escalier. Un bel escalier d’ailleurs, propre avec de petits lumignon qui l’éclairaient gaiement un peu comme des feux follets. Je suis descendu. Plus je descendais plus j’entendais distinctement une musique, une belle musique, gaie, entrainante. Arrivé en bas j’ai découvert une salle de bal immense avec plein de gens qui dansaient.
Oui, je vois, des bobos qui avaient transformé le cimetière et son sous-sol en boîte de nuit.
Arrivé en bas de l’escalier une espèce de majordome est venu me saluer. Je me suis présenté : -- - Hyppolite Chlorate pour vous servir. Le majordome s’est incliné devant moi et puis s’est retourné vers l’assemblé en claquant des mains.
- Mesdames, messieurs, un peu d’attention s’il vous plait. Nous avons la visite de notre guide, j’ai nommé Hyppolite Chlorate !!!!
- Il connaissait votre nom ?
- Bien entendu, nous sommes de vieilles connaissances. Aussitôt après son appel j’ai été entouré comme une diva du showbiz.
- Laissez-moi vous raconter mes échanges avec mes groupies.
- Là Hyppolite vous êtes en plein conte de fée.
- Non, non, je connaissais tous ces gens ravis de me retrouver. Nous n’avions eu que peu d’échanges avant qu’ils viennent s’établir là mais suffisamment pour que je les reconnaisse.
- Comme je suis content de vous voir monsieur Chlorate.
- Appelez-loi Hyppolite, ça me fera plaisir madame la baronne.
- Je suis partie si rapidement Hyppolite, je n’étais plus moi-même et je n’ai pas eu le temps de vous remercier.
- Votre nouvelle vie vous convient-elle ?
- Je suis ravie, Hyppolite. Plus de douleurs, plus d’angoisse sur l’avenir et de charmants voisins. Près de chez moi, parcelle j4, j’ai un voisin adorable, parcelle j5, qui me raconte sa vie, un roman passionnant.
- Je suppose que le temps passe vite ici ?
- Tout à fait et suprême bonheur nous n’avons pas à nous soucier du lendemain.
- J’ai été ravi de vous revoir madame la baronne.
- Moi de même Hyppolite. Revenez souvent nous rendre une petite visite.
- J’ai papoté longuement avec tous ces gens et j’ai remonté par l’escalier le cœur gros. Quelque part dans le monde souterrain on m’aimait et me respectait. Il faudra que je revienne.
- J’y crois pas à votre histoire. Vous êtes qui d’abord ?
- Je suis le passeur. Vous me reverrez peut-être un jour mais vous ne me reconnaitrez pas. Mais moi je vous reconnaitrais.
Hyppolite Chlorate

petite histoire presque vraie

Il y a quelques jours, ce devait un samedi soir je me suis couché de bonne heure. Je devais être dans mon premier sommeil quand j’ai été réveillé par une lumière assez forte qui scintillait à travers les lattes du volet de ma fenêtre. Je me suis levé, j’ai mis mes lunettes et enfilé ma robe de chambre puis j’ai ouvert mon volet. Ce que j’ai vu alors m’a tellement surpris que je me suis frotté les yeux et j’ai senti un frisson me courir le long de la colonne vertébrale. Ce que je voyais dans le ciel ressemblait à une énorme bouteille de gaz : même forme mais de dimensions gigantesques. Elle brillait d’une lumière assez douce comme vibrante d’une pulsation lente et régulière. Reportant mon regard plus près de moi je vis comme une route faite de film étirable qui partait de ma fenêtre et rejoignait le haut de la bonbonne ; je n’ai pas d’autre mot pour la définir. Ce n’était pas ce qu’on appelle communément une soucoupe volante, elle n’en avait pas la forme et était immobile mais elle faisait penser à cela. La route était bordée de 2 mains courantes formées d’une matière semblable, souple et transparente. Après les premières secondes ou minutes de surprise j’ai entendu une voix m’invitant à rejoindre la tour lumineuse immobile dans le ciel. Il n’y avait personne auprès de moi mais la voix était là, insistante qui m’invitait à prendre la route. Je suis d’un tempérament assez fataliste, aventureux même et je me suis dit, pourquoi pas. J’étais peut-être aussi très conditionné par la voix que j’entendais. J’ai posé le pied gauche sur la route qui s’est enfoncée comme lorsqu’on appuie sur du film étirable bien tendu. J’ai posé l’autre pied en me tenant à la rambarde. Je ressentis alors sous mon pied gauche comme une poussée venant d’un ballon bien gonflé et j’ai avancé assez vite comme propulsé par le sol élastique sous mes pieds. C’était une sensation agréable et j’ai marché ainsi assez vite sur cette route qui partait en tournant comme une route de montagne. La voix s’était tue et je voyais sous mes pieds les toits des maisons de mon village. J’étais calme et curieux de cette aventure. Je suis arrivé ainsi à la tour et une porte a fait son apparition. Au-delà de la porte un couloir éclairé partait sur la droite en suivant le contour arrondi de la tour. Je suis entré et j’ai senti qu’on me souhaitait la bienvenue. La porte ne s’est pas refermée derrière moi. Plutôt rassuré j’ai continué à avancer. Des portes s’ouvraient tantôt à gauche, tantôt à droite sur des pièces qui me semblaient vides mais qui vibraient de conversations dans une langue que je ne reconnaissais pas. J’entendais parfois des rires ou une musique étrange et légère. Le couloir montait insensiblement suivant un rayon qui diminuait à chaque tour. Toujours pas de personne physique et de temps en temps la voix qui m’invitait à continuer. Le couloir a enfin abouti à une porte grande ouverte sur un tube de lumière vertical. Précautionneusement je me suis approché du bord et j’ai regardé vers le bas. Je vis alors un spectacle étrange car en complet décalage avec ce que j’avais vu jusque là : un chaudron bouillonnait doucement en bas. Un chaudron immense à la surface duquel on devinait plus qu’on ne les voyait des légumes, des chairs roses et blanchâtres, des ossements qui crevaient la surface puis disparaissaient. Je me suis reculé, effrayé mais je ressentais comme une poussée légère dans le dos et la voix qui me disait : le moment est venu de te libérer de ton corps et d’être le pur esprit que tu es en réalité pour vivre une autre vie avec nous. Plonge et tu renaîtras. J’hésitais un moment et presque hystériquement j’ai hurlé : non !
La voix s’est tue. J’ai à ce moment là eu très peur que l’on me pousse malgré moi vers le chaudron bouillonnant. Mais rien ne s’est produit. J’ai seulement entendu un soupir. J’ai repris le couloir en sens inverse. Tout était devenu silencieux comme une foule qui attendait un concert et qui était déçue d’entendre dire que ce spectacle était reporté. J’ai retrouvé la porte, la route transparente et à grands pas élastiques j’ai rejoins ma chambre. Je me suis couché comme épuisé et je me suis endormi rapidement. J’ai eu le temps de voir la route se détacher de ma fenêtre et comme un fil d’aspirateur aspiré par un ressort rejoindre la tour et s’y engouffrer. La tour s’est rapidement rétrécie comme un objet qui s’éloigne, sans bruit et sa luminosité a décliné puis disparu. Il ne semblait ne s’être rien passé.
Le lendemain matin je me suis réveillé frais et dispos et c’est au petit déjeuner que la mémoire de mon aventure nocturne m’est revenue brutalement. Je me souvenais de tout et je peux donc vous la raconter sans rien oublier. Je dois vous préciser que je n’avais pas bu ni fait de repas copieux. A la fin du déjeuner ma femme m’a dit ; Tu sais qu’on a prévu un bourguignon pour ce midi. Il faut s’y prendre de bonne heure car cela demande deux bonnes heures de cuisson. Je suis resté un moment sans répondre, le cœur au bord des lèvres puis je l’ai invitée au restaurant. Elle n’a pas dit non.

une vocation précoce

Journal de Nestor B.
On ne saura jamais ce qui nous destine à être ce que nous sommes devenus. C’est ainsi et toutes les recherches psychiques ou génétiques n’y changeront rien. J’ai commencé la carrière dont j’ai atteint maintenant le sommet à l’âge de 8 ans. Je suis le troisième enfant d’une portée de 6. Place peu enviée car en bute aux agaceries des aînés et trop âgé pour les jeux des puînés. C’est le frère né juste avant moi qui déclencha ma vocation et me fit découvrir un don que j’ai perfectionné jusqu’à aujourd’hui. Ce frère se moquait sans arrêt de moi. Toutes les occasions étaient bonnes pour me ridiculiser et me mettre en colère. Comme je ne prenais jamais le temps d’aller faire pipi car trop occupé à lire ou faire du patin à roulette (qu’il était incapable de faire l’imbécile) je mouillais mon pantalon en serrant les jambes, il me traitait de « pissouille » avec jubilation. Cela me mettait hors de moi et je finissais par aller faire mon pipi sous les quolibets. Après m’être vengé à coups de poings et coups de pieds je passais parfois à la méthode douce et j’essayais bien de l’amadouer pour calmer ses moqueries mais rien n’y faisait. Mes plus belles billes sont passées de mes poches aux siennes sans que son attitude change. Je résolus, à bout de patience de me venger et de mettre un terme à cette situation qui me pourrissait la vie. Je pris mon temps et je réfléchis longuement au meilleur moyen de lui faire payer ses méchancetés. A cette époque le courant électrique délivré pour l’éclairage (il n’y avait pas encore d’appareils ménagers électriques dans les foyers comme le notre) était de 110 volts. Notre père nous avait fait la démonstration de sa résistance à ce courant en mettant 2 aiguilles métalliques dans les trous d’une prise et en serrant ces 2 aiguilles entre le pouce et l’index sans qu’elles se touchent. Le courant passait dans le corps sans provoquer de court-circuit. Nous en avions tous été très impressionnés. Cela me donna une idée. Je provoquais sans cesse mon frère en lui disant pour commencer qu’il était incapable de faire la même chose que lui. Puis je lui fis la démonstration de mon pouvoir en faisant sous ses yeux l’expérience. Je supportais assez bien, comme mon père le courant de 110 volts. Mon frère d’abord indifférent finit pas s’agacer de ce pouvoir qu’il n’avait pas. Je réussis un jour à le convaincre d’essayer. Il essaya et mourut électrocuté sur le champ. Il faut préciser que la veille la tension était passée de 110 à 220 V. J’avais vu mon père changer les ampoules, mon frère non. Ma vengeance était parfaite et ma responsabilité non engagée car j’avais pris le soin d’exciter mon frère à faire le geste funeste en dehors de la présence de mes parents. Mes autres frères commencèrent à se méfier de moi car ils avaient assisté à mes manœuvres. Ils me fichèrent donc la paix et je pouvais savourer complètement les effets de mon forfait. Notez bien que je n’en eu aucun remord. Je n’en compris pas sur le coup les effets à long terme sur mon avenir professionnel.
Je poursuivis mon petit chemin sans encombre. Elève médiocre à l’école, sans résultat brillant au collège j’arrivais à mes 18 ans sans bagage particulier. J’avais raté le bac avec indifférence et pris le chemin de l’usine sans enthousiasme mis sans rejet non plus. C’est dans cette usine que mes dons d’organisateur se sont pleinement révélés. Sans formation aux techniques d’ordonnancement ou de gestion des stocks je mis en place très rapidement les outils indispensables à la bonne gestion de l’atelier ou mon père m’avait fait embaucher. Ce don se perfectionna tout au long de ma carrière.
Mon deuxième crime organisé concerna un ami, enfin qui se disait tel, que j’avais dans mes activités de plein air car j’adorais vivre dans la nature. Avec l’aide financière de mes parents j’avais acheté un canoë canadien qui me permettait de remonter la Seine toute proche et explorer les îles qui existaient encore à cette époque. Nous étions trois, Pierre qui est resté un ami toute ma vie et Jean-Pierre, ma future victime. Comme mon défunt frère Jean-Pierre était un taquineur dans l’âme et ne ratait pas une occasion de moquer mon comportement toujours trop sérieux à son goût. Ce qui causa sa perte c’est le jour ou il slaloma avec mon canoë autour de pieux affleurant la surface de la Seine. J’avais peur qu’à chaque instant il perce la coque fragile du canoë qui aurait fini comme le Titanic. Je décidais de lui faire payer cette frayeur qu’il m’avait imposée. Un jour que nous étions partis ensemble à l’aventure vers l’île aux Cerises l’occasion se présenta sans que j’aie quelque chose à faire, le summum de mon art. Il faisait grand vent et les pousseurs de barges se succédaient sans arrêt sur l’eau en provoquant des vagues assez hautes et traitresses. Je suggérai à Jean-Pierre de pagayer debout, insinuant qu’il en était incapable. L’imbécile tomba dans le piège et la flotte au moment ou la vague du pousseur prit le canoë par le travers. Il coula à pic, l’eau étant très froide en ce début de printemps. Je vous passe les détails de mon retour. Tout y passa, appel au secours, pompiers mariniers, remontée du corps, questions sans fin sur mon rôle dans l’affaire et désespoir des parents. Je m’en tirais sans trop de dommages mon art du mensonge étant aussi parfait que mon don pour l’organisation.
A ce stade seul le hasard avait joué et je ne me voyais pas d’avenir dans le crime. Par contre je continuais à me perfectionner dans l’organisation de mon travail. J’avais atteint un tel niveau que je pouvais diminuer mon temps de travail par 4 pour le même résultat. Ne riez pas, je peux vous donner des exemples concrets et vérifiables. Cela m’a permis de reprendre mes études et faire mes devoirs sur le temps du patron.
Le temps du service militaire est arrivé. C’était l’époque de la guerre d’Algérie et je suis parti pour 28 mois de service armé. A force d’astuces et calculs stratégiques je ne suis parti en Algérie qu’au bout de 16 mois après être devenu aspirant d’artillerie parachutiste. On en reparlera une autre fois. Je me suis donc retrouvé en Algérie comme observateur d’artillerie dans une batterie d’obusiers de 105 avec au bout de quelques jours de préparation une mission de DLO (Détachement de Liaison et d’Observation) auprès d’un régiment de la légion. Là encore le hasard travailla pour moi. J’avais retrouvé dans cette batterie l’adjudant que j’avais connu et détesté dans le régiment où j’avais fait mes classes. Cet adjudant était un pervers qui prenait plaisir à nous faire rater le train quand nous partions en permission. Il m’avait fait aussi gratter avec les ongles la merde des chiottes qu’il m’avait demandées de renettoyer. J’avais donc gardé de lui un souvenir précis. Cet imbécile trouva malin de simuler pendant la nuit une attaque de fellaghas en affolant les pauvres appelés que nous étions. Mal lui en pris. Dans la fusillade qui s’ensuivit personne ne remarqua la balle de pistolet que je lui collais dans la tête. J’en étais à mon troisième forfait et là je compris qu’une vocation était née. Ce n’était plus des nécessités ni des coïncidences. J’étais doué pour le crime. Je devins l’organisatueur, surnom qui me suivit tout au long de ma carrière.
Je vous raconterais une autre fois les détails de l’année que j’ai passée auprès de ce régiment de la légion. J’ai vite compris qu’il ne fallait pas jouer au plus malin avec ces gens là, ils étaient des professionnels autrement plus expérimentés que moi et bénéficiaient de l’immunité. Je suis quand même parti en leur jouant un vilain tour qui faillit me faire passer en Conseil de Guerre. Ils en furent pour leurs frais.
De retour dans la vie civile je retrouvais mon emploi dans l’usine où j’avais commencé à travailler. J’y déployais les mêmes compétences en matière d’organisation. Ce qui m’étonne encore aujourd’hui c’est l’indifférence de mes chefs successifs sur mon savoir-faire. Il fallait souvent que je sois parti de l’entreprise pour que l’on s’aperçoive des améliorations que j’avais apportées. Inconsciemment cela devait me frustrer.
Ayant épuisé les perfectionnements possibles dans mon travail j’ai cherché un autre emploi et je suis parti dans une grande entreprise de Basse Normandie. Je rencontrais là un chef de service avec qui je m’entendis rapidement car nous avions le même sens de l’organisation. Ensemble nous mîmes au point une méthode de calcul des prix de revient que les américains découvrirent 10 ans après. Les grèves de 1968 m’ont distrait un moment de mes préoccupations sur la productivité. En 1970 une autre grève importante eut lieu dans la même usine et j’y jouais un rôle que la presse nationale  rapporta abondamment. Il se trouva que, élu secrétaire du comité d’entreprise je dus défendre la cause d’un gréviste menacé de licenciement et je réussis sa réintégration en rédigeant un rapport destiné à l’inspection du travail dans un style qui berna le DRH et qui servit à la réintégration de l’ouvrier concerné. Celui-ci de ce jour ne m’adressa plus la parole et faisait tout pour m’éviter alors que j’avais passé des semaines à négocier la rédaction du texte qui l’avait sauvé. Je décidai de lui apprendre la reconnaissance. Il travaillait sur une presse de 500 tonnes et un mécanisme empêchait le conducteur de laisser ses mains sous la presse avant qu’elle fasse son travail de compression. J’avais bien observé cette presse et découvert que seule une cheville assurait la sécurité du mouvement nécessaire. Mes fonctions de délégué syndical me permettaient de circuler à mon aise dans l’usine et une nuit je remplaçais la goupille par une autre légèrement entaillée. Je m’étais assuré qu’il était le seul à travailler sur cette presse, juste vengeance de la direction. Au bout de quelques jours ce qui devait arriver arriva et ses deux mains restèrent sous le piston de 500 tonnes. L’hémorragie était telle qu’il mourut avant l’arrivée des secours. Une enquête permit de découvrir le défaut de la goupille mais pas l’identité du coupable qui pouvait être n’importe qui dans l’usine. J’en étais à ma quatrième victime et toujours pas découvert.
Ayant encore une fois épuisé le potentiel d’amélioration de mon poste je cherchais à partir et je pris contact avec un cabinet de recrutement. C’est là que mon parcours de tueur professionnel prit son réel départ. Le recruteur qui me reçut et qui fouilla mon CV était un fin psychologue. Par des questions détournées, en écoutant les petites histoires de ma vie que je prenais plaisir à lui raconter il finit par découvrir mon savoir faire particulier. A partir de ce moment nous nous rencontrâmes en dehors du cabinet de conseil. Il me fit rencontrer un chef d’entreprise qui souhaitait se débarrasser de l’autre actionnaire de sa boîte pour rester le seul maître de son affaire. Je fus embauché à un salaire confortable avec des objectifs de réorganisation que je n’eus aucun mal à atteindre. L’objectif principal fut également atteint au bout de quelques mois. Je vous épargne le détail de mes manœuvres dont je fus assez fier sur le coup. Ce cinquième succès fut suivi de beaucoup d’autres et je ne fus jamais inquiété. Quand je repense au suicide d’un ministre de la République je suis assez fier de moi : j’avais réussi à lui faire écrire et signer un papier où il déclarait vouloir se suicider.  Ma renommée fit que mes exigences financières atteignirent des sommets que peu d’exécuteurs ont atteints.
Je suis aujourd’hui à la veille de mon centième contrat. Ce sera le dernier car j’ai décidé de prendre ma retraite. Ce travail ne m’amuse plus. J’en ai épuisé toutes les jouissances. Je rêve de campagne, d’une petite maison cachée au fond des bois, d'une vie simple et sans souci.
Là s’arrête le journal de Nestor B.
J’ai bien aimé lire le journal de Nestor. Je l’ai trouvé un peu présomptueux mais je reconnais que c’était un grand professionnel. C’est dommage que son centième contrat soit aussi un contrat que l’on m’avait confié. Je ne supporte pas la concurrence et j’ai bien compris que nos donneurs d’ordre souhaitaient se débarrasser de lui ou de moi. Avec internet et les réseaux sociaux, plus besoins d’assassinat, une campagne de dénigrement donne les mêmes résultats et pour beaucoup moins cher. Donc un tueur à gage, pardon un nettoyeur suffit. Notre objectif commun était un dirigeant politique dont la cote grandissante auprès des électeurs représentait un danger pour les hommes en place. Ses projets de rééquilibrage des impôts en faveur des classes populaires et ses projets de réglementation écologique dérangeaient fortement. Je connaissais assez bien les méthodes de Nestor. Sur cette affaire là il n’en changea pas et ce fut sa perte. Il avait projeté de suicider notre client. Je décidais de suicider Nestor à la place. Nestor avait obtenu de l’homme politique en question un rendez-vous en se faisant passer pour un journaliste belge soucieux de faire connaître les objectifs de ce monsieur aux wallons. J’avais tout simplement fait la même demande pour un journal Suisse. Trop heureux d’avoir l’occasion de faire parler de lui en Belgique et en Suisse nous avons obtenu de notre cible un rendez-vous à une heure d’intervalle. Quand Nestor est sorti de la bibliothèque ou l’entretien avait lieu je me suis levée de la chaise ou j’étais assise pour attendre mon tour et je lui ai tendu la main avec un grand sourire.
-          Bonjour Nestor B.
-          Bonjour mais je ne crois pas vous connaître ?
-          Mais si, nous avons le même patron, monsieur X
Nestor a ouvert la bouche, stupéfait. La balle de mon pistolet est entrée par cette bouche grande ouverte et est ressortie par le sommet de son crâne. L’homme politique visé est sorti à son tour attiré par le coup de feu. Ma deuxième balle l’a atteint entre les deux yeux.
On pouvait lire dans la presse du lendemain : Monsieur X et un faux journaliste assassinés hier soir. La police est sur plusieurs pistes.
J’ai oublié de vous dire : je suis une femme et je m’appelle Clothilde. Etonnant non ?
Hyppolite Chlorate

les trois sorcières

Avant d’entrer dans le vif de l’histoire il n’est pas in utile que je vous décrive à grands traits le cadre dans lequel elle se déroule.
Il fut un temps, que vous n’avez pas connu, ou les activités des troupes de scouts comme des colonies de vacances étaient on ne peut plus primitives. Ce n’était pas sans charme mais c’était le plus souvent avec des ampoules aux talons. Je précise. Les promenades en poney n’étaient envisageables que dans un futur proche de l’utopie. Ne parlons pas de rafting ni de ski ni de mur d’escalade. Des activités qui ne furent pratiquées que des dizaines d’années plus tard. C’est difficile à croire mais l’activité principale était la marche à pied en chantant des chansons que je n’oserais pas chanter à mes petits-enfants par crainte de jugement définitif et méprisant.
Deux exemples :
1 kilomètre à pied, ça use, ça use
1 kilomètre à pied, ça use les souliers.
2 kilomètres à pied….
Dans la troupe, y'a pas d'jambe de bois
Y'a des nouilles, mais ça n'se voit pas !
La meilleure façon d'marcher
C'est encore la notre
C'est de mettre un pied d'vant l'autre
Et d'recommencer !
Un deux ! Un deux !
J’en ai d’autres mais je ne veux pas abuser de votre patience.
Oh ! Excusez-moi, ça se sont les chants de colonie de vacance.
Les chants de scout c'est ça
Ensemble
Ensemble nous avons marché
Marché le long des sentes
Ensemble nous avons glané
Des fleurs au creux des pentes
Ensemble, ensemble,
Notre devise est dans ce mot
Ensemble, tout semble plus beau.
Ou ça :
Bonsoir
Bonsoir, bonsoir !
La brume monte du sol, on entend le rossignol.
La brume monte du sol, on entend le rossignol.
Bonsoir, bonsoir !
 
Avouez que les chants de scout ont une autre classe que les chants de colonie de vacance. Mais, il y a toujours un mais : Quand tu chantes chez les scouts t’as intérêt à chanter juste. En colo, tu peux gueuler et chanter faux, la seule conséquence est de faire rire tout le monde, mono y compris.
Autre activité prenante : installation des tentes le soir et cuisine. Pas de cuisinier professionnel suivant la troupe dans ses déplacements. Chaque scout portait dans son sac à dos de quoi se nourrir et s’il ne savait pas cuisiner il devait implorer l’aide des copains qui n’était pas toujours accordée. C’est ainsi que j’ai appris à faire de la cuisine simple mais mangeable la plupart du temps. Les chefs nous laissaient faire et il fallait insister lourdement pour obtenir leur aide. Mais bon, c’était ainsi et il ne nous serait jamais venu à l’esprit de nous plaindre. Le seul plaisir des camps scouts tenait aux veillées autour du feu de camp. C’est un plaisir qui commençait par des corvées : creuser un trou assez grand pour démarrer un foyer ou la braise pourrait rester active jusqu’au lendemain pour faire le café et parfois même cuire le repas de midi. Ensuite corvée de bois : ni vert, ni humide ni trop gros.  Le mystère du feu, la nuit étoilée, les ombres fugitives sous les arbres, l’ensemble insinuait des nos jeunes esprits la peur et l’attrait de l’inconnu. Mais revenons aux douleurs quotidiennes : la marche avec les ampoules aux pieds et, soit la pluie qui traversait nos maigres blousons, soit le soleil qui nous tannait le cuir : on appelle ça aujourd’hui des coups de soleil. En réalité ce qui peut paraître aujourd’hui le récit d’une vie d’enfant scout faite de douleurs et de corvée est en réalité le récit d’une jeunesse insouciante, philosophe dans le sens ou l’on supportait stoïquement les mauvais moments qui renforçaient le plaisir ressenti des bons moments. Comme bons moments j’ai cité le feu de camp. Il y avait aussi la découverte de l’uniforme : les écussons brodés à fixer sur l’épaule, le ceinturon avec les mousquetons pour accrocher le couteau (Suisse si possible) et le béret pour les louveteaux ou le chapeau de la police montée canadienne.
Mais venons-en à notre aventure (oui, enfin, je sais).  La troupe de louveteaux cheminait sur une petite route en Sologne. Il y avait là une dizaine de garçons âgés de dix ans environs et deux cheftaines d’une vingtaine d’années. La journée avait commencé sous un soleil timide. La rencontre d’un garde-chasse avait fortement impressionné les gamins. A cette époque la myxomatose n’avait pas encore sévi et des dizaines de lapins gambadaient dans les champs au bord de la route. Le garde-chasse demanda[1] :
-          Qui veut manger du lapin ce soir ?
-          Moi, moi, répondirent en cœur les gamins.
Le garde-chasse fit passer son fusil en position de tir et fit feu sur un lapin à quelques 20 mètres de la route. Tué net le lapin. Les louveteaux n’en croyaient pas leurs yeux. Le plus courageux fonça ramasser le lapin. Le garde-chasse nous expliqua comment manger du lapin faisandé : tu le pends non vidé par les pattes au pied du lit. Quand le lapin se décroche c’est qu’il est bon à cuire. La troupe repartit et les discussions allaient bon train sur le fusil, le calibre, la vitesse de réaction du garde-chasse. Les sujets de conversation n’allaient pas manquer dans cette belle journée. Belle, enfin jusqu’à midi car le ciel se couvrit tout doucement. Après le casse-croûte vite expédié la marche reprit à un bon rythme. Un peu plus tard un cantonnier qui fauchait nonchalamment le bas-côté de la route indiqua à la troupe un fossé couvert de fraises des bois. Voilà un dessert qui arrivait à point. Et la pluie arriva,  légère comme une caresse au début puis violente et drue peu après. Stoïque la petite troupe continua à marcher la tête baissée jusqu’à la découverte de l’entrée d’un château. Entrée marquée d’un énorme portique avec un auvent non moins énorme. Les gamins se précipitèrent sous cet abri que le vent rendait assez précaire. Peu après une grande femme sortit du château et appela la petite troupe. Les deux cheftaines enchantées de l’aubaine, se précipitèrent suivies des gamins. Et là, dans l’immense salon meublé comme au XVIIIème siècle ils découvrirent trois femmes au maintient impressionnant pour des gamins habitués à des mères issues de la bourgeoisie provinciale ayant peu de contact avec les mœurs du XVIIIème siècle. Il était difficile de savoir si c’était une mère et ses deux filles ou trois filles dont une aînée un peu plus âgée. Elles étaient vêtues somptueusement et les décolletés offraient aux yeux étonnés des gamins des perspectives insoupçonnées. L’eau des vêtements dégoulinait sur un parquet  au point de Hongrie impeccablement ciré.  Les gamins étaient gênés, silencieux. Comme par miracle des tasses de chocolat chaud firent leur apparition avec pains au chocolat à volonté. A l’autre bout de la salle les 3 femmes gazouillaient en propos incompréhensibles jusqu’à ce que l’une d’elle prit le plus grand par la main  prétextant qu’il était le plus trempé pour l’emmener se sécher dans la pièce proche du salon. Les cheftaines peinaient à soutenir une conversation sur des sujets et dans un style inconnus pour elles. C’étaient trois jeunes filles de famille bourgeoise au maintient et à la tenue austères et dont la stricte éducation religieuse les rendait incapables d’imaginer des activités répréhensibles.  Alors que le garçon parti en premier se sécher revenait  pâle comme un linge et l’air hagard un deuxième départ vers la salle de bain eu lieu sans provoquer de réaction. Alors que c’était le plus âgée, la brune, qui était partie la première fois, ce fut la blonde qui prit par la main un louveteau timide mais de solide constitution. Toute l’équipe entoura celui qui était revenu et en chuchotant l’assaillirent de questions.  Le pauvre était trop ému et bouleversé pour répondre.  Le comportement du deuxième capturé et du troisième qui suivit fut le même : pâleur cadavérique et mutisme total. Les cheftaines comprenant enfin que l’hospitalité des trois femmes prenait une drôle de tournure reprirent les choses en main. Les remerciements furent vite expédiés et la pluie ayant cessé la troupe put repartir. Au bout de quelques centaines de mètres un des trois bichonnés fit une chute et se releva avec peine.  Un peu plus loin on s’aperçut que les trois garçons ayant bénéficié de soins particuliers tiraient la patte et prenaient de plus en plus de retard. Ils étaient toujours aussi pâles et marchaient comme épuisés. Une cheftaine essaya de les faire parler, sans succès. Ils se laissèrent tomber sur le sol les bras en croix. Ils étaient incapables de se relever. Les deux jeunes filles essayèrent de les réanimer en pratiquant les soins de premier secours bien qu’inutiles : la respiration artificielle ou le massage cardiaque. Les trois enfants respiraient encore mais difficilement. Un automobiliste compatissant accepta d’emmener une cheftaine au village tout proche pour aller téléphoner et chercher du secours. A l’arrivée des secours les trois garçons avaient succombé. Un examen attentif permit de voir au cou des trois garçons une petite plaie rouge au niveau de la carotide et une autopsie montra un volume sanguin très faible et l’analyse du sang montra une composition incompréhensible. L’enquête révéla plus tard que le château qui existait bien était vide et abandonné depuis longtemps.[2]
Hyppolite Chlorate

[1] Authentique. Cette rencontre a seulement eu lieu en forêt et non pas sur la route.
[2] Cette aventure est en très grande partie vraie. Les trois femmes se contentèrent de tripoter les gamins.

mon chêne

Avez-vous déjà observé attentivement un chêne têtard ?
Bon je vais commencer par vous expliquer ce qu’est un chêne têtard.
C’est un chêne, planté dans une haie ou au bord d’un ruisseau et dont on coupait régulièrement des branches pour entretenir le feu de la cheminée sans débourser un liard. Ces coupes répétées lui donnaient peu à peu une grosse tête. La taille doit être raisonnable pour permettre au chêne de survivre après l’opération. Le chêne têtard est bien souvent creux. Le mien est creux et celui du voisin aussi. Savez-vous pourquoi ?
C’est un secret qu’on ne dévoile qu’à ses enfants ou petits enfants. Il est temps que vous en soyez informés.
Eliminons d’abord les légendes qui courent à ce sujet.
Certains affirment que le trou du chêne têtard  sert de refuge aux sorcières lorsque l’inquisition ou toute autre organisation fanatique cherche à les brûler. Cela a pu se produire, nous ne pouvons le nier.
D’autres soutiennent que le chêne têtard  sert de refuge aux elfes de la forêt. Je ne dis pas non, dans certaines régions les faits sont avérés.
On a vu, dit-on, les chêne têtard danser en rond autour du feu le soir de la Saint-Jean. Le vin de noix et le cidre ont du jouer un rôle essentiel dans ce témoignage.
Plus prosaïquement  le ventre du chêne têtard  sert à cacher des armes ou momentanément des réserves monétaires  (c’est à la mode d’employer  des euphémismes pour parler d’argent) ou de trésor si vous préférez.
Nous sommes encore loin de la réalité encore que ce mot peut prêter à confusion dans le cas qui nous intéresse.
Avant de poursuivre (un peu de patience s’il vous plait) je dois vous parler de mon chêne. Il est situé au fond du jardin potager, dans la clôture comme il se doit. J’ai laissé un peu de lierre cacher l’entrée du trou qui occupe le centre. On ne sait jamais.
Toutes les semaines je vais lui parler. Hier je l’ai félicité pour la quantité impressionnante de glands qu’il a produits. IL m’a expliqué qu’il avait la chance d’avoir les racines près d’une source ou il pouvait s’abreuver à satiété. Je lui ai quand même fait remarquer que j’allais les balayer car j’avais déjà accepté la naissance d’un premier bébé chêne mais que je ne pouvais admettre que mon potager devienne une chênaie. Le bébé chêne se porte bien et je dois tous les ans faire admettre à mon jardinier que ce chêne avait sa place dans mon jardin. Il me rétorque à chaque fois que celui qui pousse près du poulailler devrait me suffire.  Bon, trois chênes c’est de la gourmandise. Je mets beaucoup d’espoirs dans celui du poulailler. Il me prépare une ramure de toute beauté.
Au fait le chêne, toi qui surveille le quartier depuis des siècles tu ne saurais pas où sont passés mes deux chats Coca et Gladys ? Cela fait un mois qu’ils ont disparu. Je me souviens les avoir vus grimper souvent à toute vitesse sur ton tronc. Tu ne les aurais pas bouffés par hasard ?
Le silence qui me répondit en dit long n’est-ce pas ?
Revenons au point de départ. A quoi sert le trou du chêne têtard ?
J’hésite. Vous me jurez de ne dévoiler ce secret qu’à des membres de la famille ? C’est juré ?
Le creux du chêne est comme une fusée pour t’envoyer vers le monde des esprits. Quand tu veux communiquer avec les esprits de tes ancêtres tu te glisses dans le trou du chêne. Le trou est assez étroit et ton corps est alors en contact direct avec l’arbre dont les branches font antenne et transmettent ta demande de communication. Tout doucement le chêne et toi entrez en vibration et tout à coup clac : tu es au milieu des esprits qui t’attendent. Ton corps est toujours dans le chêne mais ton esprit, libéré découvre celui des esprits. Esprits élémentaires les premières fois, esprits de tes ancêtres souvent et parfois avec les dieux. Là faut être patient. Les dieux sont très demandés et doivent répondre à une multitude de questions.
La dernière fois j’avais une question grave à mes yeux à poser au dieu des chats et comme personne ne répondait je me suis un peu énervé en lâchant quelques jurons non admis au royaume des esprits.
La réponse ne s’est pas faite attendre :
-         Et ho ! Hyppolite tu te calmes ! je ne suis pas à ton service exclusif.
-         Excusez-moi seigneur chat, la question que j’ai a te posé me stresse à un point tel que j’ai craqué.
-         Bon, d’accord, que veux-tu ?
-         Voilà ma question : Comme je vis en harmonie, que dis-je, en symbiose avec mes chats que tu connais certainement,  je voudrais savoir si à ma mort mon esprit sera chat ou humain ?
-         Mon pauvre Hyppolite, tu ne seras ni l’un ni l’autre, tu seras Hyppolite Chlorate le passeur d’âmes. Un poste envié qui te donne le droit de siéger à la droite des dieux. Salut.
Cette réponse m’a laissé sans voix. Il faut que je médite ce message.
Ah ! J’oubliais : prévoyez un moyen pour sortir du trou : corde solide ou mieux échelle de corde. J’en connais qui ont servi de dessert à plus d’un chêne gourmand.

visite médicale

- Chérie !!!
- Ouiiiiii
- Je vais chez le médecin
- Encore ?
- Oui car j’ai le bras gauche comme ankylosé. J’ai du mal à m’en servir.
- Mais tu y es déjà allé pour ça il y a 6 mois. Ce n’est pas normal que ton traitement n’ait eu aucun effet. Tu devrais changer de médecin je dis.
- Ce n’est pas en changeant de médecin que la mécanique va rajeunir. Tu sais quel âge j’ai ?
- Oui, bon d’accord mais essaye de ne pas rentrer trop tard.
- Evidemment mais si la salle d’attente est pleine, je vais attendre un bon moment.
- Ok .
Un peu plus tard et un peu plus loin.
- Bonjour docteur.
- Bonjour Albert. C’est votre bras comme la dernière fois ou quelque chose d’autre ?
- En fait c’est effectivement mon bras mais je crois que j’ai aussi la jambe gauche qui va mal.
- Déshabillez-vous que je vous ausculte. Ne bougez plus, je branche le boîtier de contrôle.
- Vous pouvez tourner votre écran que je puisse voire comme vous le résultat des tests ?
- Ok. A part la tension qui est assez faible je ne vois rien d’anormal. La mémoire ancestrale est parfaite comme la mémoire immédiate. Les processeurs tournent à 10% de leur potentiel, pour des anciens ce n’est pas mal du tout. Les servos sont comme neuf, les sensors sont tous bons. Je ne vois rien d’anormal.
- Mais docteur si la tension est faible cela vient surement de la batterie. On l’a changée il y a 6 mois et je la recharge chaque semaine pendant la messe. Je parie que vous avez mis une batterie générique faite en Chine.
- Mais Albert c’est vous qui m’avez demandé de mettre la moins chère, je m’en souviens bien.
- Bon d’accord mais qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On fait jouer la garantie ?
- Vous savez bien que les batteries génériques ne sont garanties que 3 mois. Il faut la changer, je ne vois pas d’autre solution.
- Je commence à me coûter cher.
- Si vous aviez pris le contrat d’assurance total vous n’en seriez pas là.
- Pour l’instant on change la batterie mais vous me laissez repartir avec celle que j’ai en ce moment, elle me servira à la maison pour faire fonctionner les circuits de domotique, c’est la même tension avec une tolérance plus faible. J’ai une autre question à vous poser mais cela sort un peu du domaine médical. C’est à l’homme d’expérience que je m’adresse. Voilà, j’atteins l’âge ou les composants vont me lâcher les uns après les autres. Aujourd’hui c’est la batterie, demain ce peut être le processeur principal. J’aimerais avoir votre avis sur l’intérêt qu’il y aurait à avoir un assistant permanent, un aide si vous préférez, qui pourrait me prendre en charge en cas de panne grave et me rendre quelques petits services au quotidien. On m’a dit que cela se faisait de plus en plus. J’hésite entre une aide de même famille que nous mais plus jeune ou, comment dire, un périssable.  On dit qu’ils sont efficaces et pas chers.
- Pas chers, ça dépend de leur couleur. Un vieux noir, d’accord mais un jeune blanc  c’est hors de prix.
- On m’a dit qu’ils ont de plus en plus de mal à se reproduire et qu’il vaut mieux acheter un couple en bonne santé et les faire s’accoupler jusqu’à la naissance d’un petit.
- Vous n’y pensez pas Albert, vous avez déjà du mal à acheter une batterie de bonne qualité et vous voulez investir dans un couple d’humains. Entre parenthèses,  pardonnez-moi mais si on vous surprend à dire les « périssables » vous risquez de le payer fort cher. Nous leur devons un minimum de respect car nous leur devons beaucoup, pensez-y. Votre épouse ne peut pas jouer ce rôle d’assistant ?
- A la maison, bien entendu mais au-dehors ? Nous ne sommes pas 24 heures sur 24 ensemble.
- Et c’est aussi une question de standing, n’est-ce pas Albert ? Descendre en ville accompagné de votre esclave, pardon, de votre assistant, c’est la classe hein Albert ?
- Vous voyez le mal partout docteur. Ce n’est pas mon genre. Revenons à notre problème. Combien vous dois-je ?
- Et bien, un check-up complet, une batterie neuve constructeur, cela fera 180 roros.
- Vous ne prenez toujours pas la carte bleue ?
- Et si, depuis hier je prends la carte bleue. Vous penserez à revoir votre contrat de maintenance avant d’investir dans un couple de périssables ?
- J’y penserai docteur.
-Au revoir Albert, mes amitiés à madame.
 
Un moment plus tard et un peu plus loin.
-Chérie je suis revenu.
- Alors qu’est-ce que c’était ?
- La batterie.
- Qu’est-ce que je t’avais dit la dernière fois quand tu es rentré en te ventant d’avoir économisé 30 roros en choisissant une batterie générique.
- Tu as toujours raison ma chérie et comme toujours ça m’énerve.
- Albert, c’est quoi cette doc que tu as laissé traîner sur la table du salon ? Tu veux acheter un périssable ?
- D’abord on ne dit pas périssable, on dit un humain. Cette doc est arrivée dans la boîte à lettre avec les autres pubs. Je n’ai pas eu le temps de la regarder.
- Ah bon et les prix souligné au crayon c’est le facteur qui les a faits ?
- Bon d’accord j’y ai jeté un coup d’œil, vite fait. Tu as vu c’est abordable maintenant ?
- A l’achat, oui mais tu a vérifié le coût d’entretien ? Il faut les loger, les nourrir leur donner des congés car ils sont facilement fatigués, pas comme nous les rob-up. Et quand ils sont malades ça coûte une fortune de les soigner.
- Je te signale que les voisins en ont acheté un le mois passé et qu’ils en sont très contents.
- Bien sur, ils ne vont pas te dire que c’est un bon à rien, ils sont trop fiers.
- Comment tu sais ça ?
- Je le sais la boulangère me l’a dit. On ferait mieux d’adopter un rob-up de la dernière génération. Ils sont performants, beaucoup moins chers et autrement plus efficaces que les péris. Pardon les humains.
- On en reparle plus tard. Qu’est-ce qu’il y a à la télé ce soir ?
- Un vieux navet vu 100 fois : star wars.
- Pas pour moi, je vais faire un jeu en réseau sur le net.

mémoires de psychiatre

Il est des moments dans la vie ou il faut mettre les choses en ordre. Je crois que le moment est venu de raconter l’histoire la plus extraordinaire qui me soit arrivée. Je suis psychiatre, diplômé de l’université de Montpellier et pendant les quarante années de ma carrière je n’ai jamais eu aucun conflit avec mes patients, bien au contraire : beaucoup m’ont remercié de l’aide que je leur avais apportée. Pour quelques uns je n’ai été qu’un charlatan mais c’est inévitable dans cette profession décriée par les uns et admirée par d’autres.
Mon histoire n’est pas ancienne. Cela s’est produit seulement quelques années avant que je prenne ma retraite et je garde de manière très précise le souvenir de ce qui s’est passé. Donc un matin de janvier par un temps plutôt doux pour la saison je reçus un patient qui avait pris rendez-vous quelques jours auparavant tout à fait normalement. J’ai gardé son nom en mémoire car il n’est pas banal : Clark Vadeur. Je peux vous dévoiler son nom et vous allez comprendre pourquoi. C’était un homme d’environ soixante dix ans, grand, le visage sévère mais chaleureux dans ses propos et ne montrant aucun signe d’un mal-être quelconque.  Il m’exposa son problème de manière précise et directe, sans enrober ses explications d’informations inutiles. Il souffrait disait-il de fatigue chronique et son médecin traitant n’avait détecté aucun dysfonctionnement ou  trouble organique. Il dormait bien, mangeait normalement, ne fumait pas et avait arrêté les boissons alcoolisées depuis quelques mois sans l’aide d’aucun traitement. Cette asthénie lui devenait insupportable car elle l’empêchait de mener à bien les activités auxquelles il tenait. Ce n’était pas un sportif mais ses activités étaient nombreuses et il restait rarement au repos. A priori je ne voyais pas dans quelle direction orienter mes questions. Sur le plan sexuel ses réponses étaient sans détour et normales pour son âge. Je décidais alors d’utiliser l’hypnose pour lui faire explorer son inconscient et il me donna son accord sans hésitation. Le processus est bien connu et je ne m’étendrai pas sur la mise en condition de mon patient. Il avait préféré garder une position assise plutôt qu’allongée sur le divan. Il était donc assis en face de moi, à environ deux mètres. De manière classique, quand ses yeux se fermèrent je lui demandais : M’entendez-vous ? Il me répondit je vous entends. Déjà à ce moment sa voix s’était légèrement modifiée, ce que j’attribuais à son nouvel état.
Je commençais alors à lui poser mes questions. Je commençais par des questions simples de mise en confiance.  Quel était votre âge, qui étaient vos parents, avez-vous des frères et sœurs, etc. Et puis je suis venu à des questions moins consensuelles.
- De quoi avez-vous peur en général : De l’eau, du feu, des gens ?
- Quelle image vous vient à l’esprit en ce moment ? A chaque réponse sa voix descendait d’une octave comme sortant d’un magnétophone ne tournant pas à la bonne vitesse.
- Je vois un ciel noir et des étoiles. Je la cherche et je ne la trouve pas.
- Que cherchez-vous ?
- Je cherche mon étoile, ma planète. Je veux la retrouver, je veux la retrouver, je veux la retrouver. Il faut que j’y retourne. La phrase  suivante se termina sans que j’en comprenne le sens.  Ce n’était plus du français, c’était comme un chant grave et modulé. J’étais stupéfait. Je le regardais alors plus attentivement et je constatais un changement profond de son aspect physique. Il semblait avoir grandi,  ses mains devenaient translucides et ses orbites s’élargissaient. Sa poitrine commença à se soulever à un rythme anormal et des gémissements rauques sortirent de sa gorge. Je j’avoue, j’ai pris peur et je décidais alors de le réveiller. Je lui dis :
-Réveillez-vous, réveillez-vous, la séance est terminée. Mais rien n’y faisait, il continuait à se transformer et à il semblait complètement ignorer ma présence. Je me suis levé pris de panique et je me suis reculé vers la porte de mon cabinet pour fuir cette situation que je ne maîtrisais pas. Mon  patient était maintenant debout et regardait vers le haut.  Puis il se tourna vers moi et en français me dit :
-Venez avec moi. Vous m’avez libéré et il faut que je vous remercie.
Incapable de prononcer un mot je hochais la tête de droite à gauche pour lui signifier mon refus. Il me regarda longuement, ôta la montre bracelet de son bras gauche et la posa sur mon bureau derrière lui, sans se retourner. Un claquement sec accompagna sa disparition. Seule sa montre témoignait de son passage dans mon cabinet.
De temps en temps j’agrafe cette montre à mon poignet. Elle ne s’est jamais arrêtée. Elle est très lourde et quand je la porte je vois des choses. Est-ce utile que je vous précise ce que je vois ?
Hyppolite Chlorate

Sortie discrète

Claudius Pitois a toujours vécu discrètement. Deux exemples : Une fois, au travail, un jour où Claudius était absent son chef a demandé a ses collègues si Claudius était déjà parti en retraite car il ne l’avait pas vu depuis des semaines. Une autre fois son épouse dut confirmer a une personne rencontrée qu’elle était bien mariée. « Avec le monsieur que vous voyez là-bas, sur le banc en train de lire un livre. »
Se savoir ignoré, oublié ne gênait pas Claudius, bien au contraire. Il était conscient de sa transparence et la savourait. Cela lui permettait d’observer, d’écouter sans être pris à partie par une remarque du genre : « Et vous Claudius, vous en pensez quoi ? » Ce genre de question le laissait sans voix. Trop de réponses se bousculaient dans sa tête sans qu’il puisse choisir celle qui convenait : Fallait-il répondre en disant ce qu’il en pensait réellement au risque de déplaire au questionneur, fallait-il répondre dans le sens attendu ou comme un Normand faire une réponse qui n’en était pas une. Alors il bredouillait et son interlocuteur abandonnait la partie en haussant les épaules. Pauvre Claudius, il n’a plus toute sa tête, ce qui était complètement faux : Claudius n’était ni idiot ni sénile, seulement il ne se sentait jamais en harmonie avec ses semblables. Leurs préoccupations de voyages, vacances, automobiles et conquêtes féminines le laissaient indifférent et la politique encore plus. Seuls l’avenir de la planète et le fonctionnement de l’univers le préoccupaient. Il passait des heures à lire des ouvrages scientifiques pour comprendre la lumière : onde ou particule ? Il cherchait à savoir d’où venait l’énergie du magma central de la terre et des étoiles. Il observait ses animaux de compagnie en essayant de comprendre leurs moyens de communication. Alors dire ce qu’il pensait du dernier remaniement ministériel ou du divorce de telle vedette de cinéma, non pas pour lui. On avait fini par l’oublier, l’ignorer complètement. Son épouse en avait pris son parti et menait sa vie de veuve virtuelle sans mauvaise conscience.
Les années ont passé, la retraite est arrivée et Claudius a pu passer encore plus de temps à ses recherches sur la réalité des choses et du monde. Internet fut pour lui la découverte d’un monde merveilleux : toutes les bibliothèques du monde étaient à sa portée, toutes les théories lui étaient enfin accessibles. Mais cela l’isola davantage. Prétextant des douleurs, des incapacités physiques il déclina les quelques invitations qu’il recevait encore. Ses relations avec ses enfants s’espacèrent au même rythme que les centres d’intérêt forcément différents. Au bout de quelques années il comprit que la compréhension du monde n’était pas à sa portée ni à celle de ses contemporains scientifiques comme à celle des béotiens comme lui. Le grand nettoyage du cerveau et de sa vie lui apparut alors comme une action indispensable.
Un matin à l’heure du casse-croûte il ne déboucha pas la bouteille de vin blanc qui accompagnait chaque jour ce moment délicieux entre le petit déjeuner et le repas du midi. Ce moment était délicieux car il trahissait la règle  entendue chaque jour « ne grignotez pas entre les repas » et enfreindre les règles était un des traits de caractère de Claudius. Le lendemain et les jours suivants le petit casse-croûte se tint à la même heure mais accompagné de thé vert à la menthe plutôt qu’avec le verre de vin blanc habituel. Ce changement radical d’une habitude ancienne remplit notre Claudius de bonne et sereine conscience. Mais il alla plus loin :
Il ouvrit un cahier ou il commença à consigner l’exécution du projet de nettoyage qui s’imposait chaque jour davantage.
Mardi 15 janvier 20xx :
Nettoyage de l’ordinateur : plus aucune information personnelle ne doit exister : photos, courriers, emails, tout à la poubelle et vidage de la poubelle. Après plusieurs jours passés à traquer les derniers fichiers, réorganisation et compression du disque dur.
Mardi 22 janvier 20xx :
Tri des affaires inutiles dans la penderie et remplissage de sacs poubelle pour transfert à la déchetterie. Il présenta cela comme un cadeau à son épouse : « Tu pourras te faire un dressing, maintenant ma chérie ». Car Claudius aimait tendrement son épouse qui respectait sa manière d’être.
Mardi 29 janvier 20xx
L’armoire subit le même sort que la penderie : Il ne resta bientôt plus que 3 slips, 3 chemises, 3 pantalons, 3 pulls et 3 paires de chaussettes. Quand aux cravates, il y a bien longtemps qu’elles étaient parties à la poubelle.
De semaine en semaine le grand nettoyage se poursuivit sans relâche. La bibliothèque casanovienne fut léguée à un musée consacré à Casanova ou dispersée dans les bibliothèques publiques des villages d’alentour. Les outils de bricolage dont il ne se servait plus depuis bien longtemps partirent faire le bonheur de bricoleurs dans les vides-greniers des environs. Claudius ses sentait de plus en plus léger, détendu, serein même. Quand le vide plus presque complet il vendit son vieux break à l’agriculteur voisin qui s’en servit pour rendre visite à son cheptel dans les champs de son exploitation.
Et puis le grand jour arriva : le jour ou il ne restait plus qu’une chose à faire : disparaître à son tour. Plusieurs options se chamaillaient dans le crane de Claudius.
Le suicide. Claudius ne se sentait pas assez désespéré pour en arriver à cette extrémité. Les douleurs articulaires étaient légères grâce aux antalgiques qu’il prenait quand les douleurs devenaient insupportables. Le cœur tenait encore bon malgré quelques extrasystoles vagabondes. Son épouse le dorlotait assez pour qu’il n’ait pas envie de la peiner par la découverte d’un pendu ignorant des convenances. Le suicide par arme à feu lui répugnait encore plus en pensant bêtement au nettoyage des lieux qui devrait forcément suivre.
La fuite. Charger la veille auto des dernières affaires et partir en montagne sans laisser d’adresse ni de message d’adieu. C’était assez tentant sauf que conduire pendant des heures n’était plus faisable pour de multiples raisons. Et puis, le break était parti chez le voisin.
Attendre. Ce fut la solution que retint Claudius. Réduire ses dépenses d’énergie et se concentrer sur quelques sujets propres à élever la conscience. C’est ainsi que Claudius attendit sa fin de vie terrestre, tranquillement, sans angoisse, sans crainte. Mais, au fil des jours, certaines perspectives aiguisées par le jeune, d’autres relations sensorielles firent leur apparition. Les rêves envahirent l’espace diurne de plus en plus fréquemment et se firent de plus en plus précis, de plus en plus vastes. Ils apparaissaient comme dans comme une bulle de savon qui grossissait sans cesse et qui contenait un autre monde vers lequel Claudius se sentait de plus en plus attiré. Ses besoins vitaux s’allégeaient chaque jour davantage et il naviguait dans le monde de la bulle avec aisance, reconnaissant des visages depuis longtemps oubliés, échangeant des pensées avec des entités devenues familières au fil des jours.
Un beau matin son épouse le trouva inerte dans son lit. Mort certainement mais son visage reflétait une telle sérénité qu’on pouvait facilement imaginer qu’il vivait un beau rêve et que cette apparence de mort n’était effectivement qu’apparence.

le sculpteur de flammes

Bien que je n’aie personne autour de moi à qui raconter mon histoire je vais la raconter car elle m’obsède depuis déjà longtemps. Et peut-être qu’en l’écrivant des souvenirs essentiels me reviendront.
Cela s’est passé en 2050 ou 2051 je ne sais plus trop, n’ayant plus de point de repère temporel. Je suis certainement un survivant de la grande catastrophe qui a ravagé la planète. Ma femme et mes descendants ont disparus depuis longtemps et si j’ai survécu c’est grâce à un concours de circonstances extraordinaires. Ce jour là j’étais descendu dans mon puits presque à sec pour enlever les divers détritus qui s’y étaient accumulés : passoire à escargot, tournevis et squelette de chat arrivé là je ne sais comment. J’écoutais ma radio préférée grâce à un petit poste à pile âgé de plus de 30 ans mais encore efficace. L’émission en cours a été stoppée pour la lecture d’un message d’information stupéfiant : plusieurs bombes atomiques avaient explosé en différents points de la terre : aux États Unis, en Russie, en Chine et deux en France sans précision du lieu exact. Le message demandait aux auditeurs de rester cloîtrés chez eux. Mon épouse et les voisins proches étaient partis faire des courses en début d’après-midi. Je ne les ai jamais revus. Au bout de quelques heures la radio s’est tue, définitivement. Je suis resté dans mon puits jusqu’à la nuit et ensuite je suis rentré dans la maison : il faisait une chaleur insupportable. J’ai fermé les volets et je n’ai plus bougé de la maison durant plusieurs jours, j’étais mort d’angoisse mais ne ressentant rien de particulier. Mon histoire n’ayant pas pour but de raconter comment j’ai survécu je n’entrerai pas dans les détails de ma vie de survivant.
Mon histoire commence réellement le jour ou un vieil indien est apparu dans ma cour. Était-il vraiment un indien ou lui ressemblait-il tellement que je n’avais pas d’autre mot pour en parler. Il est et restera toujours pour moi l’indien. Nous sommes salués chacun dans notre langue. La sienne n’était pas l’anglais, sinon je l’aurais comprise mais ses gestes suffirent à le comprendre. Il voulait à boire et mon puits s’étant rempli je n’ai eu aucun problème à l’abreuver. Peu à peu notre coexistence s’est organisée. Nous nous épaulions mutuellement, moi en lui offrant le gîte dans ma maison qui avait échappé à la destruction, lui en m’aidant à trouver ma nourriture dans une nature dévastée mais qui reprenait vie peu à peu. Il était un peu plus âgé que moi. Après bien d’explications et de chiffres aligné sur du papier je compris qu’il devait avoir 120 ans je crois alors que j’en avais 112. Nous étions arrivés à cet âge incroyable par une modification de notre ADN (c’est du moins ce que j’ai supposé probable à partir de mes souvenirs scientifiques) provoquée à toute évidence par le cataclysme nucléaire qui avait détruit presque toute vie sur la terre. Quelques poches avaient du résister, comme mon petit coin de campagne. La seule explication plausible était donc que nos cellules s’étaient régénérées au lieu de continuer à se détruire comme il se produit normalement en vieillissant. Je ne m’étendrais pas plus sur ce sujet car je n’ai pas le moyen de confirmer mes suppositions en les confrontant à d’autres humains plus compétents que moi.
Mon ami l’indien parlait peu, passait de longues heures à psalmodier des incantations auxquelles je ne comprenais rien. Presque à chaque fois il allumait un petit feu au fond du jardin (enfin de ce qui jadis avait été un jardin). Quand je le voyais partir vars l’ancienne forêt qui démarrait à quelques centaines de mètres je pouvais prédire qu’il reviendrait avec une provision de petit bois sec. Il m’était arrivé de le suivre en cherchant à l’aider à ramasser son bois mais je ne luis présentais jamais le morceau qui lui convenait. Je suppose qu’un jour il cherchait des brindilles de chênes, un autre jour des brindilles de bouleau, de hêtre ou de frêne. De dépit j’avais abandonné et j’attendais son retour en m’occupant à quelques travaux d’entretien ou de jardinage.
De retour il s’activait à préparer son feu : un tout petit feu que quelques vingt centimètres de diamètre et de même hauteur. Il entrecroisait les brindilles dans un certain ordre, c’est du moins ce que j’ai supposé car souvent un détruisait la construction en cours pour recommencer. Quand il avait fini sa pyramide de petit bois nous attendions la tombée de la nuit pour allumer le feu. Il me demandait alors une allumette alors que nous avions toujours une réserve de braises que nous entretenions dans la cheminée. Sa demande me faisait enrager car je n’avais plus que trois boîtes d’allumettes et aucune possibilité d’en trouver d’autres un jour. IL était intraitable, il lui fallait allumer son feu avec une allumette neuve. Par chance l’allumage ne ratait jamais.
Le feu démarrait donc et les flammes d’abord discrètes s’élevaient joyeuses sous nos yeux. Elles dessinaient quelque chose de différent à chaque fois. Les flammes ne dansaient pas au hasard comme j’étais habitué à les observer dans ma cheminée. Elles dessinaient une forme mouvante bien entendu mais selon une structure précise : soit d’un mur régulier, soit d’une pyramide, soit en forme de dents de scie bien régulières. La couleur était différente à chaque fois. Je suppose que cela dépendait du bois choisi et de la construction. C’était splendide et je regardais ces flammes avec l’émerveillement d’un enfant. Mon indien se mettait alors à psalmodier des phrases que je ne comprenais pas mais auxquelles j’étais attentif. Des images se formaient dans ma tête et des souvenirs surgissaient sans prévenir.
Les images et les pensées différaient en fonction du feu, de sa couleur : avec des feux aux flammes bleues je voyais et pensais à mes parents, à ma grand-mère ? Quand le feu donnait des flammes orange mes pensées allaient vers les femmes que j’ai connues et oubliées. Le feu aux flammes vertes me renvoyait les images de ma femme, de mes enfants et je ne pouvais les regarder sans pleurer. Les feux aux flammes rouges me faisaient peur sans que rien de précis n’apparaisse.
C’est en regardant le feu aux flammes bleues que j’ai appris que j’étais le fils préféré de ma mère, hypothèse qui ne m’était jamais venue à l’esprit. Je ne souvenais que des reproches du genre : « avec ce que nous coûte tes études tu pourrais au moins faire l’effort d’avoir de bonnes notes ». Ou bien je me souvenais des corvées auxquelles mon rôle d’aîné me donnait droit : surveiller le troisième frère dans son berceau pendant que les parents étaient au cinéma, promener ce petit con dans la poussette ou détordre une boîte de clous. Les flammes m’on répondu : «rappelles-toi les vacances que tu as passées à Fréjus chez l’oncle Armand. Rappelles-toi le canoé que nous avons acheté aux voisins uniquement pour toi. Et la tente que j’ai cousue et que tu as brûlée… ». D’autres souvenirs sont remontés à la surface de ma conscience grâce aux petites flammes bleues de mon indien. Il est donc bien possible que j’étais le fils préféré de ma mère.
Des flammes orange deux femmes sont sorties pour me rappeler mon égoïsme et mon incapacité à comprendre le non-dit. Béatrice aurait tant voulu que je divorce pour l’épouser. Elle a tout fait pour me convaincre et je n’ai rien compris ou rien voulu comprendre. Ginette aurait voulu que je l’aime autrement que je l’ai fait. Les petites flammes orange sont sans pitié pour l’ego.
Quand aux flammes rouges que mon indien mettait un certain plaisir à allumer avec un petit sourire en coin qui m’agaçait je ne peux rien dire à part qu’elles me faisaient peur. Elles dessinaient dans la nuit tombante des sigles bizarres, des presque visages et des paysages désolés, des forêts ravagées par le feu et le crépitement du feu ne faisait qu’ajouter à mon angoisse. Elles devaient faire resurgir de mon inconscient les souvenirs de guerres que j’avais vécues : La deuxième guerre mondiale dont ma mémoire n’a gardé que les bons souvenirs d’enfant découvrant la vie à la campagne mais qui a fait disparaître les images des bombardements ou les mitraillages de stukas pendant l’exode et les cadavres qui jonchaient les routes. La guerre d’Algérie a bien entendu surgit des flammes avec ses peurs, ses lâchetés et le conseil de guerre auquel j’ai échappé et dont je ne peux parler sans une émotion intense.
Mais tout cela est du passé que rien ne fera jamais revivre. Le présent seul compte avec ses difficultés quotidiennes dans ce monde détruit qui nous entoure l’indien et moi.
Un jour je lui ai demandé un feu parlant de l’avenir plutôt que du passé. Il a souri et m’a montré les braises du feu que nous entretenions avec soin dans la cheminée : « Fais en sorte que ce feu ne s’éteigne jamais et tu verras l’avenir »

la culture ne pèse rien

Ayant décidé de me remettre à des lectures moins superficielles que les romans que je lisais jusqu’à aujourd’hui j’ai ressorti de la bibliothèque « A la recherche du temps perdu de Marcel Proust ». Ce sont trois gros volumes reliés quasiment neufs que j’ai du acheter sur un coup de tête il y a bien vingt ans. Le marque page était au tiers du premier volume et attendais sagement que je reprenne ma lecture. Je me suis installé dans mon fauteuil préféré, l’esprit serein : l’estime de moi-même était remontée d’un cran. Au diable les délicieux romans de Charles Exbrayat qui faisaient mes délices jusqu’il y a quelques jours. J’allais enfin acquérir la culture qui m’avait toujours manquée. Jusqu’à aujourd’hui le livre de Marcel Proust n’avait laissé de trace dans ma mémoire que la phrase : « Longtemps je me suis couché de bonne heure ». C’est peu je le reconnais. C’est donc avec un bel enthousiasme que j’ai ouvert le premier volume. J’ai sauté contrairement à mon habitude la préface dont je me méfiais des effets sur ma concentration toute neuve. Au bout de quelques pages, le livre m’a échappé et est tombé par terre avec un bruit qui m’a fait sursauter. Contrariant l’arthrose de mon genou droit je me suis penché pour le ramasser et c’est là que j’ai pris conscience de son poids. Pour me rassurer je suis allé chercher la balance de cuisine et j’ai pesé le coffret des trois volumes : 2, 957 kg . Ce n’est pas rien. Ayant pris l’habitude de lire sur une liseuse légère mes mains ne savaient plus gérer le poids d’un livre de papier. Je suis resté interdit un instant mais aussitôt mes reflexes ont joué et je me suis précipité sur ma liseuse pour télécharger le livre de Proust. Ayant la balance sous la main j’ai pesé également ma liseuse : 300 grammes. Par miracle il existait sur mon fournisseur habituel (que vous aurez reconnu) à un pris dérisoire. En quelques secondes il était commandé et au bout de 5 minutes les quarante titres faisant près de 5000 pages étaient arrivées entre mes mains. Comme à chaque fois je suis resté sans voix devant ce miracle de transmission incompréhensible au cerveau d’aujourd’hui: J’étais dans mon fauteuil, 3 murs me séparaient de la box et des milliers de kilomètres de câbles me séparaient du serveur point de départ et j’avais tout Proust entre les mains. J’eu l’impression de m’être penché au-dessus d’un gouffre infernal. Allez savoir pourquoi j’ai pesé à nouveau ma liseuse : 300 grammes. Pas de changement. C’est effrayant de constater que le livre de Marcel Proust ne pèse rien. Etonnant non ? Ne riez pas. Je ne suis pas naïf, je sais bien que le chip mémoire sur lequel mes livres sont stockés ne pèse pas plus plein que vide. Mais si tous les livres écrits sur terre se retrouvent stockés informatiquement sur des supports qui ne changent pas de poids quand on les charge que cela veut il dire ? Petit à petit, sournoisement nous allons tous faire comme nos gouvernements qui remplacent les salariés des impôts par des logiciels informatiques, nous allons porter à la décharge les livres qui encombrent nos étagères. Déjà dans mon village je suis le seul à avoir une bibliothèque : la télévision a remplacé la lecture dans tous les foyers. Bien entendu ce ne sont pas les gens de ma génération qui mettront les livres papier à la décharge. Mes descendants vont faire le travail à ma place. Plus généralement les bibliothèques publiques vont faire de même en mettant à la disposition des lecteurs des tablettes téléchargées des livres demandés. Mon fournisseur va rapidement faire disparaître les éditions papier de son catalogue. Pendant encore longtemps la BNF ou la bibliothèque du Congrès américain conserveront des livres papier. Mais je constate depuis déjà un bon moment que la BNF met en ligne bon nombre de livres.

Nous allons donc bientôt vivre dans un monde merveilleux ou tout sera sur support électronique : le courrier, les impôts, les recettes de cuisine comme « A la recherche du temps perdu de Marcel Proust ». L’électricité sera la reine du monde car tout fonctionnera à l’électricité : les autos, les ordinateurs par lesquels tout devra passer, les caisses enregistreuses des supermarchés, et bien entendu le chauffage dont nous ne pouvons plus nous passer. Il est bien entendu que nous ne manquerons jamais d’électricité : jamais. Vraiment ?

Double couche une histoire sans morale

cercueils double couche
           Giovanni avait eu une vie bien remplie. Mais il avait surtout atteint l’âge, assez rare dans sa profession, de la retraite sans une blessure ni un jour de prison. Ayant grandi dans les faubourgs de Naples, parallèlement à son apprentissage de la menuiserie il avait fait ses humanités dans la rue avec beaucoup de courage, d’intelligence mais sans ambition particulière ni passions. C’était un garçon posé, solitaire, ne recherchant ni l’amour ni l’amitié. Il était indifférent aux moqueries aux provocations comme aux flatteries. Fouineur, curieux il ne faisait preuve d’enthousiasme que pour la fabrication d’objets en bois et les bouquets de fleurs, non pour les offrir à sa mère, mais pour son seul plaisir visuel. Parvenu à l’âge des responsabilités c'est-à-dire 15 ans il avait fait preuve de sang-froid et d’un don sans faille pour le tir, que ce soit au pistolet  ou au fusil. Il avait découvert ce don tout simplement aux stands de tir des fêtes foraines et il en était assez fier.  Il n’était pas seulement doué pour l’usage des armes à feu, il savait faire preuve d’imagination et  de persévérance. Ses qualités avaient vite été reconnues dans le milieu et après quelques années de formation mais aussi de mise à l’épreuve il était devenu au bout de seulement quelques années soldat apprécié de la Camora locale. Il avait exercé ses fonctions avec conscience et discrétion et dans l’estime de la hiérarchie. Il serait fastidieux de raconter ses plus grandes réussites qui ont fait les premières pages de la presse sans qu’on puisse jamais le citer nommément.
         On peut néanmoins citer son premier exploit à l’âge de 16 ans. Un restaurateur de Naples avait décidé de ne plus payer la protection de la mafia. La fatigue, l’inconscience ? On ne le sut pas mais à partir de ce moment ses jours étaient comptés Giovanni fut chargé de faire ses preuves de tireur au fusil. Le restaurateur, méfiant ne sortait jamais de chez lui et son fusil de chasse à canon scié était toujours à portée de main. L’immeuble le plus proche qui faisait face à son restaurant était à une trentaine de mètres. Giovanni trouva le moyen de se glisser dans une mansarde inoccupée de cet immeuble et il se mit en observation chaque jour jusque tard dans la nuit. Le restaurateur habitait un appartement au-dessus de son restaurant et parfois, pas très souvent, il ouvrait ses fenêtres pour profiter un eu de la fraîcheur nocturne. Giovanni avait réussi à faire venir d’Albanie une carabine de chasse et des balles explosives. C’est avec une de ces balles qu’il explosa la tête du restaurateur un soir d’un été brûlant. Giovanni fut chaudement félicité et reçut une prime qui le remplit d’une allégresse que le coup de fusil ne lui avait pas fait ressentir.
         Il ne tuait ni faisait disparaître quelqu’un pour satisfaire un vice quelconque. Il le faisait pour l’argent et parce que l’humanité lui était indifférente, tout simplement. Ce n’était pas le tueur au regard froid et aux réflexes rapides que l’on décrit souvent dans les romans policiers sans imagination. Arrivé à l’âge adulte c’était un homme d’apparence insignifiante : pas très grand, un peu bedonnant, le maintient posé de celui qui n’a rien à se reprocher. Il exerçait au quotidien des professions plus qu’honorables : menuisier-ébéniste le plus souvent, fleuriste parfois car il avait aussi beaucoup de goût pour les fleurs et la fabrication de bouquets. Un petit défaut néanmoins tracassait ses chefs : il était pingre et son portefeuille plus fermé qu’une coquille d’huître.
         Parvenu à l’âge de la retraite il avait prétexté une diminution importante de son acuité visuelle pour demander à la famille de se retirer du métier tout en rassurant celle-ci sur  son attachement à la corporation : il serait toujours disponible si le projet entrait dans ses capacités. Compte-tenu de son passé sa demande fut acceptée et Giovanni préféra quitter Naples, mais avec beaucoup de regrets, pour aller s’installer dans une grande ville française qu’il avait appris à connaître : Lyon ou du moins sa proche banlieue. Lyon était facilement joignable depuis Naples ce qui rassura tout le monde.
         Giovanni avait dû réfléchir de longue date à l’activité qu’il aimerait exercer entre sa retraite et sa mort que bien sur il voyait survenir dans un avenir lointain. Les primes reçues pour ses activités avaient fructifié dans des placements de père de famille et il avait donc accumulé un capital qui en aurait rendu jaloux plus d’un.
         Profitant de la disparition du monopole des pompes funèbres il créa sa propre entreprise de pompes funèbre dont il connaissait bien le fonctionnement par son passé de fournisseur. Il embaucha quelques hommes du métier sur place et un thanatopracteur au chômage qui servit de prête-nom pour la création de la société. Giovanni aimait le travail bien fait et il veillait à ce que ses patients soient présentables aux yeux des familles. Le thanatopracteur appréciait que l’on fasse souvent appel à lui, et même quand la famille ne pouvait supporter les frais correspondants à sa prestation c’est Giovanni qui prenait alors les frais à sa charge. La réputation de l’entreprise fut vite reconnue et Giovanni, enchanté des résultats financiers compléta son activité de pompes funèbres par la création d’un atelier de menuiserie. Cela lui permit de fabriquer des cercueils à un prix de revient intéressant. Et comme ses cercueils étaient très beaux il les vendait cher et il faisait avec eux une marge plus que confortable. Il songea ensuite à créer des succursales. Ce fut d’abord à Annecy puis à Grenoble et même à Turin en Italie. On peut dire qu’Giovanni avait parfaitement réussi sa reconversion. Et chaque création comprenait l’activité de pompes funèbres et une menuiserie.
         Des confrères auraient pu se plaindre de la concurrence mais il avait eu l’intelligence de leur proposer la fourniture de cercueils à des prix imbattables qui ne pouvaient laisser indifférent. Il n’avait aucun goût pour la marbrerie et s’approvisionnait par calcul et par facilité chez les mêmes confrères. Et comme il ne faisait pas de publicité qui lui aurait permis de monopoliser le marché les concurrents le laissaient faire.
         Donc tout allait bien.
         Bien entendu il eut la visite des ses amis de Naples, surtout au début. On venait le féliciter de sa réussite mais aussi vérifier qu’il n’exerçait aucune activité dans les domaines réservés. Ses amis le plaisantaient sur le thème du circuit cours : producteur et distributeur. Giovanni protestait en disant qu’il avait abandonné la production, trop dangereuse et pas rentable.
         Un soir pourtant les choses faillirent mal tourner. Un truand lyonnais vint se faire trucider à coups de couteaux devant la porte de son funérarium. Coup monté pour le mouiller ou malchance il ne sut jamais. Mais ce qu’il apprit très vite par un coup de téléphone reçu dans l’heure qui suivit c’est qu’il devait faire disparaître la victime au plus vite et sans publicité ni dommages collatéraux.
         Giovanni fut fidèle à sa réputation. Après avoir pris les mesures du cadavre il décida de modifier les plans du cercueil devant servir le surlendemain pour pouvoir empiler 2 morts dans la même boîte. Dis comme ça l’opération semble facile. La réalité est plus complexe. Après avoir lavé le devant de la porte à grande eau il fallait dissimuler le cadavre aux yeux des employés qui se seraient étonnés le lendemain, non pas de trouver un nouveau cadavre dans un tiroir réfrigéré, ce qui arrivait parfois mais de découvrir qu’il était percé de trous d’origine douteuse ce qui aurait pu provoquer des questions gênantes. Giovanni décida de stocker le macchabée dans le congélateur de son pavillon. Heureusement qu’il avait eu la sagesse de rester célibataire : autant de questions délicates auxquelles il n’aurait pas à répondre.
         Par contre le problème du cercueil à double fond fut facilement résolu car un cadavre de la stature du mort tient peu de place en épaisseur et par chance le cadavre officiel était d’un autre encombrement pouvant justifier un cercueil aux dimensions confortables. En outre les employés de la maison étaient pour la plupart d’anciens compagnons de la première activité d’Giovanni et leur silence était acquit d’avance. La cérémonie et l’enterrement du cercueil biplace eut lieu sans problème. Giovanni rassura la famille et fut chaudement félicité.
         Une réflexion chiffonnait Giovanni. Il devina vite les suites possibles de cette aventure : suites désagréables mais éventuellement rentables, ce qui faisait frissonner son amour de la monnaie. Et si la famille lui demandait de renouveler l’expérience pour un cas particulier oserait-il de se faire payer ? Giovanni avait appris tout au long de sa carrière que des purges avaient lieu de temps à autre et l’élimination d’éléments indésirables avaient toujours posé de problèmes d’organisation mais surtout d’un manque certain de discrétion. La technique du cercueil en béton demandait de gros moyens techniques et manquait un peu d’élégance. Sa solution était beaucoup plus intéressante pour la famille qui n’avait plus qu’une partie du problème à résoudre : l’élimination de l’élément indésirable.
         Giovanni n’eut pas longtemps à attendre une réponse à ses questions. Un oncle vint lui rendre visite un jour et tout benoîtement lui proposa un contrat pour l’organisation  de plusieurs disparitions nécessaires mais non urgentes. S’engagea alors une longue négociation sur le montant du contrat, la périodicité, les lieux d’exécution, enfin tout ce qui se négocie entre dirigeants responsables.
         Plusieurs mois passèrent sans qu’un nouveau chantier se présente. Ce délai permit à Giovanni de dessiner une nouvelle collection de cercueils pouvant sans grande modification des dimensions, servir dans tous les cas de figure. Tous les ans il faisait un tour au salon du funéraire qui se tenait jadis porte de Versailles mais maintenant Parc des Expositions pour découvrir les nouveautés présentées : nouveaux corbillards ou nouvelles dentelles de capiton et bien sur nouveaux cercueils présentés par de grosses sociétés spécialisées.
         Fier de son travail et trouvant que le style de ses cercueils méritait l’attention il en fabriqua plusieurs pour le salon de l’année suivante. Ses cercueils eurent beaucoup de succès et Giovanni fut obligé d’agrandir son atelier de menuiserie et d’embaucher des menuisiers qu’il sélectionna parmi les détenus ayant purgé leur peine et ayant quelques connaissances dans le métier. Encore un peu il oubliait son passé et devenait donateur aux Compagnons d’Emmaüs.
         Le premier accroc dans cette belle organisation survint quand la famille lui demanda de lui vendre sa concession de Turin. La famille ne comprenait pas pourquoi elle enverrait à Lyon ses colis encombrants et estimait que le bénéfice de l’opération devait lui revenir entièrement. C’est un des défauts de la Camora, il lui faut gagner de l’argent sur tout : la drogue, le proxénétisme, le racket et maintenant les pompes funèbres « double couche ». Giovanni qui savait depuis longtemps qu’on ne contrarie pas la famille dut céder. Il dut aussi fournir des cercueils dont les spéciaux à prix coûtant.
         Les mois passèrent sans autre exigence de la Camora.  
         Sauf qu’un soir de décembre, alors qu’Giovanni garnissait le fond d’un cercueil de capiton bleu ciel un violent coup de maillet de menuisier sur la tête lui fut fatal. Son dernier cercueil fut le sien.
Que c’était il passé ?
         Tout simplement qu’un jour la Camora s’étant trouvée face à des problèmes de trésorerie faisant suite à des investissements dans le domaine légal chercha les fonds nécessaires là où il était facile de les prendre. Noton que cela prouve une fois de plus qu’il faut toujours se cantonner à son domaine de compétences ou alors prendre beaucoup de précautions. Dans le cas présent il fallait trouver de l’argent frais. La Camora ayant des actions dans quelques banques s’intéressait depuis longtemps à la fortune d’Giovanni qui s’était avéré être considérable. Fruit de 40 années de travail comme ébéniste complété par les primes de nettoyeur le capital d’Giovanni accompagné d’un train de vie spartiate ne pouvait qu’attiser les convoitises. Les avoirs d’Giovanni étaient bien au chaud dans plusieurs banques appartenant à la Mafia mais le plus gros magot résidait en Suisse sur un compte numéroté et la Camora n’y avait pas accès. Pour le moment. Elle avait bien essayé bien d’appâter Giovanni en lui proposant de placer son argent planqué dans une banque de la famille moyennant un intérêt conséquent, rien n’y fit. Giovanni fit la sourde oreille. Il faut croire que l’âge lui avait perdre la lucidité qui avait dirigé toute sa vie. Pour la Camora le règne de Giovanni sur les pompes funèbres devait prendre fin. Ce qui fut fait un soir de décembre. Giovanni avait fait l’erreur d’écrire ses codes de comptes de la banque suisse  sur le calendrier des postes d’une année passée en oubliant de le remplacer par le calendrier de l’année en cours, ce qui interpella évidemment l’envoyé de la mafia chargé de surveiller Giovanni et donc celui-ci rendit son dernier soupir dans la position basse d’un de ses cercueils.

Le progrès sauvera le monde...Mort de rire!!!!

             Du pouvoir des chats sur notre avenir… 

            Vous vous demandez où je veux en venir. Et bien voilà :
         Je vais commencer par vous parler de mes chats et de ce qu’ils m’ont appris. Pas de panique, je ne vais pas raconter une nième fois combien ils sont mignons, adorables, gna gna… Ca vous le savez très bien. Je veux simplement vous raconter ce que j’ai compris en les regardant vivre et ce que l’humanité ferait bien de faire en se contentant de vivre comme les chats.  Je prends l’exemple des chats car à l’inverse des chiens leur comportement est indépendant de la relation qu’ils ont avec nous. Domestiques ou pas, leur comportement est resté celui du chat sauvage.
         J’ai partagé pour la première fois quelques activités et beaucoup de plaisir avec un chat il y a quarante ans. Mon premier chat était une chatte, Minouche que ma fille aînée avait ramenée d’une escapade en ville. J’ai d’abord découvert que ma femme d’alors n’aimait pas les chats. La pauvre, quand je pense à tous les plaisirs qu’elle s’est refusée.  Minouche aimait son confort, le jeu et faire son pipi juste dans le trou de l’évier. Mais surtout il fallait que je sois auprès d’elle dans le grenier quand elle accouchait (je sais, je devrais dire « mettait bas »).  Elle avait miaulé jusqu’à ce que je la rejoigne dans le grenier. Je me suis donc assis  à côté du nid que je lui avais fait avec des boules de laine et elle m’a montré chacun de ses trois petits avant de m’autoriser à partir. C’est elle qui m’a appris la posture d’invitation au jeu que beaucoup de chats ont oublié.
         Quand nous avons déménagé pour aller dans la région parisienne nous avons confié Minouche à l’institutrice de la petite école maternelle située presque en face de notre maison. Minouche m’a appris la communication non verbale et comment des affinités se déclarent sans un mot, sans rien d’autre qu’un regard qui répond à une invitation.
         Il s’est passé un certain temps avant qu’un nouveau chat intègre notre foyer. C’était le cadeau d’une belle-sœur à notre deuxième fille. On l’appela Peggy. Le grand fait d’arme de Peggy : Nous habitions un petit immeuble dans les Yvelines, Ma deuxième fille devait avoir une douzaine d’années et nous venions d’accueillir sa correspondante anglaise. L’anglaise en question s’est vite révélée un chipie insupportable. Elle ne mangeait pas les plats que nous lui proposions et allait au Mc Do du coin s’empiffrer de cochonneries, pardon de délicieux hamburger. Elle passait des heures dans la salle de bain et ne fermait jamais les robinets, et ne rangeait évidemment pas la chambre que nous lui avions laissée.
         Un dimanche en fin de matinée, toute la famille plus l’anglaise était rassemblée sur le canapé devant le poste de télévision. L’anglaise était assise entre moi et mon épouse. Nous voyons soudain apparaître Peggy avec un soutien-gorge de l’anglaise dans la gueule qu’elle déposa délicatement aux pieds de celle-ci. La famille commença à glousser doucement et l’anglaise resta imperturbable jusqu’à ce que Peggy revienne avec une culotte sale qu’elle déposa aussi délicatement que la première fois aux pieds de l’anglaise. Celle-ci ramassa ses affaires et s’enfuit dans sa chambre pendant que toute la famille éclatait de rire. Bien évidemment les repas se passèrent hors de sa présence jusqu’à son départ mais en contrepartie la chambre et les affaires de la demoiselle furent bien rangées depuis ce jour là. Je n’ai rien embelli, je vous jure que cela se passa ainsi à quelques détails près. Peggy m’a démontré le pouvoir de déduction, d’analyse des situations des chats et de leur sens de l’ordre dans son monde pas tellement différent du notre.
         Nous avons emmené Peggy en Bretagne pour les vacances. Ce fut une découverte extraordinaire pour elle qui ne connaissait que la vie en appartement. Bien évidemment nous avons eu du mal à la récupérer le jour du départ. Le retour en ville fut difficile et tous les rideaux sont partis en charpie. Nous avons du confier Peggy à des amis qui habitaient la campagne. Quand, dans les semaines qui suivirent mon épouse allait rendre visite à nos amis Peggy disparaissait hors de la vue de mon épouse. Elle mourut écrasée par une voiture. Je pense souvent à elle et autres chats disparus. Les chats ne sont heureux qu’en liberté, dans la nature et les personnes qui adoptent un chat en appartement ne devraient surtout pas leur faire goûter les joies de la campagne. Ils sont trop malheureux au retour.
         Le chat suivant s’appelait Loulou et il m’apprit que les chats pouvaient être rancuniers. Nous habitions le Mans mais je travaillais dans la région parisienne et ne rentrais à la maison que le vendredi soir. Mon épouse n’acceptant pas de chat dans la maison Loulou dormait dans l’abri de jardin toute la semaine mais le samedi matin je le faisais rentrer dans la maison dès mon petit déjeuner et il s’installait sur une chaise, suprême honneur, à côté de moi. Il attendait que mon regard soit tourné vers la fenêtre pour m’infliger un coup de dent au bras, pas très violent, sans goutte de sang mais suffisamment appuyé pour me faire comprendre son mécontentement. Fatigué de l’ambiance il disparut un jour, parti certainement pour chercher une famille plus accueillante. Je suis certain qu’il ne s’est pas fait écraser par une voiture dans le voisinage car  nous avons bien cherché et il s’éloignait peu du petit terrain en friche de l’autre côté de la rue. Loulou m’a appris qu’on ne doit adopter un chat que si toute la famille le souhaite. Un désaccord sur ce choix rend le chat malheureux. Les animaux ont aussi besoin d’empathie.
         Je passe sur Loulou 2 qui mourut rapidement de leucose féline sans avoir beaucoup profité de la vie.
         Loulou 2 fut remplacé par un couple, le frère et la sœur ; Léo et Vanille qui avaient commencé leur vie chez un couple d’humains écolos qui avait nourri ces deux jeunes chats de riz et de légumes divers. Nous avons donc récupéré deux chats sous-alimentés, qui ont eu bien du mal à récupérer et trouver le poids normal de leur âge. Léo était un chat courageux et joueur, grand dribbler de noisettes. Lui aussi est mort de la leucose. Vanille a vécu plus longtemps que Léo mais n’a jamais réussi à se débarrasser de la peur des humains. Elle est morte en janvier de cette année. Léo et Vanille m’ont appris qu’on ne devait pas imposer aux chats notre manière de vivre ni notre façon de se nourrir. Les chats sont des carnivores essentiellement nocturnes. Ils pouvaient entrer et sortir de la maison jour et nuit.
         Je pourrais vous parler longuement de Charlie, de Milady ou de la dernière Peggy, de Billy le philosophe, de Mozart notre chanteur d’opéra, d’Oscar grand comédien et bon voyageur mais aussi père attentif de ses quatre rejetons. Je vais arrêter là cette liste car vous allez vous lasser et cela n’ajoutera rien à mon propos. Je reviens donc sur ce que m’ont appris les chats. Examinons ses comportements. Avant toute action le chat observe et en tire des conclusions : danger, pas danger, une proie, pas une proie, confrère inconnu ou connu, femelle en chaleur ou pas. Observation et déduction faits mais pas pour calculer la distance de la terre à la lune, juste pour assurer sa survie. Tout cela est évident me direz vous. En êtes vous si sur ? Quel enseignement avons nous tiré de l’observation de la nature des chats en particulier que nous côtoyons chaque jour ? Que c’était des animaux diaboliques il ya quelques siècles, que c’était des peluches adorables plus récemment. Il cherche de quoi manger en allant au plus facile mais si la nourriture est rare il sait jeûner, chasser et patienter. Il cherche le confort et les moindres efforts, comme nous. Mais à la différence de nous le chat ne se comporte jamais en héro ni en donneur de leçon. Il n’a jamais rien inventé. Il paraît que Dieu a créé les animaux et la nature pour servir l’homme cet être parfait. Et l’homme a pris cela pour argent comptant. Il a cru devenir propriétaire de la terre et des autres formes de vie. Mais voilà, sa gourmandise va se retourner contre lui : je pressens qu’il va bientôt perdre tous ses biens mal acquis. Certains ont compris (merci à Greta Thunberg de lancer le cri d’alarme) mais ils n’ont pas le pouvoir de changer les choses. Alors la solution ultime, pratiquée de tous temps va entrer en jeu : la guerre si bien décrite et analysée par Gaston Bouthoul. Ce sera certainement la dernière. Faute de combattants nous laisserons le terrain, la terre aux animaux survivants parmi lesquels il y aura certainement un couple de chats.
Ma conclusion tient en une phrase : les chats et les animaux en général ont l’intelligence nécessaire et suffisante à leur survie et à leur reproduction dans leur milieu d’évolution.
         Pas besoin de longues observations et notes de chercheurs pour comprendre ça. Nous ferions bien de faire comme eux mais nous sommes trop intelligents pour en venir là. Car  en regardant et écoutant le monde dans lequel je vis aujourd’hui une image me vient spontanément à l’esprit : de jeunes enfants sur une plage en train de faire des châteaux de sable. Des pères attentifs leur prodiguent des conseils, plus ou moins suivis. Il fait beau, le ciel est bleu et chacun a pris les précautions qu’il croit nécessaires pour éviter les coups de soleil. Les uns se sont enduits de crème solaire, d’autres ont gardé un teeshirt et mis un bob sur la tête. Spectacle charmant mais personne ne voit la vague qui arrive au loin. Elle ne semble pas méchante. Tiens l’eau se retire plus vite qu’une basse marée habituelle. Le tsunami arrive mais il est trop tard pour fuir.
         J’ai le sentiment qu’un autre tsunami arrive au loin. Les indices précurseurs sont préoccupants pour certains mais ne semblent pas bien méchants pour d’autres: Du réchauffement climatique dont les effets ne sont pas encore trop insupportables à Wall Street ? La disparition de millions d’espèces animale ? Bof ! ca fait moins de guêpes dans le jardin. Les glaciers fondent ? on s’en fout on a la clim…plusieurs pays du monde ont élu des dirigeants parfaitement incompétents, ignobles  et assez bêtes pour ne penser qu’à leur réélection ? On a déjà vu ça et ils ont disparu rapidement du paysage. Oui mais un peu partout les rancunes grossissent et deviennent des haines : haine du noir, du bistre, du mécréant, du croyant d’une autre foi. La population humaine mondiale va bientôt atteindre les 9 milliards d’individus. Pour l’instant on peut en nourrir la plupart. Le plastique dont la production n’est pas près de s’arrêter pollue jusqu’au plus profond des mers. Jusque là seulement 3 centrales nucléaires ont explosé : pas de quoi en faire un drame me direz vous. Mais il y en a 450 en service dans le monde actuellement. Statistiquement on est à peu près certains que d’autres centrales nucléaires exploseront dans les années à venir et répandront leur venin mortel. Ne serait-ce que par la perfidie d’un tremblement de terre ou une malfaçon et l’incompétence d’un sous-traitant. Les effets de la radioactivité ? Dérisoires, en-dessous des normes. Ah ! bon. Je pourrais continuer longtemps, sur des dizaines de pages à raconter toutes les misères qui nous attendent mais là n’est pas mon propos.
         Si seulement nous acceptions de vivre comme les chats peut-être pourrions-nous survivre à la prochaine apocalypse.

Un peu plus loin sur la droire

Depuis plusieurs semaines je vais me promener l’après-midi en prenant un des deux petits chemins qui partent au coin de la maison. En prenant celui qui va vers la mairie je rencontre à gauche la jument et l'ânesse de mon voisin André et un percheron splendide dont je ne connais pas le propriétaire dans la parcelle à côté. Un peu plus loin sur la droite il y a 2 poneys qui m'ont toujours eu l'air de s'ennuyer à mourir. Ils vont d'un carré de champ étroit à un autre. Ils sont manifestement bien nourris mais ils ont du imaginer une autre vie : galoper dans une prairie, goûter de l'herbe fraîche, lutiner la copine et montrer sa force aux copains. C’était vers le 15 octobre. Je pars pour ma ballade habituelle et j’arrive à mi-parcours sous le châtaigner qui aidé par le vent essaye de m’assommer avec ses châtaignes. Redevenu chasseur cueilleur je remplis mes poches de châtaignes en maugréant contre les bogues qui me piquent les doigts sans douceur. Derrière moi, de l’autre côté du chemin la jument et l’ânesse me regardent attentivement. Comment rester insensible à ces regards ? Je comprends donc le message muet et je tends à Châtaigne (et oui l’ânesse s’appelle Châtaigne) une première châtaigne et j’en lance une à la jument qui se tient un peu derrière. Manifestement j’avais bien compris le message. Le percheron accourt pour profiter de l’aubaine mais il a du mal à trouver les châtaignes que je lui lance. Les jours suivants je suis vite repéré dès que j’emprunte le chemin et on m’attend impatiemment au coin de la barrière du champ. Malheureusement la récolte de châtaignes ne peut pas durer tout l’hiver. Mais je suis attendu chaque jour et des regards lourds de reproche m’accompagnent quand je poursuis mon chemin sans rien donner. J’ai donc du m’adapter, trouver une solution de remplacement à la distribution des châtaignes car je sentais bien une certaine déception m’accueillir quand j’arrivais à la barrière habituelle.
Il y a bien trois semaines maintenant je suis parti avec un petit seau et j'ai ramassé des pommes sous le pommier de mes voisins et amis anglais, les Burrows qui ne viennent en France que quelques fois par an. Muni de ma provision de pommes je fais une première distribution à la jument et à l'ânesse puis au percheron qui est dans une parcelle voisine de la jument. C'est un jeune percheron, immense mais d'une grande élégance quand il vient vers moi au galop. Tout ce petit monde adore les pommes. Les premiers temps je n'allais pas voir les poneys, sachant le propriétaire assez grognon. Et puis mes trois amis, la jument, l'ânesse et le percheron ont changé d'herbage et depuis plus de 15 jours je ne les vois plus. Je vais donc distribuer mes pommes aux poneys, le propriétaire ayant la bonne idée de rester au chaud chez lui.
Il est inutile de vous dire que je suis repéré de loin. Dans quelques semaines il n'y aura plus de pommes à ramasser. Pas la peine de faire croire aux poneys que je viens avec des pommes. Il va falloir que je prenne l'autre chemin, celui qui passe au pied du chêne à Léo et qui rejoint la départementale. Je ne vous ai pas encore parlé du chêne à Léo ? Ce sera une de mes prochaines histoires du quotidien.
 

Châtaigne

récolte chataignes

Percheron

Jument

Chers terriens

Chers humains terriens
Je vous écris ce petit message afin de vous prévenir de ce qui vous attend si vous continuez à vous comporter ainsi que vous le faites. Sur la planète d’où je vous écris nous avons souvent fait les mêmes erreurs que vous mais nous avons eu la chance d’avoir pu éviter le pire. J’aimerais vous faire partager notre expérience afin qu’elle vous serve de leçon.
La réflexion qui nous a sauvés est celle-ci : le bonheur individuel est incompatible avec le bonheur collectif ou plutôt incompatible avec la pérennité de la vie qu’elle soit celle de notre espèce ou celle de la vie en général. Nous en avons pris conscience au bon moment : celui ou tout bascule vers la catastrophe.
La planète sur laquelle je vis est, en tous points, semblable à la votre : peut-être un peu plus grande. Elle tourne autour d’un soleil un peu plus massif que le votre. La vie s’y est développée différemment. Les différences entre les espèces sont moins marquées que chez vous. Le langage est le même pour tous : que ce soit chez les plantes (enfin, ce que vous appelez des plantes), chez les herbivores ou les carnivores (toujours en faisant références à vos propres distinctions, qui n’ont pas cours chez nous).
Mais revenons à ce qui nous est arrivé afin que cela vous serve d’exemple.
Pour commencer : Ce que vous appelez les maladies. Ce que nous appelons les espèces trop invasives. Quand une espèce prolifère aux dépends des autres espèces nous avons appris à faire en sorte d’en limiter l’expansion alors que vous essayez de la faire disparaître complètement. Grave erreur et pour deux raisons : la première : l’espèce en question sera remplacée plus ou moins vite par d’autres peut-être plus dangereuses. La seconde : les autres espèces vont plus ou moins proliférer. Chez vous par exemple, les progrès médicaux ont freiné ou fait disparaître des maladies comme la peste, la tuberculose, le sida et bien d’autres encore qui freinaient l’expansion de l’espèce humaine. Conséquence, l’espèce humaine est passée de quelques millions d’individus à plusieurs milliards d’où des problèmes insurmontables que vous commencez seulement à comprendre. Sur notre planète nous ne soignons que ce que vous appelez les bobos. Nous ne soignons pas les maladies graves, les infections transmissibles. Nous aidons les malades à mourir sereinement et nous isolons les cas contagieux. Ce faisant nous limitons la population à une taille compatible avec les moyens de subsistance. Chaque espèce procède de même. Vous êtes choqués ? Et les morts de votre dernière guerre ne vous ont rien appris ? Pendant des millénaires vous avez fait comme nous : vous n’aviez pas inventé tous les médicaments et tous les traitements médicaux qui font votre fierté (enfin pour ceux qui y ont droit) et la population humaine restait stable comme les autres espèces vivantes.
Après bien des échecs notre approche a été différente. Mais auparavant une précision importante : nous n’avons pas ce que vous appelez des religions. C’est un travers auquel nous avons échappé. Nous avons, dans chaque communauté deux gouvernements : un gouvernement du court terme et au-dessus un gouvernement ou plutôt un comité de sages du long terme. C’est ce comité des sages ou des anciens qui décide des actions à entreprendre face à des événements aux conséquences potentiellement dangereuses. Ce comité d’une espèce se met en relation avec les comités des autres espèces pour faire le meilleur choix et prendre la décision qui s’impose à tous. Bien évidemment au départ personne n’est d’accord mais les discussions durent aussi longtemps que nécessaire pour arriver à la bonne décision. Nous ne sommes pas naïfs : certains choix se révèlent néfastes et nous devons changer de politique. Mais n’oubliez pas que le choix se fait avec l’accord de toutes les espèces concernées. Chez vous une espèce, l’espèce humaine décide de tout sans consulter les autres espèces. Le monde semble appartenir à l’espèce humaine, conception qui nous semble monstrueuse, sans vision globale de la réalité de la vie.
Il nous a donc fallu lutter contre le problème des maladies ou plutôt des espèces invasives. Ce n’a pas été facile. Il y a des espèces avec lesquelles nous pouvons échanger car nous parlons la même langue et les espèces primitives, les plus dangereuses dont nous devons limiter l’expansion car néfastes pour les autres espèces et avec lesquelles nous ne pouvons pas discuter : chez vous ce sont les bactéries, les virus et autres micro-organismes. Nous faisons alors des concessions : nous acceptons des pertes parfois importantes en échange d’une stabilisation de la taille de l’espèce concernée. Accepter des pertes, cela veut dire accepter des morts dans votre langage et votre culture. La mort d’un individu contre la pérennité de l’espèce : voilà la philosophie qui nous guide. Votre conception de la vie est différente : vous n’avez pas compris ou pas voulu comprendre que la mort individuelle est inévitable et que le paradis n’est qu’une vue de l’esprit. Par contre la mort d’une société ou d’une espèce vivante est évitable si on met sa survie au-dessus de la mort d’un ou de quelques individus. Pourtant vous n’hésitez pas à tuer sans compter : Vues de notre planète vos guerres nous sont incompréhensibles. Vous faites mourir des individus jeunes et en bonne santé et vous maintenez en vie des individus vieux et usés, malades, handicapés, inutiles à leur groupe vivant. Sans arrêt vous mettez en avant une morale ou des principes philosophiques vides de sens de notre point de vue. Les effets de votre inconséquence sont pourtant visibles : disparition d’une multitude d’espèces animales ou végétales qui vous paraissent inutiles sans imaginer un instant que c’est peut-être votre espèce qui est inutile. Pollutions monstrueuses, destruction d’espaces naturels et stockage d’engins de mort chimiques ou radioactifs qui contredisent sans discussion votre prétendu respect de la vie.
Vous aviez pourtant parmi vous des modèles qui auraient pu vous aider à mieux agir : les tribus indiennes du continent américain ou les tribus des forêts africaines. Ces humains avaient réussi à vivre pendant des millénaires en harmonie avec leur environnement. Mais en l’espace des quelques centaines d’années terrestres vous les avez éliminés au prétexte de la civilisation, concept que vu de notre planète nous ne comprenons pas.
Mais je me laisse emporter par l’incompréhension de votre fonctionnement et je néglige de vous parler de notre exemple.
Comme je l’ai dit au début de ce texte nous sommes les habitants d’une planète semblable à la votre mais dans une autre galaxie. Je ne m’étendrais pas sur les cycles du jour, des ans ni sur les températures ou les éruptions volcaniques. A quelques nuances près, l’univers dont nous faisons partie se comporte pareillement quelle que soit les galaxies ou les systèmes solaires concernés. C’est au niveau du détail que les choses sont différentes : un degré de plus ou de moins, un cycle solaire un peu plus long ou plus court et tout change. Les détails techniques de notre planète n’ont aucun intérêt pour vous puisque vous ne pouvez pas les copier. Par contre nos comportements et notre façon de vivre peuvent vous servir de modèle.
La vie est apparue sur notre planète un peu comme sur la votre : le hasard, une comète, un changement climatique et des choses inertes se sont mises à vibrer. Une première lutte opposa les espèces vivantes sur l’occupation de l’espace. Eternel bagarre entre ceux qui veulent tout et ceux qui ne lâchent rien. Pendant des milliers d’années la guerre fut féroce entre les être vivants de notre planète mais nous sommes assez vite arrivés au constat que seul l’équilibre des forces était la solution. Ce n’était pas raisonné, juste un constat, une obligation. Comment arriver à cet équilibre ? En confrontant nos forces et nos besoins par la négociation. Cette négociation se passe de manière fluide par des moyens que vous avez volontairement oubliés et remplacés par la parole verbale. Il en reste des traces dans votre culture que vous prenez bien soin d’ignorer ou de ridiculiser : la communication psychique ou transmission de pensée par l’intermédiaire des esprits. Demandez à vos derniers chamans avant qu’ils disparaissent comment cela marche. C’est à la fois très simple et très compliqué : il faut entendre (ou plutôt recevoir) le message et l’interpréter. Cela demande du temps, de la réflexion et l’échange de nouveaux messages. Chez vous un retour à cette manière d’échanger commence timidement à poindre. Vous avez de plus en plus d’humains qui comprennent les erreurs commises non pas à l’écoute des statistiques ou des rapports des scientifiques mais à l’écoute des messages envoyés par les autres être vivants. Une prise de conscience à partir d’informations non verbales reçues et comprises. C’est un phénomène que nous maîtrisons bien aujourd’hui et que vous avez intérêt à comprendre et partager. Certains humains communiquent avec les plantes et les animaux. Ils sont ridiculisés par les esprits forts qui vous dirigent et vous imposent un modèle de vie absurde. Mais ce sont ces passeurs de message qui ont raison. Écoutez-les au lieu de les ignorer.
Un spécialste et amoureux des abeilles a dit : « « Je pense toujours aux abeilles, et où en est le monde en ce moment… C’est comme si les abeilles pouvaient nous montrer, à nous, êtres humains, comment on peut être différent, sur cette planète. Je pense qu’il y a un enseignement là-dedans, un enseignement de la sagesse. » (Michael Joshin Thiele).
Ma crainte aujourd’hui vous concernant est celle-ci : par une guerre totale vous allez tout détruire, tout ruiner et transformer la planète bleue en poubelle nauséabonde. Il est presque trop tard.

Tri sélectif en Basse Normandie

        On trouve de tout dans les poubelles malgré la mise en place de poubelles spécialisées et l’implantation de déchetteries.
         Cette histoire s’est passée dans un petit village de Normandie. Village dont les habitants sont soit des retraités soit des éleveurs de vaches à lait de différentes races : Montbéliardes, Holstein ou Normandes pour certains, de vaches de collection pour un autre ou de vaches immigrées pour le dernier. Par vaches de collection nous entendons quelques belles vaches anglo-normandes ou plutôt des Jersiaises et comme vaches immigrées des Salers aux longues cornes qui n’ont rien à faire en Normandie, enfin ce n’est que mon avis. Ce petit village n’a rien d’extraordinaire. Le seul commerce  a fermé en 1970 et la cabine téléphonique a disparu en 2018.
         Les poubelles de ménage sont ramassées le lundi matin entre 5 et 7 heures. Les poubelles de déchets comme le papier, le plastique ou les boîtes de métal sont ramassées le mercredi matin entre 6 heures et 11 heures. Cette amplitude de temps n’a pas de raison d’être logique et agace plus ou moins les habitants selon leur sens de l’exactitude.
         Un lundi matin donc le camion poubelle est passé à 6 heures 15. Il a ramassé les sacs sans incident particulier. Il est utile de préciser que le camion poubelle arrive à vide dans ce village car si le bourg est peu peuplé les hameaux de la commune sont nombreux et le camion fait le plein avec les poubelles de toute la commune.  Il termine sa tournée vers 10 heures et repart vers le centre de tri à quelques kilomètres.
         C’est au centre de tri que l’événement s’est produit. Le camion a hydrauliquement levé sa benne trop loin de la fosse devant recevoir les sacs et ceux-ci se sont répandus sur le béton. Bien évidemment le contremaître a copieusement insulté le chauffeur et celui-ci est descendu de sa cabine pour ramasser les quelques sacs tombés et les jeter dans la fosse. Avant d’attaquer sa corvée il s’est permis de parler de camions mal entretenus, de rétroviseur cassé et non remplacé et de bien d’autres sujets de griefs longtemps tenus secrets. Le premier sac lui a glissé des mains et s’est ouvert sur la dalle de béton. Ce n’était pas son jour de chance. Le contenu du sac l’a laissé sans voix, au propre comme au figuré.
Une tête d’homme toute seule a roulé sur le béton entre un papier d’emballage de viande et les deux moitiés d’une orange pressée. C’était une vieille tête au visage parcheminé et avec quelques cheveux blancs. Elle était coupée au ras de la mâchoire. Le contremaître s’apprêtait à renouveler sa bordée d’injures quand, à son tour, il a vu la chose. Le chauffeur et lui se sont regardés sans pouvoir émettre un son. Le chef ayant repris ses esprits :
-        Ne bouge pas j’appelle la gendarmerie.
Le chauffeur, dès que le contremaître fut parti, rejoignit sa cabine et s’assit sur le premier marchepied loin de la tête sans corps.
         Vingt minutes plus tard la première voiture de gendarmerie est arrivée, sans gyrophare car un mort ne nécessite pas de constat ni de soins urgents. Le capitaine de gendarmerie regarda la tête sans dire un mot. Il s’accroupit à côté et renifla plusieurs fois.
-        Ce mort ne date pas d’hier, il sent le formol
-        Vous êtes sur mon capitaine ?
-        Il n’y a pas que l’odeur de formol qui m’interroge, il y la couleur, le cou sans trace de sang. Cette tête vient d’un amphithéâtre de la faculté de médecine j’en donnerai ma tête à couper…
         Et tous les acteurs de la scène éclatèrent de rire soulagés mais perplexes quand même.
Le capitaine fit ouvrir les autres sacs du chargement et sans surprise on découvrit tous les autres morceaux du cadavre.
         Le médecin légiste arrivé sur place une demi-heure plus tard confirma le diagnostic du capitaine de gendarmerie.
         Les morceaux furent rassemblés dans un seul sac prévu pour ce genre de découverte et chacun reprit son travail comme si de rien n’était, enfin presque, car tous les scénarios imaginables tournaient en boucle dans les cerveaux encore malmenés.
         Il est rare qu’un cadavre découpés en morceaux soit découvert sans avoir fait l’objet d’une recherche ou été précédé d’un meurtre. Les téléphones entrèrent en action dans toutes les facultés de médecine. Dans chacune on se lança dans un inventaire des cadavres en cours d’étude. On découvrit alors que l’inventaire était mal tenu partout. A Caen on avait plus de cadavres présents qu’inscrits à l’inventaire. A Nantes c’était l’inverse, il en manquait deux. A Paris il fallut une semaine de comptages pour arriver à la conclusion qu’il manquait cinq cadavres entiers mais que des morceaux disparates ne permettaient d’en reconstituer que trois. Les chefs de service étaient sur les dents et les employés chargés des salles d’anatomie réfutaient les accusations de négligence et accusaient les étudiants. Les journalistes s’ingéniaient à échafauder les théories les plus invraisemblables pour expliquer la présence du cadavre en morceaux dans les sacs poubelles d’un petit village normand. Les habitants de ce village furent interrogés sans ménagement par une gendarmerie qui piétinait sur d’autres affaires plus urgentes et une certaine impatience se manifestait à la préfecture. Aucun habitant n’avait d’étudiant en médecine en cours d’étude. Au bout d’un mois les choses n’avaient pas évolué et le cadavre au formol n’avait toujours pas été identifié ni réclamé. Heureusement, enfin si l’on veut, la canicule s’abattit sur le pays et l’attention se porta sur les chiffres du thermomètre, sur les orages et les inondations. Le cadavre au formol fut vite oublié sauf dans notre petit village, vexé d’être le centre d’une pareille affaire.
         Un habitant du village, Claude Gandron se mit en tête de percer le mystère. Il était persuadé que ce n’était pas le hasard qui avait amené le cadavre en morceaux dans les poubelles du village. Affirmer que les poubelles en question étaient celles du village ne lui convenait pas. Un seul sac comportait des ordures ménagères avec la tête au formol. Les autres sacs ne contenaient que les morceaux du cadavre, sans ordure ménagère. Ils pourraient donc être venus d’ailleurs. Il commença néanmoins par centrer ses recherches sur le village et donc par faire le tour du cimetière dont il nota en passant que le plan fourni par la mairie n’était pas à jour. Il releva les dates et noms des derniers morts inhumés et après avoir trié sa liste par date il rechercha dans les archives du journal local les faits divers relatant une mort suspecte, un accident, enfin toute affaire liée à un habitant du village ou à une des personnes inhumées dans le cimetière du village. Il ne trouva aucun lien avec les morts du village. Il chercha alors qui avait fait don de son corps à la médecine dans le village ? Question difficile à poser aux villageois et les autorités administratives refusèrent de répondre.
         Pourtant Claude Gandron n’abandonna pas. Un nom du village lui revenait sans cesse et sans raison évidente à l’esprit. C’était le nom d’une famille du village détestée par tous les autres habitants car l’épouse était une procédurière qui n’avait de cesse que de chercher noise à ses voisins sur des prétextes les plus douteux.
         Claude n’avait pas de mauvaises relations avec la fameuse Adèle L. car il se gardait bien d’entrer en conflit avec elle. Il put donc, à l’occasion de la cérémonie du 8 mai et du pot de l’amitié qui suivait la cérémonie, aborder avec elle le sujet du mort au formol. Les réticences de l’Adèle à parler des morts de sa famille mirent Claude en alerte. Il y avait là un secret à explorer.  Claude retourna au cimetière examiner les tombes. Celle de la famille de Adèle se composait d’une seule dalle mais de taille double de celle des tombes voisines. En comparant le plan fourni par la mairie et les dimensions de la tombe Claude découvrit que la Adèle avait profité de la mauvaise tenue du plan pour s’octroyer la place de deux caveaux. Elle avait du fournir à l’entreprise de pompes funèbres un document officiel modifié par ses soins. Les choses avançaient mais n’expliquaient toujours pas le crâne au formol. En examinant plus précisément la tombe Claude acquit la certitude que celle-ci avait été déplacée récemment. Les traces étaient infimes mais permettaient à Claude d’aller plus loin dans ses recherches. Il retourna voir Adèle et lui posa brutalement la question.
-        Dis donc Adèle la tête au formol, ce ne serait pas celle de ton père auquel on aurait appliqué des soins de conservation simplistes par ton souci bien connu d’économie ? Je ne l’ai pas connu mais des photos de lui quand il présidait le comité des fêtes parues dans les anciennes éditions du journal m’ont semblé très ressemblantes.
-        Oui c’est bien lui mais pourquoi l’avoir sorti et découpé en morceaux ?
-        Ca, je n’en sais rien, mais on le découvrira sûrement un jour. Et la concession double pour le prix d’une, tu peux l’expliquer ? Toujours pour faire des économies je présume ? En tout cas je vais continuer à chercher l’explication de cette exhumation bizarre et illégale que cela te plaise ou non. Parmi les voisins avec qui tu es en procès, tu ne vois pas celui qui aurait pu te jouer ce tour ? Encore que je ne voies pas bien le but de la manœuvre dont on n’aurait jamais parlé si le sac poubelle était tombé au bon endroit. Un petit conseil avant de partir : Pour l’instant il n’y a que moi qui ai découvert l’identité du mort. Ne t’avise pas de me jouer un sale tour pour me faire taire. Tu perdrais ton temps car j’ai pris mes précautions.
         Je ne vois qu’une explication : Un voisin sûrement a découvert le coup de la double concession et veut s’en servir pour obtenir quelque chose d’Adèle. Il lui suffisait de lui en parler, pas besoin de déterrer le cadavre du père et de le jeter aux poubelles. S’il a fait cela  il y a une raison, mais laquelle ? Nous sommes en Normandie, il faut tenir compte des mentalités et des raisonnements des gens du coin. Adèle L. se prend depuis des dizaines d’années pour la comtesse, la dominante du village. En jetant son père aux chiens on lui prouve qu’elle n’est plus rien, qu’elle est rejetée qu’elle n’est plus la patronne du village, rôle qu’on ne lui a jamais reconnu. C’est violent comme méthode mais moins coûteux qu’un procès et moins lourd de conséquences qu’un coup de fusil. Et c’est bien dans l’esprit renfermé, secret (certains auraient dit « sournois ») du Normand.
         La Adèle vint trouver Claude un soir et lui montra la lettre anonyme qu’elle venait de recevoir.
-        C’est toi qui m’as envoyé ça ?
-        Non ce n’est pas moi car si c’était le cas je n’aurais pas commencé à venir te voir et t’expliquer ma découverte le mois dernier. Que dit cette lettre ?
-        Que je dois abandonner tous les procès en cours et disparaître du paysage dans un délai d’un an.
-        Trop aimable ton scripteur. Et tu vas faire quoi ?
-        Je n’ai pas le choix, je vais vendre la maison et retourner en ville ou j’ai un appartement.
-        Je suppose que là-bas tu vas acheter une autre concession ?
Adèle L. partie Claude Gandron continua à réfléchir car quelque chose clochait dans l’explication qu’il avait trouvée. Sans sac poubelle éventré sur le quai, pas de message codé envoyé à Adèle. La chute du sac devait s’expliquer. A force de questionner à droite et à gauche Claude finit par découvrir que le chauffeur du camion poubelle était le fils d’un habitant du village en procès avec Adèle L.. Ce n’est pas par hasard et mauvais état du camion que le sac était tombé au mauvais endroit. C’était voulu, organisé et bigrement risqué car les recherches auraient pu aboutir au caveau d’Adèle L. Oui mais voilà, une tête de cadavre qui sent le formol mène tout naturellement à la faculté de médecine.